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DIAL 2906

AMÉRIQUE CENTRALE - L’accord de libre-échange ouvre le chemin à la biopiraterie

lundi 1er janvier 2007, mis en ligne par Dial

Dial a déjà consacré plusieurs articles à la question de la biopiraterie, notamment en Amazonie (voir DIAL 2665 & 2703) et au Mexique (DIAL 2842). Ce texte, publié par Noticias Aliadas le 15 août 2006 traite d’une troisième région, l’Amérique centrale, et met en évidence l’intrication du local et du global en montrant comment les clauses de propriété intellectuelle de l’accord de libre-échange entre l’Amérique centrale, la République dominicaine et les États-Unis pourraient avoir des conséquences néfastes sur la vie des communautés locales.


Une partie du patrimoine indien est en train de se convertir en propriété intellectuelle de compagnies nord-américaines.

Les communautés indiennes et les écologistes l’appellent « biopiraterie » ; les compagnies pharmaceutiques internationales et les chercheurs universitaires « bioprospection ». Peu importe le nom qu’on lui donne, l’Accord de libre échange entre l’Amérique Centrale, la République Dominicaine (TLCAC+RD pour son sigle en espagnol) [1] et les États-Unis donne le droit aux entreprises étrangères d’exploiter la flore tropicale abondante et variée de la région.

Parmi les clauses sur la propriété intellectuelle du TLCAC+RD, on trouve des normes, introduites par les États-Unis et valables dans les pays membres, qui offrent la possibilité légale aux compagnies pharmaceutiques et agroalimentaires de déposer un brevet sur les ressources biologiques de la région.

Ces organisations peuvent maintenant rechercher des plantes aux propriétés inconnues jusqu’ici, et réclamer ensuite légalement la propriété des processus auxquels elles sont soumises. Ces lois ignorent complètement l’usage antérieur que faisaient les communautés locales et indiennes de ces plantes, et leur dépendance éventuelle vis-à-vis de celles-ci. Ces communautés les ont parfois utilisées pendant des siècles et les considèrent comme faisant partie de leur patrimoine.

Ces chercheurs et ces compagnies s’arrogent eux-mêmes la propriété de la biodiversité des pays en voie de développement, ainsi que les connaissances sur l’usage de ces ressources : c’est ce qu’on peut appeler « biopiraterie ». Cette pratique est soumise à une censure virtuelle de la part des médias et n’est évoquée par quasiment personne si ce n’est quelques scientifiques et organisations écologistes.

Cela met les communautés confrontées au risque de dépossession de leurs connaissances ancestrales en claire situation de désavantage quand il s’agit de défendre leurs droits. Le directeur de l’Office de biodiversité technique du Conseil national des zones protégées (CONAP) du Guatemala, Fernando García Barrios, explique : « Les gouvernements d’Amérique centrale ne mettent pas en place les mécanismes administratifs et légaux suffisants pour protéger leurs ressources génétiques et les connaissances traditionnelles qui y sont associées ».

Ce qu’il faudrait, dit-il, c’est « un régime régional commun et coordonné, qui soutienne des initiatives régionales et nationales », en ce qui concerne la propriété intellectuelle, l’accès à ces ressources et à ces sommes de connaissances.

Au Guatemala il n’existe pas de codification claire des délits ayant trait à l’environnement. Ainsi, le brevetage de ressources sans l’accord des communautés locales concernées n’est pas considéré comme un délit.

En 2002, le Panama a voté une loi qui protège la connaissance spirituelle et la médecine traditionnelle mais, selon le biologiste kuna Heraclio Herrera, ce texte souffre de lacunes importantes et ne propose aucune disposition contre la biopiraterie. La Loi générale sur l’environnement du Panama requiert le consentement préalable des communautés indiennes avant toute bioprospection mais, selon Herrera, « les chercheurs ont contourné cette démarche consultative en s’adressant directement à une personne de la communauté possédant des connaissances en médecine traditionnelle, et en lui achetant des informations. ».

Le Nicaragua s’est doté d’une Loi de délit environnemental qui considère comme un délit l’extraction de ressources ; elle est entrée en vigueur en juin 2006.

Julio Sánchez, coordinateur du Programme sur la biodiversité du Centre Humboldt, a signalé que cette loi, ainsi que d’autres qui régissent l’accès aux ressources, pourrait remettre en question les clauses de la propriété intellectuelle du TLCAC+RD, « en bloquant les effets potentiels » de cet accord.

Pourtant, tout ceci reste encore incertain. Selon les termes du traité, les États-Unis peuvent exclure n’importe quel membre du TLCAC+RD qui essaierait de légiférer contre les aspects négatifs de l’accord. Cette mesure s’applique en sens unique puisque le traité peut prévaloir sur n’importe laquelle des législations nationales en Amérique Centrale.

Le Costa Rica n’a pas encore ratifié le traité. Le nouveau président Óscar Arias, entré en fonction il y a peu [2], s’est engagé à le signer ; mais Silvia Rodríguez, professeure de l’Université nationale du Costa Rica, a averti que « les communautés du Costa Rica se rendront peut-être rapidement compte, une fois le traité ratifié, que les statuts de la loi sur la biodiversité sont condamnés à se transformer en une restriction de l’accès aux marchés. »

Le Costa Rica a déjà renoncé à une grande partie de son patrimoine botanique. En 1991, la compagnie pharmaceutique Merck a passé un contrat avec l’Institut national pour la biodiversité. Elle a acheté pour 1,1 million de dollars les droits d’environ 500 000 espèces et micro-organismes présents dans 105 parcs nationaux du pays. Le contrat, qui a déjà été renouvelé trois fois, concède à Merck le droit de breveter tout médicament ou produit développé à partir d’une substance découverte.

Cette situation met clairement en relief le problème de la souveraineté. Dans le cas des communautés indiennes, tout conspire contre les idées qui vont à l’encontre des relations de propriété telles qu’elles sont comprises par les cultures dominantes. Mais les ethnobiologistes reconnaissent que les enjeux sont bien plus importants et qu’une corrélation évidente existe entre biodiversité et diversité ethnique et culturelle.

Des tentatives sporadiques pour se défendre contre ces invasions ont connu dans la région un succès limité avant l’arrivée du TLCAC+RD. Ainsi, en 2003, un groupe de professeurs et d’étudiants du département d’agronomie de l’Université San Carlos (USAC) du Guatemala a rejeté une proposition de coopération avec l’Université de Chicago parce qu’elle ne comptait aucune disposition de consultation des indigènes pour les programmes de bioprospection sur leurs terres. Selon l’agronome Walter García de l’USAC : « Le projet a été rejeté car l’Université (de Chicago) exigeait le droit de propriété intellectuelle, et nous aurions dû payer pour obtenir les informations. »

Les communautés locales du Guatemala ont déjà été affectées par ces méthodes.

Une plante connue en quiché sous le nom de « chardon saint » a été brevetée pour le traitement du cancer. Dans d’autres régions du pays, des remèdes naturels ont fait l’objet d’une appropriation pour le traitement de la tuberculose et la malaria.

Grâce au traité de Merck au Costa Rica, la compagnie possède des droits légaux sur des zones qui abritent huit groupes culturels indigènes. Ces populations n’ont jamais été consultées ; elles n’ont pas pris part aux négociations et ne sont pas considérées comme bénéficiaires. Pire, plusieurs familles indigènes ont été expulsées des zones de prospection.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2906.
 Traduction Pierre Dauguet pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 15 août 2006.

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[1DR-CAFTA en anglais, mis pour Dominican Republic-Central America Free Trade Agreement.

[2Le 8 mai 2006.

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