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DIAL 3371 - Cahiers de la Mémoire et de la Vérité, volume IV
Prix Nobel de la paix : L’implication de la dictature militaire brésilienne contre la nomination de Dom Helder Camara. Deuxième partie
Commission d’État de la Mémoire et de la Vérité Dom Helder Camara, Secrétariat du Cabinet civil, Gouvernement de l’État de Pernambouc
lundi 9 mai 2016, mis en ligne par
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C’est une grâce divine de bien partir. Une plus grande grâce est de continuer sur le bon chemin. Mais la grâce des grâces est de ne jamais renoncer.
Helder Camara.
Des documents obtenus par le CEMVDHC, via le ministère des affaires étrangères, lèvent le voile sur une manipulation de « neutralisation » par le régime militaire brésilien de la nomination de Dom Helder Camara au prix Nobel de la paix. Des manœuvres diplomatiques se mettent en place pour préparer les dossiers, diffuser des informations pernicieuses et surveiller le Comité du prix Nobel pendant 4 ans.
La campagne de diffamation et de persécution politique à l’encontre de l’archevêque Camara a pris de l’ampleur lors de son éloignement politique d’avec les militaires ; un éloignement qui s’est produit graduellement et parallèlement à des actions unilatérales et à la suspension graduelle des droits civiques et politiques que le régime a menée contre les personnes et les institutions.
2.1. Les premières tensions entre l’État et Dom Helder, au Pernambouc
Les débuts de Dom Helder à la direction du nouvel archidiocèse d’Olinda et Recife semblaient s’accommoder du régime militaire. Toutefois, dans ses prières à l’Esprit Saint au mois de mai 1964 [1], on devinait quelques doutes au sujet du régime qui venait de prendre place.
Donne-nous, Esprit Saint, le Don du Conseil. Le moment est tellement extrême. Les esprits sont tellement intenses. La radicalisation est si grande. Chacun possède sa parcelle de vérité, mais on discute comme si, par ailleurs, il y avait seulement erreur et méchanceté. Il est difficile d’adopter une attitude courante d’humilité, qui oblige tout un chacun à admettre que nous nous sommes tous trompés, chacun à sa manière et à divers niveaux. [2]
On sent dans la prière ci-dessus, la perplexité de celui qui est souvent contraint à prendre des décisions immédiates, « sans délai pour une discussion, en dépendant presque toujours, à tort ou à raison, de la réponse à fournir immédiatement, de l’attitude à adopter sur le champ ! » comme il s’en épanchait sur un ton angoissé à la « famille mecejanense » [3] Il demandait la lumière à l’Esprit Saint pour dire non, dire un « ça suffit » au bon moment mais sans que cela apparaisse « comme de la mauvaise volonté ou une envie de saboter ». Et il concluait sa prière par : « Illumine-nous en nous-mêmes. Guide-nous sans en demander l’autorisation. Assume la direction. Commande. Amen. » [4]
Quelques mois plus tard, en août 1964, lors d’une discussion de deux heures avec le Général Carlos Murici [5], « une discussion franche et très pondérée avec des arguments auxquels il était difficile de répondre » à un certain moment, Dom Helder a déclaré :
Vous êtes dépassés. Pendant que vous perdez votre temps à rechercher les possibles conspirateurs d’hier, vous ne suivez plus, chez vous, les mobilisations et contre-mobilisations des conspirateurs d’aujourd’hui. […]
Général : celui qui vous parle est votre Évêque. Un homme qui, à chaque fois, désire ne pas avoir la moindre trace d’amertume dans son cœur. Écoutez ce conseil fraternel : le temps ne fait pas l’affaire de la Révolution. Elle a gagné trop rapidement. La sincérité anticommuniste de nombreux militaires a été mise en cause, elle s’est relâchée ; elle est devenue incontournable par l’anticommunisme d’hommes d’entreprises qui voulaient uniquement défendre leur propre intérêt.
Aujourd’hui, ce sont les mêmes, tous les mêmes, qui jettent les militaires les uns contre les autres, sans la moindre sensibilité de qui a la moindre considération pour le pays, pour le bien commun, du moment que leurs privilèges sont intacts. [6]
La coexistence entre l’Église, du Nord-Est et les nouveaux maîtres n’a pas tardé à se détériorer. Lors d’une réunion organisée à la Maison de retraite [7], quartier Beberibe à Recife, pendant les journées du 12 au 14 juillet 1966, les évêques de la régionale Nord-Est ont rédigé une déclaration de la Commission épiscopale du Nord-Est II [8], sur les conditions de sous-développement de la région, ce qui a provoqué une réaction agressive des militaires avec répercussion auprès des médias locaux et « l’intervention de la IVe armée » :
Le Jornal do Comércio de Recife, dans ses éditions du 16 et 24 juin [1966] a enquêté de façon injurieuse à l’encontre des évêques du Nord-Est II, en qualifiant, sans preuve, de subversive la Déclaration de ceux-ci après la rencontre à Beberibe. Il y a eu échange de courriers entre l’archevêque de Recife et le Jornal do Comércio, ce qui a permis d’arriver à un accord honorable. Mais même ainsi, les autres organes de l’entreprise Jornal do Comércio continuent de temps à autre les insultes dont ils se sont pourtant excusés, en mettant en cause, en privé, la direction de l’entreprise qui fait référence aux interventions de la IVe armée. [9]
La Présidence de la République est intervenue aussitôt dans le conflit. Lors d’une visite à Recife, le 14 août 1966, le président à l’époque, le général Humberto Alencar Castelo Branco a convié l’archevêque à une rencontre au siège du gouvernement de l’État de Pernambouc. Le président et l’archevêque ont discuté pendant près d’une heure dans un climat de grande cordialité, en laissant bien clair, tout d’abord, que les militaires n’admettraient pas une quelconque ambiguïté et provocation qui viendraient à surgir entre la IVe armée et l’Église, sur la personne de Dom Helder et des autres évêques du Nord-Est. Il a complété son message : « seule une grande stupidité peut faire oublier que jamais un gouvernement, pour aussi fort qu’il se considère, peut s’en tirer à bon compte dans un conflit avec l’Église » [10].
De son côté, Dom Helder a campé sur ses positions. Par exemple, lors d’une entrevue à la revue Confirmando de Buenos Aires, en 1969, à la question du journaliste sur les risques d’oublier les valeurs éternelles et surnaturelles afin de résoudre les problèmes quotidiens, il a répondu :
Où n’existe-t-il pas de danger ? Bien évidemment qu’il existe un risque d’oublier les valeurs éternelles et surnaturelles par excès de préoccupation avec des valeurs plus terre à terre, tout comme il existe le problème de l’excès suivant : prêcher une religion aliénée, en donnant raison à Marx, de représenter une religion opium du peuple. [11]
La tension entre les militaires et l’archevêque sont devenues peu à peu permanentes. Les incidents se multipliaient.
Aussitôt décrété l’Acte institutionnel n° 5 (AI-5 ou les pleins pouvoirs) Dom Helder Camara a eu un entretien cordial avec le général Alfredo Souto Malan, qui avait remplacé le général Rafael de Souza Aguiar, à la tête de la IVe armée. Et ils ont décidé de surmonter ou d’éviter tous les incidents qui pouvaient être surmontés. Même ainsi, et la semaine suivante, le même général Malan a convoqué le responsable juridique de la 7e région, pour savoir comment inclure dans la Loi de sécurité nationale, l’archevêque d’Olinda et Recife et celui de la ville de João Pessoa, Dom José Maria Pires [12] avec conseil d’en discuter, avant toute chose, avec le président de la République.
Dom Helder ne s’est pas laissé intimider. Il a continué son travail de défenseur de la liberté et de la démocratie, en appuyant, au passage, les manifestations étudiantes contre les conséquences du décret-loi n° 477 du 26 février 1969, connu sous le nom d’Acte institutionnel (AI) des universités, qui a institué de manière sommaire la punition des professeurs, des élèves, des fonctionnaires ou employés des établissements d’enseignement accusés de subversion vis-à-vis du régime militaire.
En 1970, il déclarait « la censure a interdit toute allusion aux tortures dans l’État du Maranhão. Nous ne pourrons pas avoir la moindre information sur cette interdiction absurde et compromettante » [13].
Le dossier sur Dom Helder Camara au DOPS [14] du Pernambouc [15] est un document révélateur de son action militante. On y trouve les registres des procès et dénonciations de Dom Helder, dans lesquels les personnes qui s’y sentaient menacées répondaient par des interpellations judiciaires, par exemple lors du discours qu’il a prononcé dans la ville de Carpina à la clôture de la « Rencontre des Fédérations des travailleurs ruraux, sous le titre de « Une franche conversation fait de bons amis » [16].
Un avocat du Pernambouc, se sentant concerné, a assigné l’archevêque en justice. Dom Helder a comparu au tribunal, pour sa défense. À cette occasion, il a déclaré :
[…] Permettez-moi, Votre Excellence, que je transcrive dans son intégralité, le passage auquel je fais allusion sur le discours de Carpina, ce qui me donnera l’occasion, par la suite, de faire les commentaires que l’interpellation judiciaire autorise : Permettez-moi de vous alerter d’un second cancer qui nous ronge de l’intérieur. Les ouvriers ont besoin d’avocats. Mais ils doivent les repousser comme des traîtres. Les avocats des syndicats ouvriers reçoivent de l’argent du patronat pour que les ouvriers recourent à des avocats immoraux et partiaux. Si les ouvriers ouvraient les yeux, ils découvriraient qu’à côté des avocats honnêtes et dignes, il y a des minables qui s’enrichissent au prix des larmes, de la sueur et du sang des ouvriers. Il ne m’appartient pas d’en dire plus. Mais avec ma responsabilité de Pasteur, je trahirais mon peuple si je ne dénonçais pas les exploiteurs déguisés en avocats, touchant des 2 côtés, et faisant des contrats qui sont des injustices méritant la malédiction de Dieu. »
Ceci dit, de nombreuses et très dignes personnes de notre Forum se sont senties très à l’aise parmi « les avocats honnêtes et dignes » que j’ai eu soin de citer et se sont empressées d’applaudir cette mise en garde contre les « exploiteurs déguisés en avocats » qui s’enrichissent au prix des larmes, de la sueur et du sang des ouvriers.
[…] Après cela, mes amis, j’ai pensé à vous ! J’ai surtout pensé à ceux dont j’emprunte la voix. Si je n’étais pas allé au tribunal voir le juge, ils resteraient avec la douloureuse impression que je m’agenouillais devant les Puissants. J’ai voulu laisser bien clair que pour défendre les vérités que je colporte, je suis prêt à affronter la justice, la prison, et même la mort si cela correspond à la volonté de Dieu que je donne ma vie pour vous. [17]
Lors d’un autre discours qu’il avait intitulé « Examen d’admission » lorsqu’il a reçu le titre de « Citoyen du Pernambouc » [18], le 25 septembre 1967, à l’Assemblée législative du Pernambouc, il a demandé au public présent ce que penseraient les Abolitionnistes d’hier – Nabuco, Castro Alves et même la Princesse Isabelle – s’ils voyaient la situation des ouvriers de l’industrie agricole du Pernambouc. Comment réagiraient-ils face à des salaires si souvent volés ? Il a conclu : « il est urgent de terminer l’Abolition » Au passage, il a remémoré les épisodes libertaires et la soif démocratique des gens du Pernambouc. Il a prononcé sa « Parole finale de remerciement et d’espoir » :
Vous avez senti, sans aucun doute, mes chers concitoyens, ce qui se cache comme amour derrière les mises en garde qui résonnent et certaines fois, si difficiles à entendre.
Quand on s’accroche trop brutalement par son alliance, il faut se rappeler qu’il y a risque de s’arracher le doigt mais aussi la main, voire le bras.
Vous avez certainement compris que je suis exigeant avec la démocratie car j’ai confiance en elle et cela me désole de voir comment reculent les démocraties où les riches deviennent toujours de plus en plus riches et les pauvres toujours de plus en plus pauvres.
Comme vous pouvez le comprendre, il me reste l’espoir d’avoir ce titre [de Citoyen] ce qui m’obligera à me consacrer davantage à ce cher Nord-Est où je suis né et tout particulièrement à cette foule du Pernambouc dont le destin vers la Providence a toujours décidé de mon propre destin. [19]
Toujours dans le but de maîtriser des discours et des actions considérées comme hostiles et attentatoires à la réputation du gouvernement brésilien, qui lui causeraient préjudice par leurs répercussions nationales et internationales, il a été suggéré un éloignement de l’archevêque Dom Helder Camara de son « aire d’influence » pour essayer ainsi de diminuer la progression de la « subversion qu’il propage de manière sous-rampante » ; bien qu’ils considéraient difficile d’éliminer une telle propagation « des distorsions et déformations de l’Évangile » [20].
Un protocole secret sur ce sujet, en date du 13 avril 1970, a été transmis par le Colonel Octávio Aguiar de Medeiros, secrétaire assistant du chef du cabinet militaire de la Présidence de la République, au chef du SNI [21] et qui contenait un écrit de l’Officier E2 de la IVe armée, sans signature et destiné à son « ami Figueiredo ».
SECRET
Cher Figueiredo,
Avec toute mon amitié.Voici un exemplaire du Diário da Noite de Recife, lequel traduit fidèlement les manœuvres subversives qui se développent au sein de l’Église catholique, sous la direction de Dom Helder Camara. Son contenu se passe de commentaires et sert d’exemple sur les distorsions et déformations de l’évangile, avec toute la liste des conséquences dans le domaine psycho-social de cette région du Nord-est.
En poste à Recife depuis 5 ans, dont 2 en tant que E2 / IVe armée, je suis en mesure d’affirmer avec certitude que toute la subversion dans cette région a pour origine le clergé, dirigé d’une façon particulière, par Dom Helder Camara. Son action a été contenue dans la mesure de nos possibilités. Cependant, en tant que prélat libre de ses déplacements en tous lieux, la subversion qu’il répand de façon rampante, pourrait être, si elle n’est pas éliminée, réduite, au cas où il serait retiré toutefois de ce secteur.
Et, pensant que vous pourriez abonder en ce sens, voilà pourquoi je vous écris cette petite missive.
Tout en demeurant votre ami. [22]
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2.2. L’éloignement entre les militaires et Dom Helder
La fermeté de sa position vis-à-vis des persécutions, la prison, les tortures et la mort des ouvriers et des prisonniers politiques générait en retour des menaces constantes pour sa vie et celle de ses collaborateurs les plus proches. Ce sont des menaces de ce genre qui se sont concrétisées avec l’assassinat du P. Henrique, le 27 mai 1968, et relaté dans une publication présentée par cette Commission, et où le côté politique du supplice et de l’assassinat ont été soulignés [23].
L’assassinat du P. Henrique avait pour but d’atteindre Dom Helder Camara, comme le fait remarquer le P. José Ernanne Pinheiro [24].
[…] Le massacre barbare du Père Antônio Henrique Pereira Neto a été un évènement qui l’a atteint personnellement, l’acte le plus significatif de la persécution perverse, vis-à-vis de lui comme de l’Église d’Olinda et Recife. Le Père Antônio Henrique avait été formé à l’école de son Pasteur. Il était également le fruit du renouveau de l’Église, en plein Concile Vatican II. [25]
La censure contre l’évêque était couverte par la loi de la Sécurité nationale. La presse intérieure, réduite au silence, le prestige et la reconnaissance internationale de Dom Helder lui permettaient de fréquenter d’autres endroits et d’autres publics dans sa lutte contre les violations fréquentes des droits humains qui se produisaient dans son pays. De son côté, le régime militaire cherchait à donner l’image d’une Église contaminée par un groupe d’évêques ennemis du système. Comme le montre Paulo César Gomes :
[…] Le discours du monde de l’information met en évidence ce qui était en question chez les militaires : donner l’image de quelques évêques, qualifiés également « d’évêques gauchistes », et adversaires de l’État. D’une manière générale, les analystes se plaçaient en position de supériorité morale vis-à-vis des évêques. Pour eux, était évident le rapprochement d’une aile bien particulière de l’Église avec les idées communistes, notamment quand elles défendaient les droits humains. [26]
Kenneth P. Serbin souligne, à notre attention, que, parallèlement, le régime s’efforçait d’instituer une collaboration ou même une alliance politique entre les hautes sphères de l’Église et la dictature militaire par le biais de réunions, de rapports et d’informations. Cette démarche a été dénommée « Commission bipartite » :
La Bipartite a concerné d’autres sujets cruciaux pour l’identité religieuse et les intérêts institutionnels de l’Église. Au sujet de certains d’entre eux, les deux aspects se rejoignaient facilement. L’un de ceux-ci était l’anticommunisme. Dans les années 70, l’Église s’était alliée à la gauche dans la lutte pour la démocratie, les théologiens de la libération, et des évêques radicaux ont adopté le socialisme comme solution aux problèmes sociaux et économiques du Brésil. Mais comme le cas de Dom Fernando l’a montré, même de cette façon, quelques progressistes se sont opposés fermement au communisme. Lors de la réunion finale de la Bipartite, en août 1974, le groupe religieux a voulu connaître les raisons de la décision du gouvernement Geisel de rompre les relations avec Formose et rétablir des liens avec la Chine communiste. Le général Muricy a expliqué que la reconnaissance diplomatique était inévitable. Le Brésil, pourtant, n’accepterait pas l’idéologie de la Chine. L’attitude du Brésil visait l’ouverture de nouveaux marchés commerciaux, au nom d’un sain pragmatisme, a alors observé le professeur Padilha. Bien que n’étant pas opposé aux relations avec la Chine, Dom Avelar a toutefois noté l’ironie de la situation. Lors d’un forum durant lequel le groupe du jour avait fréquemment fait référence à des infiltrations communistes au sein de l’Église, il a intervertit les rôles : comment la nouvelle politique s’articulait-elle avec la préoccupation du régime au sujet de la guerre révolutionnaire au Brésil ? La seule réponse que Padilha a pu fournir c’est que le Brésil continuait à être vigilant vis-à-vis du communisme. [27]
C’est sur la scène internationale que le silence de Dom Helder a été rompu. Sa stature morale et intellectuelle, ses déplacements surtout au sein des milieux religieux européens, ses contacts avec la presse mondiale l’avaient placé en position stratégique pour répandre ses idées et ses dénonciations. La proximité de l’archevêque d’Olinda et Recife avec le pape Paul VI, en avait fait un interlocuteur assidu du Vatican qui attendait de lui des réponses, à chaque fois plus délicates, sur une prise de position de l’Église dans le contexte politique et social brésilien.
Une reconnaissance cardinalice devenait vraisemblable, en de telles circonstances. Devant une telle possibilité, les menaces contre Dom Helder se sont multipliées : on a pensé, par exemple, l’éloigner de Recife et même lui retirer son passeport [28].
Dom Helder avait un accès privilégié auprès du pape. Aussi bien le pouvoir que l’opposition tentaient de lui faire la cour pour qu’il vienne soutenir leurs respectives causes politiques. En 1965, par exemple, l’ambassadeur du Brésil au Vatican, Henrique de Souza Gomes, l’a poliment prévenu que les exilés brésiliens à Paris voulaient utiliser son nom. Lorsque Dom Helder s’est montré de moins en moins coopérant avec le régime, sont apparues des rumeurs relatives à des pressions diplomatiques pour l’écarter de Recife. Le gouvernement avait dû probablement œuvrer contre la nomination de Dom Helder comme cardinal pendant Vatican II. D’autres évêques, en revanche, laissaient entendre que sous peu il rejoindrait le groupe le plus radical de l’Église. Selon Raimundo Caramuru de Barros, assistant de Dom Helder pendant les années 60, un des ambassadeurs du Brésil à Santa Fé se vantait d’avoir œuvré avec succès contre sa promotion. Les bureaucrates du Vatican étaient aussi très prudents quant à la promotion d’un évêque si critique du pouvoir de Rome, comme l’était Dom Helder. Le critique le plus important, à l’extérieur. Pour restreindre les déplacements de Dom Helder, le ministre de la justice Alfredo Buzaid avait proposé au président que le gouvernement lui retire son passeport spécial d’archevêque. [29]
La décision d’annuler le passeport a été refusée par le ministre des affaires étrangères, Mário Gibson Barbosa, qui s’y est opposé, craignant les retombées de cette mesure et les dégâts pour le gouvernement.
Le ministre des affaires étrangères, Mário Gibson Barbosa, s’est opposé à cette mesure car elle était illégale. Il a fait remarquer que cette décision reviendrait à se tirer une balle dans le pied et finirait par renforcer la position de Dom Helder. Il a donc suggéré à Médici qu’il serait préférable que les évêques agissent à leur gré, pour éviter d’en faire des martyrs. C’était de bon conseil, mais bien évidemment, ce conseil a été ignoré puisque le régime et ses sympathisants continuaient leurs exactions. Suite à cela, les opposants à Dom Helder ont laissé entendre que les communistes contribuaient financièrement à ses déplacements. Le gouvernement a probablement ouvert une enquête sur eux. [30]
Pour contrecarrer les réseaux dont il disposait en Europe, la dictature a ouvert une campagne de diffamation à la recherche de faits et informations diffusés par des prêtres réputés ennemis de l’archevêque. À ce niveau, le but était de le démoraliser dans sa capacité de gestionnaire ecclésiastique et l’assimiler à une personne rebelle, sans tolérance vis-à-vis de la spiritualité chrétienne :
Un profil très précis de Dom Helder effectué par le DOPS-GB [31] dévoilait les stratégies de la campagne diffamatoire montée à son encontre par le régime. Le clergé conservateur ne collaborait pas avec le DOPS-GB contre les progressistes, car il craignait lui-aussi la répression et avait une image négative de la police. Selon le journal O Estado de São Paulo, le document sur Dom Helder a été rédigé par le prêtre conservateur Álvaro Negromonte et découvert parmi ses papiers après sa mort en 1964. Cette preuve, cependant, laisse penser que la police a élaboré ce document après consultation des clercs, ennemis de Dom Helder, et l’a conservé plusieurs années avant de le laisser filtrer. Le ton intime et le contenu bien renseigné du rapport font allusion à des réalisations de Dom Helder d’avant le coup d’État et montrent que ses auteurs ont reçu l’aide de personnes au sein de l’Église qui appartenaient au groupe conservateur des clercs qui appuyaient Dom Jaime. Frappé du tampon « secret », le document contenait une annotation, non pas de la main de l’auteur même, mais « selon l’appréciation du P. Negromonte ». Il portait aussi les initiales « D.J. », laissant entendre que Dom Jaime en personne, qui suite à des jalousies professionnelles, avait contribué à faire partir Dom Helder de Rio de Janeiro vers le Nord-Est, en 1964, avait donné son avis. [32]
Un document confidentiel en date du 18 août 1970, référence 806 [33], du SNI, mentionne la lettre du Nonce apostolique du Brésil, Dom Umberto Mozzoni, répondant à une enquête réalisée sur des documents attribués à Monseigneur Álvaro Negromonte. Dans ce communiqué de Dom Mozzoni, il dit simplement qu’il ne sera pas possible d’authentifier le document et qu’il ne connaissait pas de parents ou d’héritiers du Monseigneur Negromonte [34].
Le choix apparaissait évident : ou céder à la pression des généraux, ou résister avec les moyens à disposition. Dans ce contexte, l’un des conflits les plus dramatiques affrontés par Dom Helder fut sa mésentente avec le général Antônio Carlos Muricy, après une invitation à célébrer une messe de commémoration du deuxième anniversaire de la « Révolution ».
[…] Peu après le coup d’État, la troupe a envahi la résidence de l’archevêque, car il avait donné asile à la sœur du gouverneur déchu, Miguel Arraes. Des officiers de l’armée à Recife voulaient en finir avec l’archevêque, mais Muricy a réussi à les en empêcher et à maintenir des relations cordiales avec son ami. Les deux œuvraient pour éviter tout conflit entre l’Église et l’Armée, mais Muricy a, lui aussi, commencé à avoir des divergences avec Dom Helder au sujet de l’emprisonnement de militants catholiques et de quelques déclarations publiques de l’archevêque. En 1966, l’amitié entre eux a pris fin brutalement. Le 31 mars, lors du deuxième anniversaire de la Révolution, les deux se sont affrontés. Le commandement militaire, y compris Muricy, a fait pression sur Dom Helder pour célébrer une messe d’action de grâces pour l’armée. Toutefois, les amis et sympathisants de l’évêque l’ont convaincu de ne pas célébrer la cérémonie. Il a invoqué une clause de conscience et a refusé formellement l’invitation en considérant que l’événement était lié à la campagne électorale et de ce fait avant tout politique et non pas religieux. Muricy en est resté perplexe. Par pure coïncidence, une bombe placée par des gauchistes a explosé tout à côté de la maison du commandant de la IVe armée, le général Setúbal Portugal, avec lequel Muricy venait de se rencontrer. Une autre bombe a éclaté dans un bureau de poste. Au total, il y a eu 9 explosions, le 31 mars. Lors d’une apparition à la télévision pour fêter la Révolution, le général Muricy a dénoncé ces premières attaques terroristes contre le régime. Il a fini, en critiquant le refus de Helder de ne pas vouloir dire une messe. Bien que Dom Helder n’ait eu rien à voir avec ces explosions, Muricy a fait le rapprochement entre le terrorisme et la protestation morale de l’archevêque. [35]
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2.3. La diplomatie sous la tutelle de la Doctrine de la Sécurité nationale
Le 16 décembre 1969, un groupe de 61 éminents catholiques belges, français et italiens s’est présenté à la Commission pontificale de Justice et Paix – un organisme créé par le Pape Paul VI en janvier 1967, situé à Rome avec des représentants de tous les continents – avec un document en anglais, de 18 pages, intitulé « Terreur au Brésil : Un dossier » [36] basé sur des informations en provenance du Brésil, avec demande que cela soit remis au pape en urgence.
Le document présentait une chronologie des évènements survenus dans ce pays depuis le coup d’État militaro-civil de 1964 et publiait la déclaration de prisonniers politiques emprisonnés sur l’Île des fleurs (Rio de Janeiro) et mentionnait l’opposition de l’Église catholique aux politiques du régime.
La préface, signée par l’historien Michel de Certeau, un jésuite français, précisait que les informations contenues dans le rapport n’étaient qu’un aperçu de la violence politique généralisée [37].
Le dossier a été également publié dans un numéro de décembre 1969 de la revue française Croissance des jeunes nations sous le titre « Le Livre noir : Terreur et torture au Brésil ». Il contenait 16 documents séparés. Deux d’entre eux traitaient de l’assassinat du P. Antônio Henrique Pereira Neto, survenu dans la ville de Recife, en mai de cette année-là. Trois documents additionnels signés par l’archevêque d’Olinda et Recife, Dom Helder Camara, parlaient d’un nombre croissant de prêtres et sœurs catholiques, et non compris les laïques, victimes de la répression du pouvoir.
La Commission Justice et Paix a transmis le dossier directement au pape Paul VI. Cinq jours plus tard, il y a eu une entrevue entre Dom Helder et Paul VI, à Rome. Après la réunion, Dom Helder a commenté devant la presse ce que le pape lui avait dit : « Nous avons pris connaissance de la documentation envoyée par vos soins sur la torture au Brésil […] L’Église ne tolérera plus l’annonce d’atrocités et de tortures dans un pays qui se dit chrétien ». Fin mars 1970, dans un discours à la basilique Saint Pierre, pendant la semaine sainte, le pape Paul VI a fait une intervention en faveur des prisonniers politiques qui étaient torturés en Amérique latine [38].
En octobre de la même année, à Rome, à l’occasion d’une réunion avec Dom Aloísio Lorscheider, à l’époque secrétaire général de la CNBB, le pape Paul VI est revenu sur le même sujet.
À cette occasion, il a fait une intervention au sujet de la torture, en sollicitant une plus grande réflexion de la société, car les dénonciations croissantes des graves violations des droits humains en Amérique latine étaient des faits qui choquaient par leur singularité, leur gravité et leur répétition. [39]
Les militaires supposaient que la lutte contre le communisme était un point positif qui leur permettait une possible alliance avec l’Église catholique. Ils ne supportaient pas l’idée que leurs propres évêques puissent leur demander des comptes sur la scène internationale. Critique à répétition, Dom Helder Camara a vu son attitude jugée comme étant de la haute trahison aux principes défendus par le coup d’État militaro-civil au Brésil. S’est répandue alors la thèse que les religieux qui attaquaient le régime seraient traités comme des ennemis de l’État et encadrés par la loi de la Sécurité nationale. [40]
Kenneth Serbin définit ainsi cette période :
En mai 1970, [Dom Helder] a dénoncé la pratique de la torture au Brésil, lors d’une grande réunion à Paris. Cette intervention et bien d’autres ont conduit les généraux, furieux, à le considérer comme un traître. Le gouvernement a lancé une grande campagne de diffamation à l’encontre de Dom Helder et a intrigué, finalement avec succès, pour qu’il ne puisse obtenir le prix Nobel de la paix. Il a interdit ensuite que son nom apparaisse dans les médias. De nombreux modérés et même des conservateurs ont souffert de la répression. Par exemple le DOI-CODI [41] de Belo Horizonte a torturé à mort Aldo de Souza Neto, membre de l’ALN et petit neveu de Dom Jaime [de Barros Camara, cardinal archevêque de Rio Janeiro], suspecté d’avoir été lié à l’enlèvement de l’ambassadeur suisse, et fait prisonnier après avoir dévalisé une banque. Aldo était le fils d’un général, et comme tous ses frères, ils avaient fréquenté le collège Saint Ignace à Rio de Janeiro. [42]
Le général Sylvio Frota, ancien ministre des armées du gouvernement Geisel, a mentionné dans son livre de souvenirs la pression que Dom Helder Camara exerçait sur le régime militaire, quand il dénonçait sur la scène internationale, l’existence de la torture et les prisonniers politiques au Brésil :
Cette campagne se déroulait à l’étranger, avec une virulence toujours croissante. En 1969, l’évêque brésilien Dom Helder Camara a commencé en France avec la publication de son Livre noir – Terreur et torture au Brésil – [sic] en donnant, de cette façon, une impulsion à Amnesty International pour qu’elle prenne la tête de ce mouvement de dénigrement et de diffamation envers notre pays. Les années suivantes, avec l’appui et les réflexions de ce mouvement, se sont répandues en Europe et en Amérique, des publications explicites et clandestines sur la torture et le traitement des prisonniers politiques au Brésil ». [43]
Une des tactiques utilisées pour diminuer l’impact de telles actions et de la dénonciation des faits était de dénigrer l’image des exilés brésiliens. Un exemple parmi d’autres fut le Rapport élaboré par le gouvernement brésilien, en juin 1970, en réponse à la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), sur le cas n° 1684. Le 25 mars 1971, le ministre des armées, Alfredo Buzaid, a remis au président de la République, via le bureau GM n° 564-B, une copie du rapport en référence. [44]
Au début du 1er chapitre, les auteurs proposent une explication simple et directe des motifs qui ont conduit les opposants au régime à mener une campagne internationale de dénonciation des tortures et des violences perpétrées par le régime militaire « L’échec du Communisme, complexe de frustration et moteur des terroristes ».
Le refrain est connu. Le Brésil d’avant 1964, vivait dans un climat insurrectionnel provoqué ou même planifié par ceux qui détenaient le pouvoir. Au Nord-Est, par exemple, le gouverneur, Miguel Arraes aurait, soi-disant, organisé des milices communistes qui se seraient jointes aux ouvriers agricoles contre les propriétaires terriens. Le Président de la République, João Goulart, était devenu, à défaut d’être complice, très tolérant avec les mouvements des révoltés, au sein des propres forces armées, comme ce fut le cas avec le mouvement des sergents [45]. De son côté, Lionel Brizola, s’élevait ouvertement contre l’ordre constitutionnel. Dans les milieux intellectuels, l’adhésion des professeurs et de leurs élèves aux idées critiquant les institutions était alimentée par une pléthore de publications gauchistes.
Les forces armées, avec l’appui de secteurs notoires se seraient soulevées et provoqué un soulèvement militaire pour la défense de la démocratie : « Les forces armées, fraternisant avec le peuple, ont mis à bas le gouvernement de João Goulart. La Révolution démocratique triomphe, le 31 mars 1964, sans une goutte de sang » [46].
Le document soutient que les forces en déroute auraient réagi de deux façons : d’un côté, par l’installation de guérillas sur le continent (on parle de la présence de Che Guevara en Bolivie) ; de l’autre, par une campagne de dénonciations contre le régime, en l’accusant de recours à la violence et à la torture, contre ses adversaires.
Parallèlement à de telles opérations, débute une campagne diffamatoire à l’encontre du Brésil. Elle se développe de manière systématique, en accusant le Brésil de : a) maintenir en prison des hommes politiques, b) favoriser le génocide des Indiens, c) poursuivre les prêtres et prélats, d) soumettre les prisonniers à la torture. Ces injures se répandent aisément car les communistes étaient infiltrés dans les agences de presse et dans les différents médias. [47]
Pour sa défense, le régime déclare qu’il n’a aucun préjugé dans sa lutte contre « la subversion », ne faisant aucune distinction entre « riches et pauvres, prêtres et laïques ». « Personne ne peut se réclamer de privilèges ou passe-droits dans l’incitation au désordre », dit le document. L’Église catholique bénéficiait traditionnellement « d’une situation spéciale » dans le pays et la grande majorité des religieux étaient étrangers à ce conflit, tout en se maintenant, cependant, sous la protection de l’État :
Le Brésil est la plus grande nation catholique du monde. Il possède à peu près 250 évêques et des milliers de prêtres. Aucun évêque n’est poursuivi. Les prêtres qui le sont (ou mieux : les séminaristes) sont peu nombreux et leur nombre n’arrive pas à une vingtaine. L’Église catholique bénéficie d’une situation spéciale et maintient les meilleures relations possibles avec l’État. Comment peut-on alors parler de persécution religieuse ? Le gouvernement dans sa lutte contre la subversion ne fait pas de distinction entre riches et pauvres, prêtres et laïques, intellectuels et éléments de la subversion. Ceux-ci sont poursuivis et jugés par une justice compétente, sans distinction de couleur, de race ou de confession religieuse. En résumé, il existe des amis et des ennemis du Brésil. La loi est égale pour tous. Personne ne peut se réclamer de privilèges ou passe-droits dans l’incitation au désordre, encourager la lutte des classes, provoquer des grèves ou renverser le pays. [48]
Les dénonciations sur la pratique de la torture deviennent un sujet d’analyse par le Ministère de la Justice. Dans une partie de son document – « La question de la torture » – Miguel Arraes est décrit comme l’organisateur d’un réseau de diffusion de ces informations contre un régime que le document assimile au « Brésil » :
Sur la base de l’appui du « Front brésilien d’informations » avec son bureau situé à Alger et dirigé par le communiste Miguel Arraes, s’est organisé un réseau de « Comités de solidarité » répandus parmi divers pays et destinés à diffuser toute nouvelle susceptible de nuire au Brésil, en plus de chapeauter des activités culturelles hautement dégradantes pour notre pays. [49]
Dans un autre texte, « L’Analyse circonstanciée de diverses accusations » on trouve la note n° 1684, chapitre 1, assassinat du P. Antônio Henrique Pereira Neto, où l’on peut lire :
[…] L’assassinat du P. Henrique a reçu un traitement spécial par la presse en France, en Italie, en Belgique et en Allemagne. Divers messages d’organes et de personnes étrangères, connues comme étant communistes par l’archidiocèse, ont été publiés par la presse […] comme étant des « représailles du gouvernement contre D. Helder, en la personne du prêtre assassiné. La presse parisienne, toutefois, s’est détachée de la couverture du fait, notamment les journaux de gauche et liés au PCF. La nouvelle la plus importante a été « Un appel en faveur du Brésil » avec la signature d’environ quarante intellectuels et une très grande quantité de signatures de particuliers. La rédaction de cet appel oriente le problème vers un faisceau de calomnies et de diffamations contre le Brésil. « L’assassinat du P. Henrique Pereira Neto, assistant de la Jeunesse catholique de Recife, révèle brutalement à l’opinion mondiale, la violence de groupes occultes qui cherchent à montrer au peuple brésilien tout l’espoir de la libération ». [50]
Le souci du régime était avant tout d’empêcher les nouvelles ou les dénonciations liées à l’assassinant du P. Henrique comme étant un acte du régime militaire à l’encontre de Dom Helder Camara [51]. En ce sens, le Rapport Buzaid affirme simplement que la « vérité sur la mort du dénommé prêtre fait partie d’une enquête dirigée par un juge compétent [Aloísio Xavier] et impartial qui a transmis à la justice civile afin de juger les gens impliqués ». L’enquête désigne l’étudiant Rogério Matos qui a avoué le crime, parmi d’autres impliqués et définit l’assassinat du prêtre comme étant d’ordre personnel.
Le 28 août 1969, l’archidiocèse d’Olinda et Recife a rendu publics les commentaires de Dom Helder Camara sur le massacre du P. Henrique :
Comment oublier cette coïncidence : peu de temps avant ce qui est arrivé à Candido Melo, avoir été la cible, à l’aumônerie Dom Vital (l’endroit où travaillait le P. Antônio Henrique), les assaillants, ont, selon les dépositions de deux témoins cités dans le Rapport de la Commission Judiciaire, (partie finale de l’item V) vidé leurs armes aux cris de CCC (une version du Ku Klux Klan). Comment oublier que, selon le même rapport, au même item, c’est le CCC qui avait menacé le Père Henrique par téléphone. [52]
Au lieu d’essayer de le démentir, le régime, grâce à certains porte-paroles, cherchait à faire de Dom Helder une véritable caricature, en fournissant une liste de calomnies et insultes, ainsi définies par les observateurs de cette période :
Ambition de la gloire et du pouvoir […]. Puisque les œuvres matérielles dans le domaine social procurent une gloire facile, il s’est orienté vers elles. Il les a réalisées avec les crédits du gouvernement et avec l’argent prélevé aux riches, par des moyens démagogiques. Comme il a besoin d’argent, il devient l’ami de qui peut en donner (peu importe qui que ce soit). Ce qui explique sa fidélité au gouvernement du moment. […] Pour cela, il est le courtisan de tous ces gouvernements […] Pour arriver à l’épiscopat, il a gagné la confiance du cardinal Dom Jaime [53], en faisant vœu d’obédience à son Éminence. […] Il ne fait pas de compromis facilement. Aumônier de l’école Ana Néri, à Rio de Janeiro, il ne respectait pas les règles de l’aumônerie, mais il en recevait ostensiblement les appointements. Face à des situations difficiles ou controversées, il prend rarement position, ou bien il prend position mais des deux côtés, selon les circonstances […] Il n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts. Si ses amis le réclament, il abandonne les meilleurs amis d’hier (comme ce fut le cas avec Carlos Lacerda) et les laisse en difficulté dès qu’il peut bien s’en sortir, au point que ceux qui le connaissent disent de lui qu’il fait avec ses amis ce que nous faisons avec les oranges : on en suce le jus et on jette l’écorce. Ce qu’il a fait avec le cardinal Jaime est remarquable : il a gagné sa confiance, ce qui a fait de lui un évêque « auxiliaire », mais aussitôt il s’est opposé à l’homme qu’il devait « seconder », lors d’une campagne d’usure dans laquelle Dom Jaime apparaissait comme un « réactionnaire » au point d’empêcher les personnes qui allaient travailler avec le cardinal, et les en éloigner. […] Il a fini par une belle manœuvre à Rome, en réussissant à éloigner Dom Jaime de la présidence de la Conférence des évêques du Brésil pour laisser la place au cardinal Mota. [54]
Certaines fois, on cherchait à le rabaisser en le faisant passer pour une sorte de populiste religieux qui se servait de la pauvreté comme d’un levier pour faire carrière et accéder au pouvoir, parallèlement au fait qu’en même temps, on l’accusait, en toute contradiction, d’être un irresponsable avec l’argent qu’il gérait.
Il profite de la pauvreté dont il se sert comme d’un trophée […] Il dilapide l’argent qu’il reçoit (et dont il ne rend jamais compte à quiconque) ; il détourne les crédits à des fins bizarres, il ne regarde pas au gaspillage bien que personnellement, il soit pauvre (mais afin de pouvoir, grâce à cela, en tirer gloire) […] C’est ainsi qu’il a manipulé d’énormes crédits publics, l’argent colossal du Congrès Eucharistique International et celui de la Banque de la Providence, sur lesquels il n’a jamais rendu de comptes. [55]
Les persécutions et la surveillance de l’Église progressiste se sont poursuivies jusque sous le gouvernement Figueiredo, mais d’une façon plus atténuée :
[…] En mars 1974, le président Geisel avait réclamé un vaste rapport secret sur l’Église et la subversion. Ce rapport a été préparé par le CISA. En 1977, Dom Ivo a dénoncé le fait que les forces de sécurité enquêtaient sur les finances de l’Église et les antécédents de chaque évêque et chaque prêtre. L’administration Figueiredo avait aussi enquêté sur les finances de l’Église. En réalité, la répression déjà bien en cours contre l’Église et les processus instaurés contre les évêques et les laïques activistes, auprès des tribunaux militaires, ont rendu caduque l’enquête, encore plus importante, effectuée lors des années Médici. [56]
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2.4. L’action diplomatique contre Dom Helder Camara : les documents secrets de l’Itamaraty
Selon la volonté de son créateur, Alfred Nobel, le prix Nobel de la paix devra distinguer « la personne qui a accompli la plus grande ou la meilleure action pour la fraternité entre les nations, pour l’abolition et la réduction des efforts de guerre et pour la gestion et la promotion d’accords de paix ». Depuis 1901 lors de son institution, le prix fut attribué à diverses personnalités et institutions, depuis celles qui ont participé à la cessation d’un conflit bien précis ; des dirigeants ou des négociateurs venant d’organisations qui prônent la solidarité entre les peuples et les individus, à l’exemple de la Croix-Rouge ; tout comme à des hommes ou à des femmes exceptionnels dont les vies, les actes, et les témoignages ont contribué à la coexistence pacifique et fraternelle entre les hommes.
Ces dernières conditions étaient pleinement remplies par Dom Helder Camara, dont la biographie, la personnalité et les buts de sa mission étaient prouvés par d’innombrables appuis et les recommandations qu’a reçues sa candidature pour le Prix de 1970, y compris celle du lauréat de 1968, René Cassin. [57]
Au Brésil, la réaction du régime fut différente. L’ancien diplomate Vasco Mariz décrit en détail les premières initiatives pour empêcher que Dom Helder ne reçoive le Nobel de la paix de 1970.
À cette époque, Vasco Mariz était le chef du département culturel de l’Itamaraty, encore situé à Rio et il aurait été convié à une réunion avec le secrétaire général de l’Itamaraty, Jorge de Carvalho e Silva. Pendant la réunion, Muniz a reçu l’information selon laquelle Dom Helder avait été nominé pour le prix Nobel de la paix, par divers mouvements et entités religieuses et qu’il était le favori.
Séance tenante, sa mission fut d’organiser une réunion à l’Itamaraty avec les ambassadeurs des pays scandinaves (Norvège, Suède, Danemark, et Finlande) et manifester le trouble du gouvernement brésilien sur ce sujet. La rencontre s’est déroulée dans la Salle des Indiens du Palais Itamaraty où il leur a été demandé « qu’à titre exceptionnel, ils interviennent auprès de la Fondation Nobel pour éviter ce choix » [58]. D’après son rapport, quelques jours après, les ambassadeurs sont revenus en déplorant que leurs gouvernements respectifs n’interféreraient pas « sur les principes du Nobel et qu’ils ne pouvaient pas faire d’exception, à cette occasion » [59].
Vasco Mariz a transmis la réponse négative au secrétaire général de l’Itamaraty. Cependant il avait noté :
J’ai appris ensuite, par Alarico Silveira, alors chef du service Informations de l’Itamaraty […] qu’il avait assisté quelques jours plus tard, à une réunion au Palais du Planalto, à Brasilia, et que le sujet avait connu des évènements dramatiques. Ont été convoqués les présidents et les directeurs de toutes les entreprises scandinaves au Brésil, telles Volvo, Scania, Vabis, Ericson, Facit, Nokia et d’autres moins importantes, et il leur a été demandé qu’ils interviennent auprès de la Fondation Nobel pour éviter la remise du prix à Dom Helder Camara. Tous ont déploré ne pouvoir intervenir dans cette affaire, jusqu’à ce que l’officier général qui présidait à la réunion donne un coup de poing sur la table et dise : Messieurs, si vous n’intervenez pas avec fermeté et que Dom Helder en vienne à recevoir le prix Nobel de la paix, alors vos sociétés qui se trouvent au Brésil ne pourront plus rapatrier un centime vers leurs sièges respectifs. À cette époque, et sous Médici, le gouvernement avait les moyens de prendre une si grave décision. [60]
Mariz se rappelle encore que selon Alarico Silveira, le général Juracy Magalhães (ancien ambassadeur du Brésil à Washington, ancien ministre de la Justice et ancien ministre des affaires étrangères au gouvernement Castelo Branco) s’était élevé contre ce chantage, en tant que président d’Ericson au Brésil. [61]
Parallèlement, l’ambassadeur du Brésil à Oslo, Jayme de Souza, s’est activé pour surveiller et informer le gouvernement brésilien sur la candidature de l’archevêque.
Télégramme de l’ambassade à Oslo, n° 26032, en date du 11 décembre 1970, de l’ambassadeur Jayme de Souza Gomes, qui informe le gouvernement brésilien sur les réactions consécutives au résultat du prix Nobel de la paix, refusé à Dom Helder, où il signale :
Et pour finir, […] à l’entrée de la salle [des] cérémonies [de] l’Université d’Oslo, où se tient la cérémonie, il y a eu une grande distribution de tracts,[…] mentionnant [le] Conseil norvégien [de] la paix, et dans lesquels on demande « Pourquoi la Commission Nobel de la paix a eu peur [d’appuyer] l’évêque Dom Helder Camara [dans] sa lutte contre [le] Fascisme et en faveur [de] la Justice sociale au Brésil » [62]
Le message signale que cette manifestation serait déjà une tactique pour favoriser la nomination de Dom Helder, l’année suivante.
Dans un autre télégramme (Télégramme de l’ambassade d’Oslo n° 27910 du 30 décembre 1970), l’ambassadeur fait part de son pessimisme au sujet d’une autre possible candidature proposée par le régime brésilien :
[…] J’ai cherché à avoir l’opinion non seulement de M. Tore Munck, mais celle aussi d’autres personnes de mon entourage, capables d’influencer les membres de la Commission Nobel. Mon opinion personnelle, après avoir travaillé plus de 6 mois sur ce si délicat problème, c’est que les frères Villas Boas n’ont que très peu de chances de sélection car leur œuvre est à vocation régionale et non liée directement à la paix internationale. [63]
Le télégramme ci-dessus se termine par un message très révélateur :
On en a fini, cette année, avec la candidature de Dom Helder, qui a suivi un plan bien organisé et exécuté avec les plus grandes précautions, sans aucune gestion officielle ou mise en cause de cette Ambassade, directement ou indirectement. Ce succès est dû à des circonstances spécialement en relation avec des capitaux étrangers, menacés en cas de basculement à gauche du Brésil et aussi à des faits en rapport avec la vie antérieure du candidat, faits habilement utilisés dans la décisive polémique journalistique [sic].
Un autre télégramme de l’Ambassade informe le gouvernement brésilien que le président du Parti démocrate-chrétien de Hambourg, Dietrich Rollman, a présenté la candidature de l’archevêque brésilien d’Olinda et Recife, Helder Camara, au prix Nobel de la paix de 1971. [64]
Une fois confirmée la candidature de Dom Helder Camara, l’ambassade à Oslo transmet aux autorités brésiliennes un rapport confidentiel (le « Rapport confidentiel du Parlement de la Norvège ») par courrier spécial n° 55, 640, 91 (77) – Prix Nobel de la paix 1970. Rapport confidentiel du parlement de Norvège [65] :
[…] Référence au télégramme secret n° 101/70. Conformément à ce qui a été convenu dans les télégrammes secrets 79/70 et 92/70, je vous fais parvenir en annexe, en langue norvégienne, les photocopies du rapport intégral confidentiel, comportant 61 pages imprimées qui m’a été expédié par M. Tore Munck, directeur du groupe international SverreMunck, de Bergen, directeur de « Munck du Brésil S/A » et du quotidien du matin de la Capitale, d’opinion indépendante Morgenposten. [66]
Il convient de rappeler que le Comité norvégien du prix Nobel est composé de cinq membres désignés par le parlement de la Norvège.
Dans le texte cité, le nom de Dom Helder semble occuper une place de première importance (10 pages, dans le rapport) beaucoup plus que les noms d’autres candidats tout aussi importants, tel le professeur brésilien Josué de Castro (2 pages) et le professeur Norman Ernest Borlaug (2 pages). Dans ce même courrier spécial, n° 55, l’ambassadeur Jayme Souza Gomes se réfère à 2 aspects évoqués par le rapporteur de la candidature de Dom Helder, le professeur Jakob Sverdrup :
a) Les éloges très chaleureux concernant la personnalité de Dom Helder et b) les critiques à l’encontre de l’actuel gouvernement brésilien. Il suffit de citer certains extraits du rapport sur Dom Helder pour avoir confirmation de telles assertions.
Et il cite largement le rapport en question :
[…] Son message sur la non-violence dans l’Amérique latine actuelle peut être considéré comme étant très important pour le maintien de la paix, car il représente une alternative réaliste contre le développement du terrorisme et des mouvements de guérilla. Son courage personnel est indiscutable. Il a beaucoup de prestige et d’importance, qui font que son message est écouté, aussi bien au Brésil comme à l’extérieur. (Le Sunday Times du 17 mai fait de lui l’homme ayant la plus grande influence en Amérique latine, après Fidel Castro). On doit aussi souligner que Camara ne représente pas que lui-même mais aussi un grand et très important courant de l’Église catholique en Amérique latine. […]
Le rapport en question énumère les raisons – les mérites personnels et la portée de son œuvre qui recommanderaient la nomination de Dom Helder Camara au prix Nobel [67] :
[…] 1) La position de chef de file de Helder Camara au sein de l’Église, parallèlement à son action importante dans la lutte pour l’obtention de réformes sociales. 2) C’est un protagoniste important contre la non-violence. 3) Il a toujours bénéficié d’une très grande audience internationale, comme on peut le voir par le rôle qu’il a occupé pendant le Deuxième Concile au Vatican et par ses interventions lors de nombreuses conférences internationales. Selon les auteurs suédois sur cette nomination, l’attribution du prix Nobel de la paix à Dom Helder, d’une façon générale, est censurée et combattue par l’Église conservatrice et par les autorités brésiliennes. [68]
Le « Rapport confidentiel du parlement de la Norvège » souligne également l’importance et l’étendue du programme éducatif, effectué grâce aux émissions de radio (Mouvement de l’éducation de base) que Dom Helder avait dirigé et qui, en 1963, atteignait déjà la diffusion de 7500 émissions de radio avec 180 000 élèves inscrits.
En 1963, il y avait déjà 7500 radios et 180 000 élèves inscrits. Le programme bénéficiait de l’aide de l’État avec la bénédiction de l’Église, mais peu à peu il a pris une orientation qui a alerté les autorités et provoqué des dissensions au sein de l’Église. La conception du programme montre bien la philosophie de Camara. L’enseignement était seulement un moyen de faire des élèves des membres avertis et actifs de la société. [69]
Finalement, dans sa présentation, Jakob Sverdrup soulignait aussi le rôle de l’archevêque dans la divulgation et la dénonciation aux yeux du monde, des chefs d’État et des organisations internationales, du tableau dramatique sur l’exploitation, la faim, la misère où évoluaient des populations entières, privées de leurs droits les plus élémentaires, que ce soit sur le territoire du Brésil, ou dans d’autres immenses parties de la planète.
Dans un télégramme de l’ambassade d’Oslo (n° 2765) [70], du 1er février, l’ambassadeur, Jayme de Souza Gomes, fait part de son initiative, conjointe à celle de l’ambassadeur de Grande-Bretagne, et ayant pour but de le rencontrer, pour un éventuel appui du gouvernement britannique à la candidature des frères Villas Boas, au prix Nobel de la paix, vu qu’ils avaient été désignés par le Survival International, une ONG d’aide aux peuples autochtones, dont le siège est en Angleterre. L’entrevue se révéla infructueuse : de l’avis du diplomate anglais, une telle embrouille n’avait aucune chance.
Lors d’une autre tentative (Télégramme Oslo n° 4152 – Prix Nobel) [71]. L’ambassade du Brésil cherche à recueillir des données au cours de la visite d’un journaliste norvégien au Brésil, afin de valoriser le travail des frères Villas Boas. La visite du journaliste norvégien constitue l’essentiel du contenu du télégramme n° 98 – Prix Nobel, envoyé à l’ambassade de Londres, où l’ambassadeur brésilien insiste sur le caractère secret de sa manœuvre vis-à-vis du journaliste, qui doit être choisi « avec une particulière précaution ».
Le télégramme n° 95 (de septembre 1971) – où l’on parle de la visite du journaliste, parallèlement à l’annonce de l’inauguration de la nouvelle usine de la Munck du Brésil – montre tous les soucis de l’ambassadeur, car le journaliste retenu, Audun Tjomsland, a demandé, lors d’un déjeuner avec Tore Munck, s’il pouvait obtenir l’autorisation de visiter d’autres lieux non inscrits au programme. Mais apparaissent d’autres problèmes induits : le banquier, Sjur Lindebraekke, président du conseil d’administration de la Bergens Privat Bank, était membre de la Commission Nobel et ne pouvait nullement être responsable d’une quelconque fuite d’information relative à Dom Helder ou être impliqué dans n’importe quelle manœuvre, relative à la candidature de celui-ci.
Dans ce même télégramme, l’ambassadeur, Jayme de Souza Gomes, revient un peu plus sur ce mélange des intérêts financiers, avec la campagne à l’encontre de Dom Helder : il parle de la « collaboration désintéressée » de Ruy Mesquita (directeur du journal O Estado de São Paulo [72]) qui aurait alors offert un billet d’avion au journaliste norvégien, « pistonné pour sa participation à la neutralisation de la nomination de l’archevêque brésilien. »
Tous ces efforts pour valider la candidature des frères Villas Boas se sont révélés vains. Dans le communiqué de l’ambassadeur au Secrétariat d’État des affaires étrangères (télégramme n° 6599 – Frères Villas Boas et Dom Helder Camara), on peut lire :
[…] Parlement Norvégien […] A été enregistrée l’inscription de 32 candidats au prix de la paix 1971, parmi lesquels Willy Brandt, Helder Camara, Orlando & Cláudio Villas Boas. Sur les candidats inscrits, 21 ont été éliminés, y compris les frères Villas Boas. Brandt et Camara sont parmi les 11 demi-finalistes. […]. [73]
L’information est retransmise à l’ambassade du Brésil à Londres, Télégramme n° 170 [74].
L’élimination des frères Villas Boas et la sélection de Dom Helder Camara sur la liste des semi-finalistes alerte le gouvernement brésilien et a obligé l’ambassadeur Jayme de Souza Gomes à continuer à recueillir davantage d’avis. Dans son « Courrier spécial de l’ambassade d’Oslo n° 122 – sur le prix Nobel de la paix 1971 ; réunion de la commission parlementaire ; sélection des candidats » le diplomate fait partiellement allusion à ces efforts :
[…] Voulant voir quelle était la position des deux candidats, qui pour l’instant, semblent réunir le plus de chances de gagner, c’est-à-dire le chancelier Willy Brandt et l’archevêque Dom Helder Camara, j’ai cherché également, après consultation des sources d’informations, à expliquer les raisons de l’élimination des frères Villas Boas en tant que personnalités brésiliennes, dont l’œuvre méritoire a été louée par nous tous et auxquels le Secrétariat d’État a fait référence dans ses messages télégraphiques :
9. Dom Helder Camara
[…] J’ai cherché à expliciter le prestige dont jouit l’archevêque aux yeux de la Commission Nobel :
a) son œuvre en faveur des nécessiteux, et contre un pouvoir autoritaire ;
b) ses publications et prêches à caractère franchement gauchisant ;
c) avoir participé à la pacification des foules opprimées ou défavorisée par l’existence ;
d) avoir œuvré pour le rapprochement entre catholiques et protestants lors de campagnes pour de meilleures conditions sociales de l’humanité ;
e) son prestige auprès du pape Paul VI. À ce sujet, il serait bon de souligner ce qu’a publié récemment l’organe officiel du Vatican L’Osservatore Romano qui considère Dom Helder Camara comme un homme de Dieu, un homme du Christ, un homme des pauvres, à l’image de Saint François d’Assise. [75]
Le message de l’ambassadeur à Oslo cherche aussi à montrer les aspects négatifs qui fragiliseraient la candidature de Dom Helder Camara :
Ont fragilisé la position de Dom Helder, d’après le concept de la Commission Nobel, essentiellement les points suivants :
a) une polémique journalistique qui s’est terminée en 1970, sur sa personnalité, son œuvre et ses liens anciens avec des régimes politiques de droite ;
b) la crainte que son influence croissante, et consécutive à l’attribution du prix Nobel de la paix, ne puisse contribuer à l’implantation d’un régime d’extrême gauche au Brésil, à l’image de ce qui s’est produit récemment au Chili et, de ce fait, menacer les capitaux étrangers après expropriation, ou « nationalisation » et évidemment mettre en péril les investissements norvégiens. C’est au Brésil que la Norvège possède la plus grosse somme de capitaux investis à l’étranger ;
c) des critiques d’un très faible niveau de culture économique, dans ses attaques à la politique actuelle du gouvernement brésilien. [76]
Au cours de sa surveillance de la candidature de Dom Helder au Nobel de la paix et de ses répercussions de ses actions en Europe, l’ambassadeur ne manque pas de souligner (Courrier spécial de l’ambassade à Oslo, n° 231, du 28 mai 1971) que Dom Helder avait lancé un appel aux Allemands de l’est et de l’ouest « pour mettre à bas les barrières qui séparaient leurs pays ». [77]
En plus du travail effectué auprès des membres du Comité norvégien du prix Nobel et à l’action des industriels à l’encontre la candidature de Dom Helder, s’est ajoutée une campagne de communication : la divulgation des aspects négatifs de la biographie politique et intellectuelle de l’archevêque.
Dans ce même courrier, l’ambassadeur Souza Gomes attire l’attention sur la rencontre intervenue entre M. Tore Munck, président de la Munck du Brésil SA et l’ambassadeur du Brésil à Londres, Roberto Campos, d’où il en était ressorti l’idée d’utiliser une monographie d’un frère dominicain belge Felix Andrew Morlion – The Political Dialectic of Dom Helder Camara – comme instrument d’une campagne contre la candidature de Dom Helder Camara.
Il est bien évident que cette action contre la candidature de Dom Helder au prix Nobel de 1971 devait privilégier les aspects économiques et sociaux, eu égard aux forts investissements norvégiens au Brésil. Le document indique aussi que sur les cinq membres du comité de décision, deux étaient des parlementaires qui seraient particulièrement sensibles à cette question.
[…] Quel que puisse être l’effet provoqué par la diffusion de l’étude sur Dom Helder, cette ambassade souhaitait souligner, dans le plus grand secret, que le programme d’action contre la candidature de l’archevêque devait se focaliser, cette année, sur l’aspect économico-social. Effectivement, le Brésil est le pays étranger où la Norvège a investi les plus gros capitaux, et le gouvernement norvégien a donné sa garantie politique à l’emploi d’une part de ces capitaux dans le projet Borregaard. [78] On doit prendre en considération également que deux membres de la Commission Nobel sont des parlementaires qui ont voté en faveur de cette garantie, et ne pas perdre de vue enfin, que la défense des capitaux investis au Brésil est une cause pacifique. Ainsi, il devient évident qu’une personnalité brésilienne gauchisante qui attaque vigoureusement le régime capitaliste et d’une façon qui deviendra universelle grâce à l’obtention du prix Nobel de la paix, ne pourra que contribuer à l’apparition d’un climat politico-social qui tendra à mettre en péril les capitaux étrangers et dont ceux de la Norvège. [79]
La monographie The Political Dialectic of Dom Helder Camara, de Felix A. Morlion, cherche à décrire un supposé nouveau type de « mouvement anticapitaliste » qui en Dom Helder posséderait un de ses principaux représentants. « C’est fondamentalement différent du mouvement marxiste ou maoïste vu qu’il n’a pas de côtés matérialistes, mais au contraire, il tend à canaliser l’action politique en énergie et sentiments profondément chrétiens ». [80]
Morlion essaie de faire une vaste analyse des discours, entrevues et écrits de Dom Helder, dans lesquels il trouve une combinaison d’éléments analytiques (au sujet de la répartition du travail international et aux structures sociales et politiques dominantes) les contenus des dénonciations (de la pauvreté de l’exploitation, de l’oppression) et un appel rhétorique et émotionnel important à la prise d’une position idéologique contre les injustices. Tout en admettant également que le prélat brésilien a aussi dénoncé les « régimes totalitaires », il affirme avoir rencontré dans la plupart de ces éléments, une forte orientation anticapitaliste.
En plus d’être lié aux manœuvres d’opposition à la candidature de Dom Helder Camara, la personnalité ou bien les idées de Félix Andrew Morlion n’auraient même pas convaincu notre ambassadeur à Oslo.
En juillet 1971, en réponse à une demande d’information qui lui avait été spécifiquement adressée, l’ambassade du Vatican a répondu que Félix André Morlion avait nié l’existence de la monographie sur Dom Helder. De plus, le frère dominicain « ne jouit pas d’une bonne réputation dans les hautes sphères responsables du Vatican », étant considéré comme « immature ». [81]
De nationalité belge, pendant la Seconde Guerre mondiale, il est allé aux USA, se présentant comme un émissaire du Saint Siège, ce qui était faux. Il est aussi précisé dans ledit document, que Morlion avait reçu de la part d’importants organismes, « des subventions conséquentes » pour la création du Pro Deo [82], organisme qui n’a jamais obtenu la reconnaissance officielle de l’Église catholique [83]. Toujours sur Félix Andrew Morlion, le télégramme de l’ambassade du Vatican n° 24 425 précise à Oslo qu’il aurait nié l’existence de la monographie sur Dom Helder Camara. « [M]ais que celle-ci a été écrite par ses soins, en très peu d’exemplaires et de diffusion confidentielle » [84].
Finalement, le courrier spécial de l’ambassade à Oslo, n° 565 du 2 février 1971 [85], annonce le choix de Willy Brandt comme lauréat de l’année au prix Nobel de la paix et fournit des articles de journaux qui traitent du sujet.
Dans ses commentaires, l’ambassade classe les nouvelles en quatre catégories :
a) celles purement informatives ; b) celles en faveur du chancelier allemand ; c) celles en faveur de l’archevêque brésilien ; d) celles qui ont provoqué une très vive polémique dans laquelle on retrouve Dom Helder Camara, la Commission Nobel et les industriels norvégiens ayant des intérêts économiques au Brésil. [86]
L’ambassadeur juge que la campagne de divulgation du passé intégraliste de Dom Helder, est un succès. De surcroît, devant la proposition du gouvernement brésilien d’empêcher cette candidature, des groupes économiques norvégiens qui avaient un intérêt bien spécifique à maintenir de bonnes relations avec le régime militaire, se seraient impliqués également pour la torpiller.
On parle également, dans ce document, d’une entrevue du P. dominicain Hallvard Dieber Mohn au journal Morgenbladet, du jour suivant l’annonce du prix Nobel, dans laquelle il déclare :
[…] que les intérêts économiques norvégiens ont eu une certaine influence dans cette décision, vu que le Cardinal Camara, qui était le favori pour le Prix, n’a même pas gagné cette fois-ci. Ainsi et pour la première fois depuis qu’avait commencé la campagne de « neutralisation » de la candidature Helder Camara, on a évoqué le « point sensible » sur lequel tous ces efforts se sont concentrés, c’est-à-dire les risques d’expropriation, de nationalisation, ou de confiscation que courraient les capitaux étrangers au Brésil, en cas de victoire de l’archevêque brésilien. [87]
Au dernier paragraphe du document, l’ambassadeur déclare que même battu, la polémique autour du Nobel finalement servait la candidature de Dom Helder pour l’année suivante. Il donne comme argument le chilien Pablo Neruda qui a été candidat durant 10 ans jusqu’à ce qu’il reçoive le prix Nobel de littérature et qu’il en serait de même avec l’archevêque brésilien.
L’ambassadeur Jayme de Souza Gomes semblait être conscient des risques politiques encourus par le gouvernement brésilien en s’impliquant avec acharnement dans la persécution de l’archevêque. Dans un document confidentiel (courrier spécial de l’ambassade d’Oslo n° 605, du 29 décembre 1971) il montre sa préoccupation au sujet d’un article paru dans le périodique Kirke og Kultur [Église et Culture] intitulé : « La polémique contre Dom Helder Camara » signée de M. Henry Notaker et du révérend père Hallvard Dieber Mohn.
[…] ce sont les deux seuls auteurs qui ont abordé les arguments fondamentaux utilisés dans la campagne d’élimination de la candidature de Dom Helder Camara, au Brésil et à Oslo, comme on peut le voir à la simple lecture de l’article cité, et que j’envoie […] tous les paragraphes de M. Notaker démontrent une connaissance profonde de ces manipulations et des personnalités impliquées dans la campagne en question, et même si l’Ambassade du Brésil à Oslo a eu de la chance et a été « miraculeusement » épargnée et même pas concernée par les évènements, ce ne fut pas le cas de l’ambassadeur d’Allemagne dans ce pays, qui a été victime d’accusations injustes dans la remise du prix Nobel de cette année. [88]
Le même document fait mention d’une allusion faite par les auteurs de l’article ci-dessus à la distribution de 700 000 exemplaires de la revue O Cruzeiro qui, à la vérité, n’auraient été que 25 000 selon l’ambassadeur. Dans ce numéro de la revue en question – et faisant partie de la campagne de diffamation – on pouvait y lire une entrevue du fameux journaliste David Nasser, qui présentait Dom Helder comme un ancien fasciste adepte de l’usage de la violence dans la résolution des conflits sociaux.
Parmi les échanges, on note que l’ambassadeur Jayme de Souza Gomes souligne la nécessité de minimiser le rôle que l’ambassade a joué dans la campagne menée contre Dom Helder. Le courrier spécial de l’ambassade à Oslo n° 122, par exemple, fournit la liste des sélectionnés pour le Nobel de 1972 et y cite à nouveau Dom Helder comme étant le favori. Mais cette fois, la participation de l’ambassade est décrite comme discrète pour ne provoquer aucun problème diplomatique [89]. Cependant en 1972, le prix Nobel de la paix ne sera pas décerné [90].
L’année suivante, John W. Gran, évêque d’Oslo, écrit à Dom Helder pour l’informer des questions qui avaient été posées par un membre du Conseil du Comité Nobel, suite à l’appui donné à son nom par la Conférence épiscopale scandinave, pour le Nobel de 1973. Il est important de mettre en avant les deux points que la lettre souligne. Selon l’évêque John Gran, certains membres du Comité Nobel souhaitaient connaître la position de Dom Helder vis-à-vis des activités de guérilla et plus précisément la guérilla urbaine. De plus, ils l’auraient interrogé sur ce qu’il pensait du contrôle de la natalité.
Nous reproduisons ici même l’intégralité de la traduction de la lettre de John W. Gran [91] :
Excellence,
Je vous écris au sujet du prix Nobel de la paix.
On m’a demandé, de la part d’un des membres du Conseil du Comité Nobel ici, à Oslo, d’obtenir deux informations sur votre personne. Car comme vous le savez, votre nom figure, il y a déjà un certain nombre d’années, parmi les candidats les plus sérieux. D’ailleurs, la Conférence épiscopale scandinave a proposé votre nom de façon formelle et publique au mois de septembre 1972, pour le prix de 1973.
En résumé, il s’agit de dissiper un doute que quelques membres du comité ont à propos de deux questions, à savoir :
Les activités de guérilla en général et celle urbaine en particulier ;
Le contrôle des naissances.
Mais plus précisément, on cherche à savoir si vous auriez fait des déclarations publiques sur ces deux sujets, dans un sens quelconque. Apparemment, quelqu’un a réussi à leur inculquer l’idée que vous vous seriez déclaré favorable à certaines formes d’activité de guérilla, en certaines circonstances. Permettez-moi de douter de cela.
En ce qui concerne le contrôle des naissances, on a eu également l’impression que vous vous seriez prononcé contre toute forme d’un tel contrôle en défendant une croissance effrénée des populations, en tous lieux. Permettez-moi d’en douter également.
En tout cas, au lieu de faire une enquête circonstanciée, j’ai préféré vous poser directement les deux questions en toute simplicité. Vous pourrez facilement y répondre en citant dans lesquels de vos écrits je pourrai y trouver votre position sur ces deux questions. (Il suffira de se référer à la question a ou à la question b).
Je suppose que vous ne vous souvenez plus de moi, mais nous nous sommes rencontrés lors du Concile, au cours de la dernière session, je crois, au cours d’une réunion œcuménique dans un appartement situé près du château Santo Ângelo.
Les détails m’échappent.
Je pense que ce serait très bien si le prix Nobel vous était attribué. Mais pour vous, Excellence, ce sera peut-être votre chemin de croix.
Permettez-moi de vous féliciter pour votre 64e anniversaire à venir.
Fraternellement vôtre, devant le Seigneur,
+ John W. Gran
Évêque d’Oslo.
Le 17 décembre 1973, Dom Helder envoie une lettre de remerciements à son grand ami Francisco Moorem [92] initiateur du groupe « Action Dom Helder Camara ». Ce groupe avait pour but de soutenir sa candidature au prix Nobel de la paix. Dom Helder lui demande d’arrêter la campagne en faveur de son nom pour le prix Nobel. Il signale l’importance des appuis qu’il a reçus et de la campagne efficace qui a stimulé des groupes catholiques et des autres églises, autour de son nom, mais il pensait que l’heure était venue d’arrêter. Il pensait que son travail se reflétait déjà dans le Nobel de Martin Luther King.
Au moment précis où il écrivait sa lettre, Dom Helder soulignait que cinq de ses collaborateurs étaient disparus ; et que lui-même pouvait, à tout instant, risquer d’être accusé que l’Opération Espérance, ou toute autre de ses activités, soient liées à la subversion ou à des groupes terroristes.
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– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3371.
– Traduction de Gérard Panthier, avec la collaboration de José de Broucker.
– Source (portugais du Brésil) : PERNAMBUCO. Comissão Estadual da Memória e Verdade. Prêmio Nobel da Paz : A Atuação da ditadura militar brasileira contra a indicação de Dom Helder Câmara. « Cadernos da memória e verdade », vol. 4. Recife : Secretaria da Casa Civil do Governo do Estado de Pernambuco / Companhia Editora de Pernambuco, 2015, 234 p.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, le traducteur, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Voir la 16e circulaire, datée du 11-12/5/1964, à Recife. Dans : ROCHA, Zildo [éd.]. Dom Helder Camara : Circulares Interconciliares. Recife : Companhia Editora Pernamboucana (CEPE) / Instituto Dom Helder Camara, 2009, vol. II, t. I, p.53. Les Circulaires ont été éditées en 13 volumes par la CEPE (la dernière circulaire publiée date du 24-25 janvier 1970) et réparties en « Circulaires conciliaires » – écrites à Rome lors des sessions du Concile Vatican II –, « Circulaires interconciliaires » – écrites à l’archidiocèse de Olinda et Recife, à partir du 12 avril 1964 – et « Circulaires post-conciliaires » – écrites après le Concile Vatican II. Pour la traduction française, voir : CAMARA, Helder. Le Journal d’un évêque prophétique. Paris : Bayard Éditions, 2016, p. 43.
[2] Ibid. p. 53. 16e circulaire, datée du 11-12/05/1964, à Recife.
[3] La « famille mecejanense » est composée d’amis et amies, collaborateurs de Dom Helder, et avec lesquels Dom Helder avait travaillé à Rio de Janeiro. Quelques noms : Cecilia Goulart Monteiro, que Dom Helder a appelé Frère Lion, pendant les 28 ans de son secrétariat particulier à Rio de Janeiro. Aglaia Blegi Peixoto, collaboratrice au Secrétariat national de l’Action catholique, depuis la fondation de la CNBB ; sa sœur Wylma Blegi Peixoto, qui a collaboré en tant que volontaire à la Croisade Saint Sébastien, et à la Banque de la Providence, entre autres. Le nom provient de la ville de Mecejana où Dom Helder est né dans l’État du Ceará.
[4] 16e circulaire, op. cit., vol. II, t. I, p. 53.
[5] Un militaire de Curitiba, de haut rang au sein des forces armées. Il a été un des piliers du coup d’État en 1964. Pendant la présidence de Garrastazu Médici (1969-1974) il faisait partie d’un groupe de travail chargé d’établir des contacts avec l’Église, au comble des dénonciations de répression effectuées par les autorités religieuses, y compris Dom Helder. ROCHA, Zildo ; SIGAL, Daniel [éd.]. Dom Helder Camara : Circulares Pós-conciliares. Recife : CEPE / Instituto Dom Helder Camara, 2012, vol. III, t. III, p. 374.
[6] 66e circulaire, datée du 4/05/1964, à Recife. Dans : ROCHA, Zildo [éd.]. Dom Helder Camara : Circulares Interconciliares, op. cit., vol. II, t. I, p. 200. Pour une traduction française, voir : CAMARA, Helder. Le Journal d’un évêque prophétique. Paris : Bayard Éditions, 2016, p. 112.
[7] Maison de retraite, rencontres et réunions appartenant à l’époque aux Jésuites.
[8] Réunion tenue du 12 au 14 juin 1966, où les évêques de la région ont effectué une déclaration sur les conditions de sous-développement. Le document a été rédigé par 3 secrétaires des Régionales – Dom José de Medeiros Delgado, Nord-est I ; Dom Helder Camara Nord-est II ; et Dom Eugênio Araújo Sales, Nord-est III. Cette déclaration a provoqué une réaction agressive de la part des autorités militaires.
[9] C’est nous qui ajoutons la date. Dom Helder a fait une note – quelques nouvelles de valeurs inégales – où il dit « la IVe armée a obligé le Jornal do Comércio à considérer avec une agressivité spéciale et déplacée la très innocente note qui résultait de la Rencontre des Évêques. Le journal s’est vu interdire la publication de cette note et forcé à agresser l’Église ». 118e circulaire, écrite à Recife et datée des 16-17/07/1966. Dans : ROCHA, Zildo ; SIGAL, Daniel [éd.]. Dom Helder Camara : Circulares Pós-conciliares, vol. III, t. II, p. 76. Et autres circulaires traitant du même sujet, op. cit., p. 83, 90-91 93, 96, 105, 113, 121, 125 et 127. Voir aussi sur ce sujet le document de l’Annexe I.
[10] Ibid. Annexe I.
[11] 623e circulaire, Recife, 6-7/12/1970. Dans ROCHA, Zildo ; SIGAL, Daniel [éd.]. Dom Helder : Circulares Pós-conciliares, op. cit., vol. IV, t. IV, p.271-277. Réponse 10.
[12] Connu aussi sous le nom de « Pelé », archevêque métropolitain de João Pessoa – Paraíba (1965-1995).
[13] 110e circulaire, datée de Recife, 1-2/09/1970. Document prêté par l’Instituto Dom Helder Camara / Centro de Documentação Dom Helder Camara. (IDHEC/CEDOHC). Les circulaires à partir de février 1970 ne sont pas encore publiées dans la collection des circulaires éditées par la CEPE (la dernière circulaire publiée est datée du 24-25 janvier 1970).
[14] Département d’ordre politique et social : la police secrète du régime militaire – NdT.
[15] Divers articles publiés dans des périodiques de Recife nient ou bien confirment l’existence du dossier sur Dom Helder, parmi eux le Diário de Pernambuco du 24-25/05/1968 et le Jornal do Comércio des 23, 24 et 26 mai 1968. Source : Archives publiques de l’État Jordão Emerenciano (APEJE) – documentation DOPS, dossier individuel Dom Helder Camara, n° 16 906 B. http://www.acervocepe.com.br/comissao-verdade.html, p. 152-153 et 239-240.
[16] Ibid., p 44-45.
[17] Voir l’annexe de la circulaire n° 365. ROCHA Zildo ; SIGAL, Daniel [éd.]. Dom Helder Camara : Circulares Pós-conciliares, op. cit., vol. IV, t. I, p. 375-380 et APEJE - DOPS, dossier individuel Dom Helder Camara, n° 16906 B. http://www.acervocepe.com.br/comissao-verdade.html, p 39-41 et 42-43.
[18] 296e circulaire, écrite dans la ville de Natal et datée du 14-15/09/1967. Dans : ROCHA, Zildo ; SIGAL, Daniel [éd.]. Dom Helder Camara : Circulares Pós-conciliares, op. cit., vol. IV, t. I, p. 92-99. Voir aussi dossier DOPS cité, p. 51-54. Également l’article du Jornal do Comércio du 26/06/1967, même dossier, p. 229.
[19] Dossier cité, p. 229.
[20] Annexe II. Source : Archives nationales de Brasilia – AC_ACE_SEC_23582_70.
[21] Le Service national d’intelligence (1964-1990) était un organisme d’espionnage militaire – NdT.
[22] Ibid.
[23] PERNAMBUCO. Commissão Estadual da Memória e Verdade. Padre Antônio Henrique Pereira da Silva Neto. « Cadernos da memória e verdade », vol. 2. Recife : Secretaria da Casa Civil do Governo do Estado de Pernambuco / CEPE, 2014.
[24] Père José Ernanne Pinheiro, assesseur de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), secrétaire exécutif du Centre national de la foi et de la politique (CEFEP). Il a travaillé 19 ans à l’archidiocèse d’Olinda et Recife (1967-1986), avec Dom Helder Camara, où il a occupé les charges de vicaire épiscopal des laïques, coordinateur de la pastorale, directeur de l’Institut de théologie de Recife (ITER).
[25] Déposition du P. José Ernanne Pinheiro au CEMVDHC, en séance publique, le 16 août 2012.
[26] GOMES, Paulo César. Os bispos e a ditadura militar no Brasil (1971-1980) : A visão da espionagem [Les évêques et la dictature militaire brésilienne (1971-1980) : la perspective de l’espionnage]. Rio de Janeiro : Record, 2014, p. 119.
[27] SERBIN, Kenneth. Diálogo na sombra, op. cit., p. 305.
[28] Sur la délivrance de son passeport, voir : APEJE - DOPS, Dossier Dom Helder Camara, n° 16906 B, op. cit., p. 109.
[29] SERBIN, Kenneth. Diálogo na sombra, op. cit., p. 171. Dom Helder Camara note dans sa Circulaire n° 172 A datée du 19-20/03/1965, que l’Itamaraty avait reçu un rapport de l’ambassadeur [Henrique de] Sousa Gomes « qui non seulement se glorifiait d’avoir obtenu la nomination du quatrième cardinal brésilien, mais surtout d’avoir réussi à éviter le danger que ce ne soit D. Helder ou D. [José Vicente] Távora… » Dans : ROCHA, Zildo [éd.], Dom Helder Camara : Circulares interconciliares, op. cit., vol. II, t. II, p. 285. Pour la traduction française, voir : CAMARA, Helder. Le Journal d’un évêque prophétique. Paris : Bayard Éditions, 2016, p. 325.
[30] SERBIN, Kenneth. Diálogo na sombra, op. cit. p. 172.
[31] GB, c’est-à-dire, de la ville de Rio de Janeiro – NdT.
[32] SERBIN, Kenneth. Diálogo na sombra, op. cit., p. 114.
[33] Annexe VIII. Mémorandum n° 806/SI-Gab, 18 août 1970, du SNI. Le document dans son intégralité peut être obtenu aux Archives nationales, dans la base de données AC_ACE_69955_73_001.
[34] Dom Helder semblait avoir une grande admiration pour Monseigneur Álvaro Negromonte. Le jour de ses obsèques, il a noté dans une de ses circulaires : « Est décédé le très cher Montblanc [en français dans le texte]. C’est une partie de ma jeunesse qui s’en est allée. Grâce à Dieu, je le dis tranquillement car la foi dans la vie éternelle est absolue ». 74e circulaire, Recife, 17-18/08/1964. Dans : ROCHA, Zildo [éd.]. Dom Helder Camara : Circulares interconciliares, op. cit., vol. II, t. I, p. 225.
[35] SERBIN, Kenneth. Diálogo na sombra, op. cit., p. 155. Voir aussi les informations du Diário de Pernambuco du 02/04/1968. APEJE - DOPS, dossier Dom Helder Camara, n° 16906, op. cit., p.138.
[36] Terror no Brasil : Um dossiê [Terreur au Brésil, un dossier]. L’activiste états-unien Ralph Della Cava, alors professeur d’histoire du Brésil à la City University de New York, dans le Queens, a coordonné la préparation du dossier Terror no Brasil : Um dossiê qui listait les violations des droits humains au Brésil. En plus de sa remise au pape, ce dossier a été aussi distribué lors de la Conférence de la Latin American Studies Association (LASA) [Association d’études latino-américaines] qui s’est tenue du 16 au 18 avril 1970 à Washington, aux États-Unis.
[37] GREEN, James N. Apesar de vocês : Oposição à ditadura brasileira nos Estados Unidos [Malgré vous : l’opposition à la dictature brésilienne aux États-Unis]. São Paulo : Companhia das Letras, 2009, p. 221.
[38] GREEN, James N. A pesar de vocês, op. cit., p. 222-223.
[39] GASPARI, Elio. A ditadura escancarada [La dictature à cœur ouvert]. São Paulo : Companhia das Letras, 2002, p. 308.
[40] Sur la doctrine de la Sécurité nationale, voir cette importante publication : COMBLIN, José. A ideologia da Segurança Nacional : O poder militar na América Latina [L’Idéologie de la Sécurité nationale : le pouvoir militaire en Amérique latine]. Rio de Janeiro : Civilização Brasileira, 1978.
[41] Organisme paramilitaire de renseignement et de répression intérieurs – NdT.
[42] SERBIN, Kenneth, Diálogo na sombra, op. cit., p. 108.
[43] FROTA, Sylvio, Ideais traídos [Les idéaux trahis], 2e éd. Rio de Janeiro : Jorge Zahar Ed., 2006, p. 219.
[44] Ce rapport est connu en tant que « O Livro Branco » [Le Livre Blanc] (ou encore comme « Livro da verdade » [Le Livre de la vérité]. Selon Carlos Fico : « Improductif et attirant trop l’attention sur le sujet, le rapport n’a pas été diffusé, mais ses justificatifs perdurent. Devant la gêne que les demandes comme celles de l’OEA provoquaient, la dictature militaire choisissait la forme la plus douteuse du refus : le silence ». FICO, Carlos. Além do golpe : Versões e controvérsias sobre 1964 e a Ditadura Militar [Au-delà du coup d’État : versions et controverses sur 1964 et la dictature militaire]. Rio de Janeiro : Record, 2004, p. 84-87. Aux archives nationales, le document peut être trouvé dans la base de données suivante : BR.AN, RIO.TTO.MCP.AVU.64.
[45] La rébellion déclenchée par des brigadiers, sergents et sous-officiers, majoritairement de l’Aéronautique et de la Marine, le 12 septembre 1963, à Brasilia, a été provoquée par le Tribunal fédéral suprême (STF) quand il a réaffirmé l’inéligibilité des sergents aux organes du pouvoir législatif (prévue par la Constitution de 1946).
[46] Cf. Archives nationales, BR.AN,RIO.TT.O.MCP.AVU.64.
[47] Ibid.
[48] Ibid.
[49] Ibid.
[50] Ibid.
[51] Voir la déposition de Dom Helder Camara sur l’assassinat du P. Henrique. APEJE - DOPS, dossier Dom Helder Camara, op.cit., p. 61-63.
[52] Camara, Dom Helder. Aos homens de boa vontade [Aux hommes de bonne volonté]. Recife : Centro de Documentação Dom Helder Camara. Ronéotypés.
[53] Dom Jaime de Barros Camara était cardinal archevêque de Rio Janeiro – NdT.
[54] SERBIN, Kenneth. Diálogo na sombra, op. cit., p. 115.
[55] Ibid., p. 116.
[56] Ibid., p. 117.
[57] PILETTI, Nelson ; PRAXEDES, Walter. Dom Helder Camara : Entre poder e profecia, op. cit., p. 10.
[58] MARIZ, op. cit., p. 82.
[59] Ibid., p. 82.
[60] Ibid., p. 82-83.
[61] Ibid., p. 83. Devant la gravité du rapport publié dans son ouvrage, le CEMVDHC est entré en contact avec Vasco Mariz qui a confirmé les informations contenues dans son livre.
[62] Annexe IX. Télégramme de l’ambassade d’Oslo, n° 26032, en date du 11 décembre 1970.
[63] Annexe X. Télégramme de l’ambassade d’Oslo, n° 27910, en date du 30 décembre 1970.
[64] Annexe XI. Télégramme de l’ambassade d’Oslo, n° 09, en date du 26 janvier 1971.
[65] Annexe XII. Courrier spécial de l’ambassade d’Oslo, n° 55 – Prix Nobel de la paix de 1970. Rapport confidentiel du parlement de Norvège, 27 janvier 1971.
[66] Un courrier, daté du 9 septembre 1996, de Jon Sletbak, producteur senior de NRK-TV, à destination du chercheur Walter Praxedes, évoque un sondage sur le thème du Nobel de la paix destiné à Dom Helder, en fournissant des informations émanant de documents diplomatiques et de témoignages venant de sources journalistiques qui ont été acquis par l’entreprise de TV norvégienne, pour la réalisation d’un documentaire. Jon Sletbak laisse entendre qu’une de ses sources l’avait prévenu que « l’ancien directeur de Munch du Brésil S/A, à cette époque un des plus grands groupes industriels de la Norvège à l’étranger, lui avait dit que le propriétaire, M. Tore Munck, avait été convoqué à São Paulo et interrogé sur ce qu’il pourrait faire, en tant que Norvégien, pour empêcher que Dom Helder n’obtienne le Prix ». Une autre source de Sletbak, l’ancien consul général de Norvège à São Paulo a affirmé que la totalité des industriels étrangers avait été mobilisée par le danois Henning Boilesen pour participer financièrement à l’Opération Bandeirantes [Étendards] – OBAN. Cette somme d’argent dont disposaient les entrepreneurs avait comme destination la lutte contre le communisme. […] Tous les entrepreneurs étrangers, y compris ceux des pays nordiques, ont été convoqués au préalable par le danois M. Henning Boilesen, président d’ULTRAGAS, pour contribuer financièrement à la lutte contre le communisme (c’est-à-dire : OBAN) menée par Boilesen. M. Abreu Sodré, a confirmé tout cela, lors d’un tête-à-tête, au cours duquel il a attaqué violemment Dom Helder. Cette information a été confirmée par Sletbak, grâce à un contact avec Niels Boilesen ; de plus, son frère Henning, se serait rendu à l’Institut Nobel pour faire pression sur le Comité, pour contrer une possible obtention du Nobel par Dom Helder. Selon ses dires, « les industriels nordiques craignaient que l’influence croissante de Dom Helder puisse amener à un régime politique d’extrême gauche au Brésil, au vu de ce qui venait d’arriver récemment au Chili. Ceci, à ses yeux, serait une menace pour le capital investi au Brésil. » PILETTI, Nelson ; PRAXEDES, Walter. Dom Helder Camara : entre poder e profecia, op. cit.
[67] Annexe XII. Courrier spécial de l’ambassade d’Oslo n° 55, déjà cité.
[68] Ibid.
[69] Ibid.
[70] Annexe XIII. Télégramme de l’ambassade d’Oslo n° 2765 (01/02/1971).
[71] Annexe XV. Télégramme de l’ambassade d’Oslo n° 4152 (15/02/1971).
[72] Le plus grand quotidien brésilien – NdT.
[73] Annexe XVII. Télégramme n° 6599 – Prix Nobel de la paix. Frères Villas-Boas et Dom Helder Camara, 11 mars 1971.
[74] Annexe XVIII. Télégramme à l’ambassade de Londres, n° 170, 12/03/1971.
[75] Annexe XIX. Courrier spécial de l’ambassade d’Oslo, n° 122 (12/03/1971), sur le prix Nobel de la paix 1971. Réunion de la commission parlementaire. Sélection des candidats, p. 2-4.
[76] Annexe XX. Courrier spécial de l’ambassade d’Oslo n° 231 (25/05/1971).
[77] Ibid., n° 231.
[78] Borregaard ASA est une entreprise multinationale norvégienne qui regroupe surtout des industries chimiques.
[79] Annexe XXI. Correspondance spéciale de l’ambassade à Oslo n° 231 (25/05/1971).
[80] Annexe VII. A Dialética Política de Dom Helder Camara [La dialectique politique de Dom Helder Camara]. Traduction effectuée par le Groupe des études interdisciplinaires en relations internationales et droit (GERID) de la faculté Damas, en appui au mandat de la Commission d’État Mémoire et Vérité Dom Helder Camara, du Pernambouc. Responsables de la traduction : Luis Emmanuel Barbosa da Cunha et Aleida Cristina Mendes Borges.
[81] Ibid.
[82] Il s’agit de l’Istituto di Studi Superiori Pro Deo, une institution d’enseignement ayant son siège à Rome. Elle n’existe plus.
[83] Le retour des demandes d’informations de l’ambassade d’Oslo est parvenu via le Vatican et transmis au gouvernement militaire par télégramme n° 48 du 6 juillet 1971.
[84] Annexe XXVII. Télégramme de l’ambassade du Vatican n° 24425 (29/07/1971).
[85] Annexe XXX. Courrier spécial de l’ambassade à Oslo, n° 565 (02/12/1971).
[86] Ibid., p.5.
[87] Ibid., p.7.
[88] Annexe XXXII. Courrier spécial de l’ambassade à Oslo n° 605 (29/12/1971).
[89] Annexe XIX. Courrier spécial de l’ambassade à Oslo n° 122 (12/03/1971).
[90] Jusqu’alors, le prix Nobel de la paix n’avait pas été attribué en 18 occasions, généralement lors des années de grands conflits comme la Première ou Deuxième Guerre mondiale. En 1972 au pire de la guerre du Vietnam ce sera la 19e fois sans une remise de prix.
[91] Nous traduisons en portugais [cette traduction en portugais a été ici traduite en français – NdT].
[92] Annexe IV. Lettre de Dom Helder Camara à Francisco Mooren, 17 octobre 1973. Document de l’IDHEC/CEDOHC.