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DIAL 2442

AMÉRIQUE LATINE - Déclaration du Conseil latino-américain des Églises sur le document « Dominus Iesus »

Walter Altmann

mardi 16 janvier 2001, mis en ligne par Dial

La Déclaration « Dominus Iesus » rendue publique le 5 septembre 2000 par la Congrégation pour la doctrine de la foi sous la signature de son préfet, le cardinal Joseph Ratzinger et ratifiée par le pape Jean-Paul II, a suscité de très nombreux commentaires en Amérique latine, notamment en raison de la conception que se fait d’elle-même l’Église catholique (romaine), jugée inconciliable avec les avancées faites par le mouvement œcuménique et le dialogue interreligieux. À peine le texte était-il connu que Dom Pedro Casaldáliga, évêque de São Félix de Araguaia (Brésil) faisait une déclaration dans laquelle il demandait publiquement pardon pour un tel document. D’autres, tel Mgr Arizmendi, le nouvel évêque de San Cristóbal de Las Casas, faisait un éloge sans restriction du document. Il est intéressant également de signaler la réaction de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB) qui s’est contentée de réaffirmer sereinement à l’occasion de la parution du document romain son engagement irréversible dans le dialogue œcuménique (Note de la CNBB du 28 septembre 2000). Nous publions ci-dessous la réaction du Conseil latino-américain des Églises (CLAI), parue sous la signature de son président, le pasteur Walter Altmann, de l’Église évangélique de confession luthérienne du Brésil. Rappelons que le CLAI, dont le siège est à Quito (Équateur), regroupe 150 Églises et organismes œcuméniques qui se sont donné comme objectif de « promouvoir l’unité du peuple de Dieu en Amérique latine ». Texte paru dans Pastoral popular, décembre-janvier 2001 (Chili).


Avec une grande surprise ainsi qu’une profonde consternation, le Conseil latino-américain des Églises (CLAI) a pris connaissance de la « Déclaration Dominus Iesus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église », signée par le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi du Vatican, le cardinal Joseph Ratzinger. Le CLAI regrette de déceler dans cette déclaration un obstacle supplémentaire à l’œcuménisme en provenance de l’intérieur de l’Église catholique romaine, à son plus haut niveau et ratifié par le pape Jean-Paul II, même si nous devons reconnaître qu’il s’agit d’une « déclaration », c’est-à-dire d’un document dont l’autorité est moindre pour cette Église que, par exemple, une encyclique papale. En tout cas, dans sa présentation publique, le document a été qualifié de « définitif et irrévocable ».

Le CLAI reconnaît également qu’il s’agit d’un document destiné fondamentalement au public interne de l’Église catholique, avec pour objectif d’établir une base doctrinale pour le dialogue interreligieux - face à ce que qu’on a appelé le danger du « relativisme » -, et presque secondairement pour les relations œcuméniques. En ce qui concerne le dialogue interreligieux, on est obligé d’admettre qu’il s’agit d’un thème épineux de la plus haute importance qui, actuellement, occupe aussi le reste des Églises chrétiennes. Pour cette même raison, nous aurions espéré un document plus sobre et plus humble, faisant des propositions, ouvert et encourageant pour un dialogue indispensable, au lieu d’une position doctrinaire restrictive et fermée.

Nous reconnaissons également l’effort fait par la Déclaration pour exposer les bases bibliques concernant la mission de Dieu dans le monde et de l’Église envoyée pour porter la Bonne nouvelle du Salut dans le Christ. En elle sont soulignées l’universalité et l’unicité du salut dans le Christ. C’est sur ces points précisément que nous pourrions trouver un fondement commun entre les Églises pour leurs réflexions et leurs actions, mais la Déclaration préfère omettre toute allusion aux possibilités de coopération entre les Églises. Au contraire, elle utilise ces enseignements pour affirmer un exclusivisme catholique romain qui ne peut en rien contribuer à faire avancer la cause œcuménique ni renforcer la crédibilité du témoignage du Christ qui nous est commun.

En conséquence, la cause principale du malaise provoqué par la Déclaration ne se trouve pas tant dans le fait qu’elle classe les Églises protestantes comme des « non-Églises », mais dans ses omissions préoccupantes. Trente-cinq années d’histoire œcuménique depuis le Concile Vatican II -pour ne pas mentionner les efforts œcuméniques du monde protestant, antérieurs à ce conclave catholique - sont complètement ignorées comme s’il n’y avait eu aucun progrès. Aucune référence aux dialogues bilatéraux de l’Église catholique avec les autres confessions religieuses ; la Déclaration conjointe catholiques-luthériens du 31 octobre dernier paraît avoir été oubliée ; la participation fructueuse de l’Église catholique dans la commission de Foi et ordre du Conseil mondial des Églises est méconnue. On chercherait en vain à trouver une référence quelconque à la célébration, chaque fois plus importante, de la semaine de prière pour l’unité chrétienne et encore moins à la rencontre encourageante des catholiques et des protestants autour de la lecture de la Bible, si significative en Amérique latine.

Il n’est donc pas surprenant qu’il n’y ait aucune référence positive à des réalités liées au dialogue interreligieux comme par exemple les efforts en faveur de l’obtention de la paix ou du respect de la nature - création divine, et pas davantage en ce qui touche au témoignage commun dans les questions éthiques dont le monde globalisé a tellement besoin. Il semblerait que le pape Jean-Paul II n’ait jamais invité des représentants d’autres religions à prier ensemble !

À chaque pas, donc, nous rencontrons réserves, avertissements et auto-affirmations excluantes. Aucune parole d’autocritique, pas même une allusion à la possibilité d’enrichissement évangélique dans le contact avec les autres religions. Il n’y a aucun doute qu’une telle position contredit dans une large mesure les gestes et les paroles du pape Jean-Paul II qui a plusieurs fois affirmé que l’œcuménisme « appartient à l’essence de la foi chrétienne » et qui, ces derniers temps, a demandé pardon pour les péchés commis par l’Église tout au long de son histoire. Au contraire, l’Église (lisez : l’Église catholique romaine) est vue uniquement comme l’instrument indispensable du salut, comme le « Christ total », identification problématique avec le Seigneur même de l’Église. Bien que la Déclaration cite des textes du Concile Vatican II et du pape Jean-Paul II lui-même, nous ne parvenons pas à trouver en elle le même esprit œcuménique d’ouverture fraternelle.

Malgré cela, et justement parce que « il appartient à l’essence de la foi chrétienne », l’œcuménisme est aussi irréversible. Les Églises protestantes, qui cherchent à se nourrir de l’Évangile de Jésus-Christ n’ont que trop de raisons de ne pas succomber à la tentation de « rendre la monnaie de la pièce ». Elles doivent se regarder elles-mêmes dans le miroir. Il n’est pas rare de trouver dans le monde évangélique des interprétations très semblables à celles de la Déclaration du Vatican : on y reconnaît le commandement biblique de la mission, de même que l’universalité et l’exclusivité du salut en Christ, mais on en déduit des positions ecclésiologiques également excluantes, au nom desquelles on refuse à l’Église catholique romaine d’être une véritable Église de Jésus-Christ, en l’accusant, au contraire, de n’être rien moins qu’une idolâtrie.

C’est pour cela que, alors que nous regrettons la teneur de la Déclaration « Dominus Iesus », nous ne pouvons pas le faire de façon triomphaliste, mais dans l’esprit de pénitence qui nous permet de reconnaître que le chemin œcuménique est ardu, en raison précisément de la profondeur de nos divisions, divisions à surmonter par l’action de l’Esprit de Dieu qui nous invite à la persévérance et à la fidélité. Il est effectivement nécessaire de redécouvrir que la mission et l’évangélisation ne s’opposent pas à l’œcuménisme et à la recherche de l’unité. L’œcuménisme continue d’être indispensable parce qu’il répond non à des contingences momentanées favorables mais à des convictions bibliques fondamentales.

En conséquence, le CLAI, tout en regrettant cette Déclaration du Vatican, exprime sa gratitude pour les nombreux efforts œcuméniques, passés et futurs, tant dans les Églises protestantes que dans l’Église catholique romaine, et renouvelle son engagement dans la recherche de l’unité, en proposant de poursuivre un dialogue ouvert et sincère entre les Églises protestantes elles-mêmes et entre celles-ci et l’Église catholique, dans la certitude que la foi en Jésus-Christ, Seigneur et Sauveur, nous unit plus que ne nous séparent les divisions dont nous souffrons encore.

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2442.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Pastoral popular, décembre-janvier 2001.
 
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