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DIAL 2444

MEXIQUE - Un nouveau cas de biopiraterie. Les haricots de la discorde

Diego Cevallos

jeudi 1er février 2001, mis en ligne par Dial

Les cas de biopiraterie de la part des pays riches, notamment des firmes nord-américaines, sont déjà fort nombreux. Après avoir récemment présenté le problème posé par l’appropriation des caractéristiques d’une boisson maya millénaire par une transnationale et par une université nord-américaines (cf. DIAL D 2419), voici le cas d’une variété de haricots cultivée depuis des siècles au Mexique, qui est devenue la propriété exclusive, grâce au brevet déposé, d’une entreprise nord-américaine. Article de Diego Cevallos, IPS, Mexico, 20 novembre 2000.


Une variété de haricots, cultivée au Mexique depuis des siècles, est devenue depuis 1999 le brevet exclusif d’une entreprise des États-Unis, et cela pose une question : s’agit-il d’un cas de biopiraterie ou le fruit d’efforts honnêtes de cette entreprise étrangère ?

Breveter un haricot mexicain démontre que la biopiraterie peut aller jusqu’à des extrêmes absurdes, a déclaré à IPS Silvia Ribeiro, représentante pour l’Amérique latine de l’organisation non gouvernementale Fondation internationale pour le progrès rural (Rural Advancement Foundation International, RAFI selon le sigle en anglais).

Biopiraterie est une expression conçue par des groupes écologiques pour définir la pratique présumée des entreprises du Nord industrialisé de breveter à leur nom des connaissances ancestrales sur les plantes et autres êtres vivants originaires du Sud en développement.

Des porte-parole du gouvernement du Mexique ont annoncé fin octobre qu’ils allaient intenter aux États-Unis un procès pour défendre le fait que ce haricot fait partie de leur patrimoine, annuler le brevet donné dans ce cas à la firme étasunienne POD-NERS et soutenir les agriculteurs.

En Amérique latine, on discute de ce que le jargon scientifique appelle bio-prospection, qui impose quelques verrous légaux à ces pratiques, mais la majorité des experts sont d’accord sur le fait qu’il y a encore beaucoup à faire. Avec la bio-prospection, on collecte, classifie et, le cas échéant, on altère les principes actifs ou dérivés d’espèces végétales et animales pour en faire des médicaments, des aliments et des substances pour élaborer des dizaines de produits commerciaux.

La réaction du gouvernement du Mexique au brevet délivré aux États-Unis a fait suite à l’interdiction imposée depuis le début de l’année à la vente du haricot jaune mexicain chez le voisin du Nord. L’exportation a cessé suite à une action en justice intentée par POD-NERS, qui prétend que le haricot jaune vendu par les Mexicains enfreint un brevet qui leur appartient de manière exclusive.

En 1994, le président de POD-NERS, Larry Proctor, a acheté un lot de haricots dans le nord du Mexique et l’a emporté dans son pays. Dans ce lot, il a sélectionné les haricots jaunes et il les a cultivés, puis il a pris ceux qui avaient le meilleur aspect jusqu’à obtenir, au moyen de croisements, ce qu’il a décrit comme une variété uniforme et unique de haricots jaunes. En 1996 il a demandé un brevet qui lui a été attribué sous le nom d’Enola. Proctor soutient qu’il est illégal aux États-Unis qu’une autre entreprise ou personne achète, vende ou offre des haricots jaunes, car c’est une atteinte à sa propriété, créée et enregistrée à la suite d’un « long travail ».

Quand on a connu la cause de l’interdiction de certaines ventes de haricots, « nous ne pouvions pas le croire, nous avons pensé qu’il s’agissait d’une plaisanterie », a raconté Rebecca Gilliand, présidente de la société étasunienne Tutulli Produce, un acheteur important de haricots jaunes mexicains.

« Il est clair que Proctor n’a pas obtenu une variété exclusive de haricots, il a seulement cultivé quelques graines d’une manière normale et il a fait des croisements, comme cela se fait au Mexique depuis des siècles » a affirmé Ribeiro, de RAFI.

L’Institut national de recherches sur la forêt, l’agriculture et l’élevage du Mexique, un organisme d’État, a réalisé une étude du code génétique de la variété Enola et a conclu qu’elle est identique à d’autres variétés cultivées dans ce pays.

Les haricots sont, sur le territoire mexicain depuis l’époque préhispanique, une des principales sources de nourriture de ses habitants.

Le Mexique devra dépenser environ 200 000 dollars pour une action judiciaire aux États-Unis pour prouver que l’Enola ne mérite pas un brevet et que celui-ci doit être annulé ; c’est donc de l’argent perdu pour démontrer quelque chose de logique et d’évident, dit Ribeiro.

RAFI, dont le siège est au Canada, se consacre à faire des enquêtes et à réaliser des campagnes contre la biopiraterie dans les pays en développement.

Ribeiro a ajouté que ce qui s’est passé avec l’Enola est la démonstration, d’une part, de la fragilité ou de l’inexistence des normes internationales pour la régulation des brevets d’êtres vivants et, d’autre part, du manque de protection des pays en développement face à la biopiraterie.

D’après les documents de RAFI, « le brevet d’Enola n’est qu’un cas de plus dans une longue liste d’abus. »

Les haricots mexicains, le riz du sud-est asiatique, la quinoa bolivienne, l’ayahuasca amazonienne et les pois chiches d’Inde sont quelques-uns des cas notoires de demandes de propriété intellectuelle présentées dans les pays industrialisés.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2444.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, novembre 2000.
 
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