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DIAL 2992

NICARAGUA - Les chiffonniers de la décharge municipale de Managua se mobilisent contre la mairie

José Adán Silva

mardi 1er avril 2008, par Dial

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Des milliers de personnes qui subsistent grâce aux déchets alimentaires et aux ordures recyclables de la décharge municipale de Managua sont à l’origine d’une mobilisation inédite pour de meilleures conditions de vie, en bloquant l’accès à la décharge des camions des éboueurs et en mettant plus d’un million d’habitants en danger sanitaire. Ce conflit, qui a commencé début mars et a pris fin le 27 du même mois, est révélateur des conditions de vie que l’on retrouve malheureusement dans nombre d’autres grandes villes d’Amérique latine. Article de José Adán Silva publié par IPS.


Il y a deux semaines près de 1 600 chiffonniers qui travaillent dans la décharge municipale La Chureca, à la périphérie nord-ouest de la capitale nicaraguayenne, ont décidé de bloquer l’admission des camions à la décharge.

Le leader des travailleurs informels, Germán Salgado, a expliqué à IPS que la mobilisation avait commencé le 1er mars mais qu’elle couvait depuis deux ans. Selon Salgado, le problème est apparu autour de la question du contrôle des ordures et de la commercialisation de certains déchets qui arrivent à la décharge à ciel ouvert.

Les chiffonniers, qui fouillent traditionnellement la décharge pour en extraire des matériaux recyclables, ont accusé les autorités municipales d’encourager leurs ouvriers à récupérer ces produits pour les vendre directement à des entreprises inscrites à la Direction des contribuables de la mairie.

Cette décision, selon Salgado, affecte depuis deux ans plus de 2 000 personnes qui subsistent grâce à la collecte de matériaux comme l’aluminium, le fer, le cuivre, le bronze, le papier, le plastique et le verre.

« Ici nous sommes jour et nuit plus de 1 600 personnes qui vivent de cela, et 400 ou 500 autres qui lavent et qui vendent. Mais depuis deux ans les ordures deviennent chaque jour plus pauvres (avec moins de matériaux recyclables) et maintenant nous nous rendons compte que la mairie extrait les matériels et les vend », a dit Salgado IPS.

La mesure municipale, selon Edgard Narváez, promoteur de la mobilisation et membre du Mouvement communal (non gouvernemental), a mis ces personnes au bord de la faim et dégradé leurs conditions de vie.

« Avant, un travailleur gagnait ici jusqu’à trois dollars par jour, maintenant beaucoup de jours passent sans qu’ils réussissent à obtenir un seul dollar de leur travail, parce que les ordures arrivent déjà expurgées », a expliqué Narváez à IPS. Celui-ci a demandé à la mairie que ses travailleurs ne sélectionnent pas les ordures solides mais les déposent telles quelles à La Chureca.

Un rapport du Centre des formalités d’exportations du Nicaragua a précisé la valeur marchande atteinte par le marché du recyclage : en 2006, 18 millions de dollars ont été générés par l’exportation de matériel récupérable, et près de 21 millions de dollars en 2007.

La mobilisation a fait que les responsables des 60 camions qui ramassent les ordures de la capitale, ne réussissant pas à déposer leur chargement dans la décharge municipale, ont arrêté de ramasser les 1 200 tonnes quotidiennes d’ordures.

Le maire de Managua, Denis Marenco, a expliqué que la mesure menace la santé de 1,2 million d’habitants de capitale. Les autorités du ministère de la santé et du Système national de prévention des désastres ont lancé une alerte sanitaire et ont mis en garde contre un risque d’épidémie.

Walter Calderón, coordonnateur de communication du centre non gouvernemental Deux générations, qui appuie et enquête sur la population résidante dans la décharge La Chureca, a dit à IPS que la mobilisation des chiffonniers « représente à peine la pointe de l’iceberg d’une problématique sociale profonde ».

« Il a fallu une situation de crise pour que la société nicaraguayenne se rappelle qu’un enfer existe où les femmes accouchent de leurs enfants dans les ordures », a déclaré Calderón, pour qui la mobilisation doit servir de rappel à l’ordre pour les autorités.

La Chureca se trouve dans les environs du quartier Acahualinca, situé sur la côte. Elle a été ouverte en 1975 au bord du lac de Managua et elle a une étendue de 64 hectares.

Des plus de 1 600 personnes qui travaillent dans le lieu, selon des données du centre Deux générations, plus de 500 sont des enfants et des adolescents entre 7 et 18 ans qui participent au travail d’extraction de matériaux et des produits de consommation domestique.

Le panorama est saisissant : des montagnes d’ordures fumantes de tous côtés, avec des ruisseaux de boue et de pourriture descendant vers le lac. Des êtres humains, des chiens et des oiseaux de proie se battent entre eux en cherchant des aliments.

Près de 147 familles se sont établies sur un côté de la décharge et ont installé un quartier avec des maisons en carton, des bouts de bois, des morceaux de fer-blanc et d’autres matériels extraits des ordures. Selon une étude de l’Association chrétienne des jeunes du Nicaragua, habitent là, entassées, près de 700 personnes de tous les âges.

Avant l’arrivée de cette organisation religieuse sur les lieux, il y a 12 ans, La Chureca était une zone de consommation de drogues, d’alcool et de prostitution. Selon des statistiques policières, le lieu était considéré comme une zone rouge en raison de la quantité d’actes violents qui y étaient commis.

« Ils m’ont collé un coup de poignard dans le dos quand j’essayais d’extraire une vieille bicyclette. La concurrence dans ce monde est dure et tous ne survivent pas », raconte Antenor García, un fondateur de cette installation.

Justina Santos, de 45 ans, dont 12 ans passés dans la décharge, a raconté à IPS que la situation de violence et de délinquance s’était améliorée ces derniers temps, mais pas les conditions de vie.

« Avant, nous mangions au moins deux fois par jour, maintenant nous réussissons avec difficulté à faire une soupe pour tromper l’estomac de mes enfants », dit Santos, qui, avec son compagnon de vie et trois fils de moins de 13 ans, se consacre à fouiller entre des aliments décomposés, des animaux morts, des bouts de fer-blanc, des verres, de la poussière et de la terre.

Pour le sociologue Cirilo Otero, directeur du Centre d’initiatives des politiques environnementales, cette mobilisation est la meilleure occasion d’en finir une fois par toutes avec ce lieu et de donner à ces personnes une vie meilleure.

« On ne va pas résoudre ce problème en jetant de meilleures ordures pour que les gens aient de quoi vivre, la solution est de les sortir de là, de les former à quelque chose et de les insérer dans un travail plus sain et productif », a-t-il dit à IPS.

« La mesure consistant à les sortir de là sauverait la vie à plusieurs de ces enfants qui meurent chaque jour pour avoir absorbé des aliments contaminés », a-t-il considéré.

En 2007, une recherche de l’Université nationale autonome du Nicaragua et de l’Université de Lund en Suède a établi que plus de 30 % des enfants qui vivent et travaillent dans La Chureca souffrent d’une intoxication au plomb, au mercure et au DDT, par exposition aux ordures et par la consommation des poissons du lac de Managua.

Après 17 jours de mobilisation, les autorités municipales, le gouvernement central et ses institutions discutaient d’une solution au problème, tandis que des centaines de travailleurs informels continuaient à s’opposer à l’entrée des camions des éboueurs. Mais tout n’est pas tragique pour les habitants et les travailleurs de la zone. Durant la mobilisation, la mairie a signé un accord de collaboration avec l’Agence espagnole de coopération internationale pour financer un projet de fermeture technique de la décharge municipale.

Elena Montobbio, coordonnatrice régionale de la coopération espagnole, a expliqué aux médias que son pays apportera 30 millions d’euros (presque 47 millions de dollars) pour que les autorités ferment la décharge, construisent un quartier avec des logements dignes et une usine de recyclage en gestion communautaire pour que, dans cinq ans, des milliers de personnes quittent pour toujours ce lieu [1].


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2992
 Traduction d’Alain Durand pour Dial.
 Source (espagnol) : IPS, mars 2008.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française ([Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Un accord a été trouvé entre les travailleurs de la décharge municipale et la municipalité, rentrant en application le 27 mars. Cet accord inclut : augmentation des salaires des camionneurs chargés par la mairie de collecter les ordures de Managua et de les déverser à La Chureca, afin qu’ils n’expurgent pas préalablement les ordures des matériaux recyclables, financement par l’Espagne d’un projet destiné à améliorer les conditions de vie des habitants de La Chureca avec la construction de 400 maisons et d’une entreprise de recyclage – note Dial.

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