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DIAL 2703

AMÉRIQUE LATINE - Une victoire indigène contre la « biopiraterie » d’une plante de la forêt amazonienne

lundi 16 février 2004, mis en ligne par Dial

Les actes de « biopiraterie » commis à l’encontre des peuples indigènes d’Amérique latine sont nombreux. DIAL en a déjà présenté plusieurs, qu’il s’agisse de plantes, de produits dérivés à finalité thérapeutiques, de boissons traditionnelles  [1]. Récemment, les peuples indigènes d’Amazonie ont remporté une victoire devant l’Office des brevets et du registre des marques des Etats-Unis, puisque celui-ci a annulé un brevet obtenu en 1986 par un Californien sur une plante dénommée ayahuasca ou yage selon les régions servant à fabriquer une boisson traditionnelle utilisée dans des rituels religieux. Ce brevet avait déjà été annulé une première fois en novembre 1999, mais rétabli en 2001. Il a de nouveau été annulé en novembre 2003. Nous publions ci-dessous un texte relatif à la première annulation du brevet, publié par Soria Carlos Antonio, dans Diario Hoy, Equateur, 23 novembre 1999 et un autre texte rapportant la seconde et récente annulation de ce même brevet, paru dans ADITAL, 12 novembre 2003.


Une première victoire indigène

Le 3 novembre dernier [2], l’Office des brevets et du registre des marques des Etats-Unis a décidé d’annuler un brevet accordé à un citoyen états-unien pour une plante, l’ayahuasca, considérée comme sacrée par les communautés indigènes de l’Amazonie. La requête a été présentée le 30 mars de cette année par la Coordinatrice des organisations indigènes du bassin amazonien (COICA), l’Alliance amazonienne et le Centre international de législation environnementale.
En accord avec un rapport paru dans la revue de la COICA, la plante en question est la banisteriopsis caapi, grimpante et appelée localement yage, un des ingrédients avec lequel est élaborée une boisson utilisée par divers groupes indigènes d’Amazonie dans les rituels religieux. En juin 1986, Loren Miller, Californien, a obtenu le brevet sur la plante, qu’il a appelée da vine.

Les brevets sur les plantes ont pour but de protéger les producteurs agricoles qui développent de nouvelles variétés. Les avocats soutiennent que les variétés de plantes existantes et déjà identifiées ne devraient pas être brevetées, et que le cas du yage met en évidence les défauts du système de brevets.

« Les experts signalent que la banisteriopsis caapi pousse dans toute l’Amazonie, et que la plante décrite par le brevet correspond à des échantillons prélevés antérieurement par d’autres chercheurs », informe le rapport. Par conséquent, selon David R. Downes, un des avocats qui plaident l’affaire, le brevet n’a pas de valeur légale.

« Le rapport ajoute qu’il s’agit d’une nouvelle variété de plantes, parce que le propriétaire du brevet a identifié ses caractéristiques médicinales, mais les peuples indigènes d’Amazonie connaissent les qualités médicinales de la plante depuis des générations », ajoute Downes.
« Notre préoccupation n’est pas tellement la question commerciale, de savoir si l’on peut ou non commercialiser les produits dérivés de cette plante. C’est une question culturelle et spirituelle », affirme Antonio Jacanamijoy, coordinateur de la COICA.

« Ce n’est pas que les peuples indigènes soient contre le fait d’engager de nouvelles recherches. Le problème est qu’il y a eu usurpation illégale des connaissances traditionnelles, sans que les peuples indigènes puissent bénéficier des activités générées par la recherche », explique Rodrigo de la Cruz, membre de l’équipe légale de la COICA.

Par ce jugement, les communautés d’Amazonie conservent leurs droits ancestraux sur la plante.

Le yage, médecine, rite et religion

Le yage est une plante hallucinogène qui pousse sous forme grimpante dans tout le bassin du fleuve amazone. Des témoignages des premiers colonisateurs confirment que son utilisation par de nombreux peuples indigènes remonte au moins à cinq siècles.

La culture du yage s’étend à la plupart des peuples d’Amazonie. En rapport à son utilisation, il existe un culte à caractère spirituel et religieux très fort.

Le yage est utilisé pour soigner les maladies et il se prend en groupe, sous la direction du chaman, qui fait une interprétation collective des visions de chaque participant.

La plante ne pousse pas en abondance, c’est pour cette raison que beaucoup de peuples indigènes la cultivent. Selon la COICA, Loren Miller, qui est états-unien, a ramené l’ayahuasca par contrebande dans son pays pour obtenir le brevet. Il allégua pour cela que c’était une nouvelle variété parce qu’elle était différente de celle qui pousse en milieu naturel, alors même que la plante provient des confins de l’Equateur.

Menaces

Au 5ème Congrès de la COICA en 1997, les délégués ont décidé de déclarer Loren Miller ennemi des peuples indigènes et de lui interdire l’entrée dans leurs territoires.

La COICA a avoué avoir reçu des menaces d’un fonctionnaire des Etats-Unis, lequel déclara qu’il y avait beaucoup de pression de la part des congressistes de son pays.

Selon la COICA, Adolfo Franco, président de la Fondation interaméricaine, organisme états-unien de coopération, en est venu à falsifier une rétractation portant le nom des demandeurs, qui donnait le droit à Miller d’entrer librement dans n’importe quelle communauté indigène d’Equateur.

Utilisations

Cette espèce a des propriétés curatives diverses : elle régule les fonctions glandulaires et améliore la circulation, mais ses vertus sont encore mal connues. Les indigènes l’utilisent pour les rites religieux.

Diario Hoy (Equateur), 23 novembre 1999.

***

La seconde victoire indigène

Les Etats-Unis ont révoqué le brevet de l’ayahuasca [3], plante rituelle des indigènes d’Amazonie, accordé à un citoyen de ce pays. Cette décision, prise le 4 novembre 2003 par l’Office des brevets et des marques enregistrées des Etats-Unis (PTO) à Washington, est le résultat de la lutte entreprise par les peuples indigènes de neuf pays du Bassin amazonien et sud-américain.

Le jugement de la PTO répond à une deuxième demande de révision du brevet présenté en mars passé par la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (COICA), l’Alliance pour les peuples indigènes et traditionnels du bassin amazonien et le Centre pour le droit international de l’environnement (CIEL).

De fait, durant la décennie des années 80, le patron d’un laboratoire pharmaceutique états-unien obtint le brevet sur la plante. En 1996, la COICA fit appel pour la révocation du brevet de cette pante sacrée utilisée rituellement pendant des centaines d’années par les indigènes. Bien que le brevet ait été annulé, il fut rétabli en 2001 au profit du même Loren Miller.

Il fut reconnu que la plante, banisteriopsis caapi, commercialisée aux Etats-Unis, était originaire de la forêt amazonienne. La PTO justifia son refus du brevet en se fondant sur le fait que les publications qui décrivent la banisteriopsis caapi étaient « connues et disponibles avant la présentation de la demande de brevet », et que par conséquent il n’y a aucunement « découverte ». Pour la confédération des nationalités indigènes de l’Amazonie équatorienne (CONFENAIAE), cette décision crée un « précédent juridique historique ». De son côté, Antonio Jacanamijoy, coordinateur de la COICA, déclare : « Ce brevet préoccupait nos chamans et nos anciens, maintenant, ils sont de la fête. »

ADITAL, 12 novembre 2003.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2703.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : voir à la fin de chaque texte.

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[1Cf. DIAL D 2665, 2487, 2444, 2419, 2303, 2136, 2045.

[21999.

[3Ou yage.

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