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DIAL 2418

HAÏTI - Les conditions de vie et de travail des Haïtiens en territoire dominicain : l’esclavage moderne

Sony Esteus

mercredi 1er novembre 2000, mis en ligne par Dial

La pauvreté qui frappe si durement Haïti provoque une émigration importante en direction du pays voisin : Saint-Domingue. Les conditions de vie des Haïtiens qui vont ainsi travailler à la récolte de la canne à sucre est une dénégation massive des droits humains. À lire l’article ci-dessous, on comprendra que l’auteur puisse parler d’« esclavage moderne ». Texte de Sony Esteus, paru dans Noticias Aliadas, juillet 2000.


« Si nous sommes encore en vie, c’est parce que nous sommes habitués à la misère. Mais nous prions avec ferveur Dieu, le grand maître, pour qu’il nous aide à rompre ces chaînes, pour qu’il nous donne la liberté, la tranquillité, la paix et l’amour. » Ainsi parle Dodo, un manœuvre haïtien de 67 ans qui vit dans le batey 4, dans la province de Barahona, au sud-ouest de la République dominicaine.

Les conditions de vie des Haïtiens dans les bateyes (les villages des plantations de canne à sucre) en République dominicaine rappellent la situation des esclaves africains au XVIème siècle à Saint-Domingue. Aujourd’hui, on parle d’esclavage moderne pour qualifier cette situation.

Environ 500 000 travailleurs haïtiens vivent sans papiers en République dominicaine. Recrutés le long de la frontière par des buscones (des « chercheurs »), les travailleurs haïtiens sont transportés vers les champs de canne comme des animaux par des militaires dominicains.

Dans un petit camion conçu pour transporter environ 30 personnes, on peut trouver une centaine de Haïtiens, attachés entre eux par des cordes. Pendant le voyage, on les oblige à se coucher sur le plancher, et ils ne peuvent même pas lever la tête pour respirer, sous peine d’être battus. « J’ai vu des marques de coups de fouet sur leurs corps, c’est de l’esclavage », a affirmé le P. Pedro Ruquoy, représentant de l’Église catholique dominicaine dans les bateyes de Barahona.

Cette année, il y a plus de 32 000 Haïtiens, dont des enfants de moins de 14 ans, qui travaillent à la zafra (la récolte de la canne à sucre).

La plus haute autorité de l’Église catholique de Barahona, l’évêque Rafael Filip Núñez a dénoncé le mois dernier la présence de mineurs dans les champs de canne. Il a déclaré qu’embaucher des enfants de moins de 14 ans viole la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail des enfants.

Ces enfants, dont les parents vivent en Haïti, sont trompés par les trafiquants qui leur assurent qu’ils auront de l’argent en République dominicaine. Quand ils arrivent, ils sont employés à la récolte de la canne. De plus, ces enfants sont manipulés par les responsables des bateyes pour qu’ils cachent leur âge véritable. Tous disent avoir 22 ans.

« Mon père a huit enfants. Il n’a pas d’argent pour m’envoyer à l’école. Je coupe la canne pour pouvoir payer mes dépenses », dit un enfant qui n’a pas plus de 14 ans.

Sans eau potable, sans électricité ni centre de soins, « la vie dans les bateyes est un véritable enfer » déclare Dodo, né en République dominicaine. Il travaille dans les champs de canne depuis sa jeunesse, et il est maintenant responsable de l’irrigation des champs dans le batey 4.

Dodo dénonce la discrimination dont sont victimes les manœuvres. « On nous interdit de circuler, nous sommes condamnés à rester dans le batey ; si quelqu’un essaye d’aller à la capitale, il est arrêté, emprisonné, battu et renvoyé en Haïti », se plaint Dodo.

Pour Marione Benoit, de la Coalition nationale des droits haïtiens, la situation des travailleurs haïtiens en République dominicaine est un scandale.

Pendant une visite à Cuchillo au début du mois de mai, elle a constaté qu’il y avait 150 hommes enfermés dans un baraquement. À l’intérieur, dans une petite pièce de 4 m2, 7 ou 8 personnes s’entassent, avec pour seul ameublement 2 ou 3 litières sans matelas. « Cette situation est intolérable », dit Marione Benoit.

« Le bétail passe avant les êtres humains pour la distribution de l’eau. Il n’y a pas de médicament, pas d’école, pas de centre de soins. Dans les rares magasins qui se trouvent dans les bateyes, les produits valent trois fois leur prix ordinaire », ajoute-t-elle.

Malgré les multiples dénonciations, la situation des manœuvres haïtiens en République dominicaine ne s’est pas améliorée. Avec la privatisation des entreprises sucrières, les organismes qui défendent les droits des Haïtiens espéraient quelques changements, mais rien n’a été fait pour améliorer les conditions inhumaines vécues par ces travailleurs immigrés, qui ont même été victimes de rapatriements forcés en plusieurs occasions. Ruquoy travaille actuellement avec les manœuvres pour les aider à s’organiser et à faire entendre leur voix.

De meilleurs logements, des lits, une bonne distribution d’aliments, un contrôle des balances pour éviter les tromperies sur le poids dont sont victimes les coupeurs de canne à sucre, l’abolition du travail nocturne, des contrats de travail, telles sont quelques-unes des revendications formulées par les manœuvres pendant une assemblée qui a eu lieu au milieu de la nuit à la mi-mai. Leurs exigences ont été communiquées à l’administrateur des entreprises sucrières de Barahona.

Il y a eu, depuis, quelques améliorations : il y a quelques lits dans les baraquements et la distribution des aliments se fait avec un peu plus de respect pour la dignité des travailleurs. L’administrateur a promis d’autres améliorations pour l’année prochaine.

En République dominicaine comme en Haïti, les organismes de défense des droits des travailleurs haïtiens ne cessent de dénoncer la violation des droits humains des manœuvres. Des organisations non gouvernementales haïtiennes et dominicaines ont formé le réseau Jacques Viau, pour entreprendre des actions communes pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des immigrés haïtiens.

En octobre 1999, la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a recommandé au gouvernement dominicain de prendre les mesures nécessaires pour garantir les droits économiques, sociaux et culturels des travailleurs migrants, sans discrimination. Le gouvernement a promis d’améliorer les conditions sanitaires des bateyes, mais jusqu’à présent il n’y a pas eu de progrès sur ce point. Il n’a pas non plus donné de solution à la situation des sans-papier.

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2418.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, juillet 2000.
 
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