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DIAL 2516

AMÉRIQUE LATINE - Filiales de multinationales : les maquilas. I.- l’implantation des entreprises de sous-traitance

Eduardo Tamayo

samedi 1er décembre 2001, mis en ligne par Dial

DIAL consacre trois dossiers successifs (D 2516, D 2517 et D 2518) aux maquilas, ces entreprises de sous-traitance implantées en Amérique latine, surtout au Mexique et en Amérique centrale, par des entreprises transnationales d’origine nord-américaine, asiatique ou européenne. Selon certaines estimations, il y aurait plus de 500 000 personnes travaillant dans des maquilas, l’immense majorité étant composée de femmes. Le faible coût de la main-d’œuvre, les exonérations diverses accordées par des États dans le cadre de zones franches, la grande flexibilité en matière de droit du travail sont autant d’atouts qui permettent aux multinationales de trouver dans ces pays des conditions particulièrement favorables à une rapide croissance de leurs profits.

Le premier article (D 2516) donne une présentation générale de l’implantation des maquilas, de ses causes et de ses effets. Le second (D 2517) laisse s’exprimer directement des personnes travaillant dans des maquilas au Mexique. Le troisième (D 2518) est consacré à la situation faite aux femmes dans ces entreprises. L’article ci-dessous, dû à Eduardo Tamayo, est paru dans America Latina en Movimiento/ALAI, 14 novembre 2000.


Le terme maquila est associé à des expressions comme « précarité », « abus, harcèlement et violence sexuelle contre les femmes », « manque de liberté syndicale et de négociation », « salaires de misère » et « journées de travail longues et épuisantes ».

Bien que les maquilas soient apparues en Amérique latine dans les années 60 et 70, sous l’égide des États-Unis, c’est dans les années 90 qu’elles ont pris une grande ampleur avec la libéralisation du commerce international et la mondialisation de l’économie.

Le droit du travail, reconnu dans de nombreuses déclarations et conventions internationales, est lettre morte pour de nombreux gouvernements, transnationales et patrons des usines maquilas, pour qui le but suprême de la rentabilité justifie tous les moyens. Dans cet article, nous allons pénétrer à l’intérieur du « phénomène de la maquila » au Mexique, en Amérique centrale et en République dominicaine.

Bon, beau, et pas cher

Maquila est un mot arabe qui signifie, selon le dictionnaire, « part de grain, de farine ou d’huile qui revient au meunier pour l’action de moudre ». En Amérique centrale et au Mexique, on appelle maquila les activités économiques nationales ou étrangères qui exécutent une partie très précise du processus de production.

Les maquilas commencent, achèvent ou contribuent de quelque façon à l’élaboration d’un produit destiné à l’exportation ; elles sont situées dans les « zones franches » ou « zones d’industries d’exportation » où elles profitent de nombreux avantages offerts par les pays d’accueil.

Dans un contexte de forte compétition, les transnationales cherchent à diminuer au maximum les coûts de production en transférant certaines activités de production des pays industrialisés vers les pays périphériques à bas salaires, surtout dans les secteurs qui utilisent beaucoup de main-d’œuvre.

Le défi de répondre rapidement à la demande de produits ayant des cycles de vie courts et des standards de qualité plus stricts ont amené les transnationales à adopter de nouvelles technologies et de nouvelles formes d’organisation de la production et du travail. « Le défi consiste à produire avec le maximum de qualité dans le minimum de temps, et en utilisant la main-d’œuvre bon marché que toutes les autres usines utilisent aussi », dit l’étude El fenómeno maquilador en México y Honduras [Le phénomène maquila au Mexique et au Honduras] de la Confédération mondiale du travail. Dans les maquilas du Honduras, par exemple, le processus de production est divisé en deux : pour le dessin et la coupe des vêtements, on utilise des systèmes technologiques de dernière génération assistés par ordinateur et des machines électroniques de haute définition, alors que dans l’assemblage et la couture prédominent les machines simples avec un faible niveau d’automatisation et qui nécessitent une utilisation massive de main-d’œuvre.

Pourquoi partent-ils ?

La délocalisation de l’activité de production des transnationales est un phénomène mondial et elle s’est effectuée à partir de l’Amérique du Nord vers le Mexique, l’Amérique centrale et l’Asie, mais aussi à partir de Taïwan, du Japon et de la Corée du Sud vers le Sud-Est asiatique et l’Amérique latine, pour approvisionner le marché des États-Unis. En Europe, les entreprises italiennes, allemandes et françaises ont d’abord transféré leurs activités de production vers les pays aux salaires plus bas comme la Grèce, la Turquie et le Portugal, puis après la chute du mur, vers l’Europe de l’Est. À l’heure actuelle, elles se sont installées aussi en Amérique latine.

La restructuration des entreprises se fait au milieu de nombreux conflits sociaux dans les pays du Nord, car des centaines d’usines ferment et mettent au chômage des milliers de travailleurs. Dans les années 90, plus de 900 000 emplois ont été perdus aux États-Unis dans le secteur textile et 200 000 dans le secteur électronique.

Coût de l’heure de travail en 1998
Pays Dollars
Mexique 1,51
Taiwan 5,82
Corée du Sud 7,40
États-Unis 17,20
Japon 23,66
Allemagne 31,88

Source : El fenómeno maquilador en México y Honduras, CMT, mars 2000.

Les maquilas profitent de l’énorme différence entre les salaires du Sud et ceux du Nord. Alors qu’un ouvrier mexicain gagnait en 1998 1,51 dollar de l’heure, celui des États-Unis, pour le même travail obtenait 17,2 dollars, c’est-à-dire 11 fois plus. La différence avec l’Allemagne et le Japon est encore plus grande. Les salaires payés au Mexique sont même inférieurs à ceux de Corée du Sud et de Taiwan, comme l’indique le tableau suivant :

Il y a aussi un abîme entre les salaires payés par les maquilas aux travailleurs et aux travailleuses et le prix final des produits que les supermarchés vendent au public. Par exemple, pour une chemise de marque GAP, un consommateur canadien paye 34 dollars étasuniens, alors qu’en El Salvador une ouvrière en gagne 0,27 pour la confectionner. Et que dire de l’inégalité de revenus entre les dirigeants des transnationales et les ouvriers ? Le Réseau de solidarité de la maquila, dont le siège est à Toronto, calcule que le gain sur le papier du président de Nike, Phil Knight, est de 215 millions de dollars, 10 fois les gains de 55 000 travailleurs indonésiens de la transnationale !

Les bénéfices faits par les maquilas sont encore plus importants si on prend en compte qu’elles reçoivent des dollars étasuniens pour leurs ventes alors qu’elles payent les salaires en monnaie locale qui se dévalue sans cesse par rapport au dollar.

En Amérique latine

Les maquilas prennent une importance croissante. Au Mexique, un quart de la main-d’œuvre industrielle (plus de 1,1 million de travailleurs et travailleuses) travaille dans les 4 079 usines maquilas qui sont installées non plus seulement dans les États frontaliers avec les États-Unis mais dans l’intérieur du pays. Au Costa Rica, en El Salvador, au Honduras, au Guatemala, au Panama et en République dominicaine, les postes de travail dans les maquilas dépassent largement les 500 000.

Au Mexique, l’ALENA (Accord de libre échange de l’Amérique du Nord) qui démarre en 1994, a fait augmenter l’installation de grandes multinationales, comme la General Electric, AT&T, Chrysler, Zenith, Ford Motor Company, General Motors, Mattel Toys, Panasonic, Matsuhita electronic, Motorola, Philips consumer electronics, Sansonite et Jonson & Jonson Medical, Delphi Packard-Electric Systems, United Technologies/Autodivision, American Yasaki Corporation, etc. Elles représentent des secteurs aussi variés que la confection, les accessoires et les machines électriques et électroniques, les meubles, les automobiles, la chimie, l’alimentation, les jouets, les chaussures et le cuir.

En Amérique centrale et dans les Caraïbes, les maquilas se consacrent surtout au secteur textile et au vêtement, bien que quelques-unes fassent aussi du montage électronique. Les plus grandes usines maquilas sont de propriété coréenne, taïwanaise et nord-américaine ; elles produisent, sous contrat, pour les grands magasins et les grandes marques des États-Unis, qui vendent leurs produits aux États-Unis et au Canada.

L’Organisation internationale du travail (OIT), dans son étude La situación en las zonas francas y empresas maquiladoras del Istmo Centro americano y República Dominicana [La situation dans les zones franches et les entreprises maquilas de l’isthme centraméricain et en République domicaine] affirme : « Un phénomène intéressant qui accompagne cette production c’est lorsqu’une maquila pratique elle-même la sous-traitance avec d’autres. Ce type de sous-traitance peut s’établir entre deux entreprises maquilas, ou entre une maquila et des particuliers, des ateliers familiaux ou des micro-entreprises. »

Est-ce la solution ?

Le modèle CEPAL [1] d’industrialisation par substitution d’importations, dans lequel l’État jouait un rôle central et dont l’objectif, du moins en théorie, était de fournir le marché interne, a été dépassé. Les gouvernements qui accueillent les maquilas ont abandonné tout projet de développement national et ils s’insèrent dans l’économie globalisée en offrant une main-d’œuvre abondante, jeune et bon marché.

Dans une situation de crise, d’ajustements structurels, de croissance sans précédent de la pauvreté, du sous-emploi et du chômage, les gouvernements se font désespérément concurrence pour attirer l’investissement étranger, en faisant des concessions fiscales, financières, sur les conditions de travail et de l’environnement incompatibles avec le respect des droits humains, les intérêts de leurs propres peuples et, bien sûr, avec les accords et les traités internationaux concernant le travail et l’environnement qu’ils ont signés et qu’ils se sont engagés à respecter.

Parmi les autres avantages dont jouissent les investisseurs étrangers, on peut citer, selon l’étude de l’OIT : pas de tradition syndicale, flexibilité du travail, exemption d’impôts et de droits de douane sur les éléments importés pour la production et sur les produits exportés, rapatriement des bénéfices sans restriction, crédits à faibles taux d’intérêt avec des échéances attractives, bons systèmes de communication et de transport, exemptions fiscales diverses, subventions pour les infrastructures, les routes, les services d’énergie, etc.

Les maquilas sont présentées par les gouvernements comme la panacée pour « combattre le chômage, obtenir des devises et des transferts de technologie ». Est-ce bien le cas ? Plusieurs études et opinions confirment que la réponse est franchement négative.

Les gouvernements d’Amérique centrale se vantent de leurs chiffres d’exportation qui soi-disant augmentent rapidement grâce à l’industrie des maquilas. Six pays de la région (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Panama) exportent plus de 3 000 millions de dollars, selon l’étude Les Républiques maquilas de Karin Lievens, de Oxfam solidarité de Belgique. Mais la réalité n’est pas comme ils la décrivent.

En El Salvador, par exemple, en 1996, les maquilas ont exporté environ 709,7 millions de dollars, mais, en même temps, les entreprises ont importé environ 541,5 millions de dollars. En fait, il s’agit des mêmes produits : on importe du pays d’origine des chemises, des pantalons, des T-shirts ou des vêtements qui, après avoir été confectionnés, repassés et empaquetés sont de nouveau réexportés. Le solde qui reste après les deux opérations atteint à peine 168,2 millions de dollars. Il s’agit de la valeur ajoutée au titre de la location des terrains aux maquilas, des salaires, des coûts d’approvisionnement en eau potable, en électricité, de la maintenance des machines. Aucun impôt n’est perçu sur les exportations et les importations, ni taxes communales, ni droits de douane. Les maquilas n’utilisent pas les matières premières nationales (sauf s’il s’agit de produits agricoles ou de bois), parce qu’elles importent tous les élements nécessaires à la production, du fil aux boutons. Et elles ne transmettent pas non plus de connaissances et de technologie, parce que l’industrie du vêtement, à ce stade, ne requiert pas de technologies avancées, selon l’étude de Oxfam Belgique.

Il est intéressant de noter que, jusqu’à ces dernières années, les importations d’éléments nécessaires à la production et les exportations de produits élaborés dans les maquilas n’étaient pas enregistrées dans la balance commerciale des pays et que l’on comptait seulement les services de transformation. Cependant, suite à des « recommandations » du Fonds monétaire international, ces données ont été incorporées à la balance commerciale, ce qui permet de donner l’illusion d’une industrialisation et d’une prospérité inexistantes.

Où sont les bénéfices ?

Alejandro Villamar, qui fait partie du Réseau mexicain d’action face au libre échange, confirme qu’au Mexique, 2 % seulement des composants des exportations des maquilas sont nationaux, le reste est entièrement importé. « Mais, ajoute-t-il, ce qu’il y a de terrible dans le problème des maquilas, c’est tous les produits toxiques que laisse ce type d’industrie. Il n’y a pas d’infrastructure pour l’environnement, la majorité des entreprises ne donnent pas d’informations ni ne respecte l’obligation de renvoyer tous les déchets toxiques vers leur lieu d’origine et il s’ensuit que les personnes affectées ne sont pas seulement les travailleurs qui sont dans la maquila, mais toute la communauté, y compris les enfants et les personnes âgées. Le nord de la République a les taux les plus élevés pour les enfants qui naissent sans cerveau, avec une colonne vertébrale tordue ou avec des cancers dans différentes parties du corps. »

Dans des villes comme Matamoros, Brownsville, Tamaulipas, Ciudad Acuña et Coahuila, en effet, on a enregistré la naissance d’enfants avec des malformations physiques et des retards mentaux. Les autorités médicales ont enregistré 91 de ces cas entre 1989 et 1992. En 1991, 51 mères ayant travaillé dans l’usine Mailory Capacitator et ayant eu des enfants avec des malformations ont porté plainte en exigeant des indemnisations pour non-respect des normes d’hygiène du travail. On a pu prouver que ces travailleuses avaient manipulé directement les substances toxiques sans protection et avaient été soumises à des rythmes intenses de travail dans des locaux insalubres.

Dans beaucoup d’usines maquilas, les systèmes élémentaires de sécurité et d’hygiène du travail n’existent pas. Dans les entreprises FTE Commu-nication Systems (Ciudad Juárez), Grand Band Comunications, Retzloff Chemical Planta Petrolite, CMI, Mariscos Bagdad Processing et Deltronicos General Motors de Matamoros, des dizaines de travailleuses ont souffert d’intoxications et de lésions causées par la manipulation de produits toxiques ou par l’absence de mesures de sécurité dans le travail.

Dans les zones où se trouvent situées les maquilas, il y a de sérieux problèmes d’égouts, d’eau potable et de ramassage des ordures pour les résidents et, à côté de l’économie informelle, se développent aussi la délinquance et le trafic de drogues.

Le Réseau mexicain d’action face au libre-échange, constitué d’organisations civiles et d’ONG, a fait des études spécifiques sur toute la frontière nord du Mexique et a vérifié que les entreprises ne tiennent pas les engagements d’ordre international, pratiquent une politique à double standard dans le domaine du travail et dans celui de l’environnement, et ne suivent aucun code de conduite. « C’est l’avantage que leur a apporté un Traité de libre-échange dont le modèle s’étend à toute l’Amérique centrale, et que l’on a l’intention d’introduire dans tout le reste de l’Amérique latine et les Caraïbes avec l’Accord de libre-échange nord-américain », conclut Villamar.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2516.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : America Latina en Movimiento/ALAI, novembre 2000.

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[1Commission économique pour l’Amérique latine, organisme de l’ONU (NdT).

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