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MEXIQUE - Claudia Sheinbaum, le massacre de Tlatelolco, et le jamais plus
Gerardo Villagrán del Corral
lundi 21 octobre 2024, mis en ligne par
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3 octobre 2024.
La présidente Claudia Sheinbaum a consacré sa première conférence matinale à la commémoration du 2 octobre, 56 ans après le massacre des étudiants, sur la Place des trois cultures, à Tlatelolco, fait qu’elle a qualifié d’une des pires atrocités qu’ait vécu le Mexique dans la seconde moitié du XXe siècle.
Comme chaque année, des milliers de personnes ont participé à la manifestation ce mercredi pour commémorer le massacre. Les étudiants ont été les acteurs des luttes en faveur de la démocratie, la liberté et – même si on l’oublie souvent – d’un modèle économique juste. Cette année-là ils furent durement réprimés sur ordre du président d’alors, Gustavo Díaz Ordaz et, 56 ans plus tard, ils sont les principaux acteurs chargés de faire vivre les aspirations de 68 et la mémoire collective de la tragédie.
À ce jour, le Massacre de Tlatelolco n’a pas été élucidé, ni les responsables sanctionnés pour ce génocide. La hiérarchie militaire responsable des faits a été systématiquement protégée par les gouvernements successifs.
L’absence de punition des responsables a permis le maintien de l’autoritarisme qui s’est acharné sur les étudiants en 1971 [1]. Il a fait aussi des victimes parmi les mineurs, les professeurs démocrates, les communautés indiennes et autres collectifs dans les décennies suivantes.
Tous les auteurs intellectuels de la tuerie étaient des adultes quand les faits se sont produits et, un demi-siècle plus tard après cette date, ils sont décédés, bénéficiant de l’impunité. Les auteurs matériels, si certains sont encore en vie, ne peuvent être identifiés que s’ils se dénoncent volontairement.
La Présidence a publié hier un engagement pour garantir que ne se répètent pas ces atrocités, ces actes de répression, de privation illégale de liberté, l’usage des forces armées contre la population, l’utilisation de prisons clandestines, de disparitions forcées, de tortures ou tout autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, avec le consentement de l’État.
Sheinbaum a déclaré que ne sera pas oublié ce qui s’est passé ce 2 octobre, quelques instants avant qu’au nom de l’État mexicain, la secrétaire d’État à l’Intérieur, Rosa Icela Rodríguez, demande pardon à ceux qui ont perdu des membres de leur famille lors de la répression ordonnée en 1968 par le haut commandant des Forces armées, le mandataire Gustavo Díaz Ordaz.
« Présenter des excuses publiques pour un crime contre l’humanité envers le peuple yaqui, comme l’a fait le président Andrés Manuel López Obrador, ennoblit les peuples, les gouvernements. Il reconnaît de tels crimes et en même temps, il crie assez ! « Jamais plus […] Il ne faut pas mettre sous le tapis de tels agissements ».
« Au nom de l’État mexicain et de sa représentation, sont reconnus politiquement que les actes de violence gouvernementale perpétrés le 2 octobre 1968 contre des membres du mouvement héroïque des étudiants ont constitué un crime contre l’humanité », a-t-il ajouté.
Sheinbaum a précisé qu’elle est une héritière de 68… Elle a raconté que sa mère, professeure à l’Institut polytechnique national, a participé à tout le mouvement en aidant les étudiants et qu’elle a été expulsée de l’institution. « Dans la famille nous l’avons vécu personnellement. Quand j’avais sept ans j’ai rendu visite à Pablo et à d’autres prisonniers à Lecumberri. [2] C’est avec cela que nous avons grandi et c’est très douloureux », a-t-elle dit.
Elle a insisté sur le fait que ce mouvement des étudiants « a ouvert la porte à la participation politique de nombreux jeunes et de la société dans son ensemble en faveur d’un pays plus démocratique. Dans le salon de la Trésorerie du Palais national elle a montré une vidéo de 11 minutes, sur ce qu’a été le mouvement des étudiants de 68, qui réclamaient liberté, démocratie et libération des prisonniers politiques.
D’après la vidéo, il y a eu au moins 325 morts, des centaines de blessés et des milliers de détenus, nombre d’entre eux torturés ou disparus, aussi bien ce jour-là que les suivants. L’attaque est restée comme un tournant dans l’histoire du pays. Depuis ce 2 octobre 1968, du jour au lendemain, le Mexique a changé socialement et politiquement.
Cette année-là en Europe eurent lieu une série de manifestations étudiantes, surtout en France, aux États-Unis aussi, où montait une forte vague de protestations contre la guerre au Vietnam, la lutte pour les droits civiques des noirs ainsi qu’un processus croissant d’émancipation sexuelle et féministe.
Cette même année 1968, le Mexique était le siège des XIXe Jeux olympiques d’été, programmés pour s’ouvrir le 12 octobre. Des semaines avant l’évènement ont afflué des journalistes dépêchés par les medias internationaux. Ce serait la première fois que des Jeux Olympiques seraient transmis dans le monde entier par satellite.
À ce moment précis les manifestations des étudiants s’intensifiaient. De nombreux journalistes ont commencé à couvrir les mobilisations. Ce n’était pas l’image du pays que prétendait envoyer le gouvernement de Díaz Ordaz. En outre, le président était convaincu que les étudiants participaient à une sorte de complot communiste contre les Jeux. La décision a été prise d’envoyer un message ferme pour en finir avec la révolte qui durait depuis des années.
Après 1968, Díaz Ordaz déclara que les recours politiques pour affronter le conflit avaient été épuisés et qu’il fallut recourir à la force pour en finir radicalement avec le mouvement des étudiants et laisser la place aux Olympiades qui s’ouvraient dix jours plus tard.
Lors de son second jour de gouvernement, la présidente a dédié sa première prise de parole matinale à évoquer ces jeunes gens assassinés et emprisonnés, à qui elle a rendu hommage car leur mouvement a permis à de nombreux jeunes de s’ouvrir à la politique, en faveur d’un pays plus démocratique.
La mandataire a également demandé à la secrétaire de l’intérieur, Rosa Icela Rodríguez Velázquez, qu’au nom et en tant que représentante de l’État mexicain soient présentées, pour ces atrocités du gouvernement, des excuses publiques aux victimes, à leurs familles et à la société toute entière. Ce geste a été salué par le Bureau au Mexique du Haut commissariat des Nations unies pour les doits humains.
Gerardo Villagrán del Corral est un anthropologue et économiste mexicain, associé au Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE),www.estrategia.la).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/10/03/claudia-sheinbaum-la-masacre-de-tlatelolco-y-el-nunca-mas/.
[1] Le massacre de Corpus Christi – appelé « El Halconazo » du fait de la participation du groupe paramilitaire les « Halcones » (« Faucons ») –nom donné aux évènements du 10 juin 1971, jour de la fête du Corpus Christi, à Mexico, lors d’une manifestation étudiante en soutien aux étudiants de Monterrey. Elle fut violemment réprimée par les « Faucons », au service de l’État et formés par la CIA. Plus de 120 étudiants, entre 14 et 22 ans, furent assassinés. Le président, Luis Echeverría Álvarez, nia son implication dans les faits, mais jamais la lumière ne fut faite sur cette situation, officiellement niée. Jamais ces faits sanglants ne se virent attribués à des responsables, et très peu furent traduits en justice – NdlT
[2] Le Palais de Lecumberri est un grand bâtiment, anciennement une prison, situé au nord-est de la ville de Mexico. Connu dans la culture populaire sous le nom de Palais noir – NdlT.