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DIAL 2624

COLOMBIE - Menace sur les droits fondamentaux des peuples indigènes

samedi 1er mars 2003, mis en ligne par Dial

Les droits des peuples indigènes sont gravement mis en cause en Colombie. Nous publions ci-dessous le texte de la communication écrite présentée conjointement par le Centre Europe-Tiers Monde (organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif général) et l’Association américaine des juristes (organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif spécial), au Secrétaire général de la Commission des droits de l’homme de l’ONU. Cette communication, portant la date du 31 janvier 2003, s’inscrit dans le point 15 (questions autochtones) de l’ordre du jour provisoire de la 59ème session de la Commission des droits de l’homme (17 mars-25 avril 2003).


Alors que l’imminence d’une guerre contre l’Irak accapare l’attention internationale, d’autres conflits graves passent au second plan. C’est le cas notoire de la Colombie, un pays victime depuis plus de 40 ans d’une guerre civile qu’il semble impossible de résoudre.

Dans ce pays sud-américain, meurent quotidiennement 20 personnes, dont 15 sont assassinées à leur domicile, leur lieu de travail ou dans la rue, toujours désarmées. Depuis trois ans, on compte un millier de personnes déplacées par jour, parmi lesquelles un fort pourcentage de membres de communautés indigènes : ils constituent 12 % des déplacés, alors que la population indigène dans son ensemble ne représente approximativement que 0,6 % de la population totale du pays .

Préoccupées par cette situation, les communautés indigènes, en réunion le 22 août suivant l’entrée en fonction du président actuel Alvaro Uribe Velez, ont présenté un document dans lequel elles demandent l’établissement par le nouveau gouvernement d’une politique respectueuse des peuples indigènes. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de réponse écrite de sa part, mais celui-ci montre des signes clairs qu’il ne s’intéresse pas à la protection des peuples indigènes de Colombie, comme l’illustrent les faits suivants :

La Colombie se trouve au carrefour des mégaprojets et des investissements continentaux prévus par le Plan Puebla Panama (PPP), le canal Atrato-Truendo (et/ou Atrato-San Miguel ) et de l’Initiative d’intégration de l’infrastructure régionale d’Amérique du Sud (IIRSA). Ces complexes qui uniront l’Amérique latine avec les États-Unis prévoient d’interconnecter non seulement les réseaux routiers et les voies fluviales, mais aussi les réseaux électriques.

C’est à cause de ces mégaprojets que le gouvernement actuel, comme son prédécesseur, a l’objectif d’éliminer les droits culturels, organisationnels et territoriaux des peuples indigènes, qui constituent une entrave à leur mise en œuvre. C’est dans ce sens qu’il ferme les espaces de concertation et de participation, par le biais de réformes institutionnelles.

En matière de droits de l’homme, le gouvernement actuel n’a pas donné suite aux mesures de protection ordonnées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, dans diverses situations telles que celles du peuple Embera Katio du Haut Sinu, des communautés indigènes, noires et paysannes du Haut Naya (limite entre les départements du Valle et du Cauca) ; il n’a pas pris de mesures pour éviter les massacres, silencieux mais récurrents, dont est victime le peuple Kankuamo de la Sierra Nevada de Santa Marta. La derniere manifestation en date du véritable ethnocide dont ce peuple fait l’objet (plus de 150 assassinats ces dernières années) est l’assassinat de quatre membres de la communauté par un groupe paramilitaire établi dans la région en toute connaissance de cause des autorités militaires, dans le village d’Atanquez, le 8 décembre 2002. Pendant ce temps, la disparition forcée du dirigeant du peuple Embera Katio, Kimi Pernia Domico, continue en toute impunité, comme également les autres 153 assassinats d’indigènes enregistrés uniquement au cours de l’année 2002.

Le processus de constitution, d’amplification et de régularisation des réserves indigènes est suspendu, malgré le fait qu’un nombre considérable de demandes a déjà obtenu tous les éléments préalablement requis à l’envoi des demandes. Toutes ces mesures visent à freiner la légalisation des territoires indigènes malgré le fait que ces droits sont déjà reconnus par la Constitution politique.

De cela, il ressort clairement que la politique d’invasion des territoires indigènes va être légalisée, tout en utilisant l’action de groupes paramilitaires pour parvenir à cette fin : il est en effet de notoriété publique que, dans diverses régions du pays, ces groupes cherchent à déloger, grâce à la colonisation, les communautés indigènes pour faciliter par la suite les processus d’exploitation de ressources, de monocultures et la réalisation de mégaprojets. Dans ces conditions la violence a continué d’être rentable comme moyen d’évacuation des communautés. Cela s’était déjà produit durant la conquête espagnole, et de nouveau lors des guerres civiles du XIXème siècle et de la période de « la Violencia » de 1946 à 1958, période durant laquelle 2 millions de personnes furent déplacées et 200 000 assassinées, cependant que se répandaient les cultures de canne à sucre et de coton, et qu’augmentaient les prix du café.

La région du Magdalena Medio fut la zone pilote de ce type de déplacement, causé par la construction de la dénommée « Route de la Paix » dans les années 80. Ce modèle s’est appliqué ensuite et perdure aujourd’hui dans les zones stratégiques : Atrato, fleuve Meta, Putumayo, future autoroute Uraba-Venezuela, projets de grands barrages et zones pétrolières.

Le canal interocéanique Atrato-Truandó (variante choisie par l’État colombien) et/ou Atrato-Cacarica-San Miguel (variante proposée et préférée par les États-Unis) constitue le lien entre le PPP et l’IIRSA, c’est un projet stratégique gigantesque qui répand autour de lui la violence sur les populations d’ascendance africaine, les indigènes et autres peuples de la région du Choco - et qui dernièrement affecte également les indigènes Kuna (Tulé) sur le territoire frontalier du Panama : à la mi-janvier 2003, 150 paramilitaires colombiens ont attaqué deux villages de la région du Darien, Paya et Pucuro, torturant et massacrant 5 caciques indigènes, enlevant deux reporters états-uniens et un canadien (La Prensa, Panama,21 /1/2003).

Le fleuve Meta a un rôle prépondérant dans un projet d’origine japonaise qui fait maintenant partie de l’IIRSA, visant à transporter les marchandises de Bogota jusqu’à l’Orénoque et de là à l’océan Atlantique ou à l’Amazonie. Les plans officiels se proposent de privatiser le fleuve et prévoient un port sur la réserve indigène Achagua, l’un des quelques territoires que les grands propriétaires n’ont pas dominés.

Le département du Putumayo, avec son fort pourcentage de population indigène, dont le territoire est quadrillé par des concessions pétrolières, forme la sortie nord-occidentale de l’axe fluvial Amazone-Rio de la Plata, qui vise à relier ce département, par des canaux et des drainages, à Buenos Aires, Montevideo et l’embouchure de l’Amazone et par le biais d’une autoroute reliant la côte Pacifique. C’est le projet le plus ambitieux de l’IIRSA.

Dans le département d’Arauca, où règne actuellement l’état d’exception, le peuple U’wa dénonce la reprise contre sa volonté de l’exploitation pétrolière sur ses terres ancestrales.

La défense de la terre, qui est à la fois la défense de leur vie, a entraîné l’assassinat, la torture, la disparition et le déplacement de membres de communautés indigènes sur tout le territoire national. Un communiqué de presse du 27 mars 2002 du Bureau en Colombie du Haut Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme avertit que les peuples indigènes de Colombie sont menacés d’extermination dans les 10 années à venir si des mesures de protection ne sont pas prises.

Recommandations :

Le Centre Europe-Tiers Monde et l’Association américaine de juristes souhaitent que la Commission des droits de l’homme œuvre aux dispositions suivantes :

 Demande au gouvernement colombien de faire toute la lumière concernant l’impunité des assassinats sélectifs et des déplacements forcés, en particulier, dans le cas de Kimi Pernia Domico, séquestré il y a plus d’un an sans que ne soit faite d’enquête, et qu’il prenne les mesures nécessaires pour poursuivre en justice les responsables ;

 Demande au gouvernement colombien de promouvoir, de respecter et de faire respecter les droits à la vie, à la culture et au territoire des peuples indigènes ;

 Demande au gouvernement colombien de mettre fin à l’impunité face aux exactions connues de groupes paramilitaires dans la région de Valledupar dont est victime le peuple Kankuamo de la Sierra Nevada de Santa Marta et de faire respecter le droit du peuple U’wa à son intégrité territoriale et culturelle, en faisant cesser l’exploitation pétrolière contre sa volonté ;

 Demande au Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones de se rendre en Colombie pour faire une étude sur la situation des peuples autochtones de ce pays.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2624.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Centre Europe-Tiers Monde et l’Association américaine des juristes, 31 janvier 2003.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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