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DIAL 3387
VENEZUELA - Les Sans-Terre du Brésil construisent une nouvelle école
Luara Dal Chiavon, Thierry Deronne et alii
mercredi 19 octobre 2016, mis en ligne par
L’action du Mouvement des travailleurs sans terre (MST) ne se limite pas au seul territoire brésilien. DIAL avait déjà publié un texte sur l’engagement de la Brigade Dessalines du MST en Haïti [1]. Au Venezuela, la Brigade Apolonio de Carvalho est présente depuis près de dix ans et travaille actuellement à la mise sur pied d’une école de formation sur les terres d’une ancienne hacienda expropriée par le gouvernement Chávez, Caquetíos.
Du 19 au 23 août 2016, l’École populaire et latinoaméricaine de cinéma, télévision et théâtre (EPLACITE) a invité les cinéastes vénézuéliens Andrés et Luis Rodríguez à proposer un atelier de réalisation dans la nouvelle école. Les quelque 50 participants, issus de différents collectifs sociaux, ont été invités à filmer un aspect de la réalité de Caquetíos, en lien avec la question du rapport à la terre, puis à l’associer aux images des autres participants pour constituer un court-métrage [2].
Cet « article » est constitué de trois « parties ». La première est un extrait d’un texte publié sur le site du MST qui évoque le travail des Sans-Terre au Venezuela, la deuxième, un entretien avec Edson Marcos, coordinateur de la Brigade Apolonio de Carvalho des Sans-Terre au Venezuela et Celia Rodrigues, coordinatrice de l’école « Caquetíos » et la troisième, La tierra es de todos [« La terre est à tous »], le court-métrage mentionné [3].
I.
Une des tâches des Sans-Terre au Venezuela est de contribuer à la construction d’un espace de formation latino-américain sur les terres de Caquetíos, ancienne hacienda expropriée par le gouvernement Chávez et transformée en Unité de production alimentaire (UPSA), puis cédée au mouvement brésilien non seulement comme espace productif pour contribuer à alimenter la population vénézuélienne mais aussi comme espace de formation pour les mouvements sociaux d’Amérique latine.
De cette manière, le Mouvement des sans terre cherche à dépasser les frontières géographiques et à contribuer à la lutte internationaliste dans toute l’Amérique latine, en partant d’une pédagogie paysanne, qui refuse de séparer la théorie de la pratique, et veut les construire conjointement. En d’autres termes, dans ce lieu où l’on produit les aliments, il s’agit aussi de produire des connaissances. Et de contribuer en partant d’une réflexion pratique à faire avancer l’unité des peuples et le socialisme latino-américain.
Célia Cunha, militante des Sans-Terre travaille depuis près de dix ans au Venezuela : « Parler de souveraineté, c’est parler de semences. Et pour parler de semences nous devons parler de semailles, de récoltes, de mise en culture, et cela passe par un travail de base, de conscientisation. Il ne s’agit pas seulement de distribuer les semences, il faut aussi que ce processus s’accompagne d’un processus de prise de conscience. »
Célia insiste par ailleurs sur le défi que représente l’organisation même des processus de formation, le débat sur le thème des semences comme souveraineté et leur redistribution aux familles, en garantissant un processus d’accompagnement, pour que, dans un an, le contexte soit différent. Et que l’unité est fondamentale dans ce processus.
« Nous savons que nous ne ferons pas cela seuls, l’engagement de toutes les paysannes et paysans du Venezuela, des collectifs est nécessaire […] Notre tâche est de jeter des ponts entre ces collectifs ».
II.
Celia, Edson, quel bilan faites-vous de l’accord qui lie les Sans-Terre du Brésil au gouvernement vénézuélien ?
Edson Marcos : Nous sommes ici depuis dix ans. Dix ans de multiples activités. Tous les Sans-Terre venus du Brésil pour travailler dans le cadre de cet accord ont beaucoup, beaucoup appris. Aujourd’hui nous sommes en train de construire une école de formation sociopolitique et technique, agroécologique, provisoirement baptisée « Caquetíos » comme l’Unité de production agricole où elle est basée. Nous disposons de terres productives. Les chambres, le réfectoire son presque prêts, il manque encore quelques détails, mais nous démarrerons bientôt avec une capacité d’hébergement de soixante personnes par formation.
Celia Rodrigues : Nous sommes présents ici avec toute notre volonté, toute notre mystique, pour apporter notre pierre à la construction de la révolution bolivarienne. « Caquetíos » est un défi que nous devons relever avec l’ensemble du peuple vénézuélien, de ses collectifs. L’objectif est de fortifier le mouvement populaire, les communes et en particulier le mouvement paysan du Venezuela.
C’est le ministère des communes qui soutient le projet ?
Edson Marcos : Oui mais nous sommes aussi soutenus par le ministère de l’agriculture et des terres, et par celui de l’agriculture urbaine. En fait, nous avons des relations avec l’ensemble du gouvernement : nous envisageons un accord avec le ministère de l’éducation et avec celui de l’enseignement supérieur pour réunir des enseignants et des techniciens qui pourront apporter d’autres contenus a l’école.
Celia Rodrigues : Quand nous parlons d’institution au Brésil et au Venezuela, nous parlons de deux choses différentes ! Car ici a lieu une révolution, malgré toutes les contradictions qu’elle porte. Nous comprenons que nous devons agir autant dans le champ institutionnel que dans le champ de notre autonomie sociale. Nous sommes des alliés du gouvernement bolivarien mais nous ne sommes pas « gouvernementaux ». Et l’institution est claire aussi sur ce point : notre autonomie est respectée.
Dans cette école, les étudiants pourront produire leur propre alimentation ?
Edson Marcos : L’idée est de garder le maximum d’autonomie en matière d’alimentation, d’où cette intégration des étudiant-e-s au travail de la terre, ce qui leur permettra aussi d’expérimenter la production de semences. Nous avons créé une fondation, le gouvernement nous appuie dans l’infrastructure pour inviter les étudiants et pour planifier la mise en culture de cette grande étendue de terres autour de l’école.
Vous avez déjà réussi à sauver un maïs autochtone…
Edson Marcos : Oui, il y a un peu plus d’un an, nous sommes tombés sur ce maïs du type « guanape », qui avait pratiquement disparu du pays. Nous avons semé six quintaux de cette variété excellente, très productive et très résistante, ici et dans une plantation à 40 km d’ici. Nous sommes en train de récolter les grains, nous en avons déjà envoyé dans d’autres lieux du pays. Nous produisons d’autres semences agroécologiques : coriandre, aubergine, pois d’Angole, salade, choux, navets, et d’autres légumes.
Cette école sera une plate-forme ouverte à tout type de formation proposée par les mouvements sociaux : de l’agroécologie au théâtre populaire…
Edson Marcos : En effet. Nous sommes dans la phase d’administration, de réflexion sur la stratégie politique de l’espace, avec une planification ouverte à tous ceux qui veulent venir suivre ou donner des cours ici. Ce sont ces différentes formations qui vont faire croître le projet. Notre tâche, ici, est transitoire, nous n’allons pas demeurer ici indéfiniment. Nous allons former une équipe vénézuélienne pour assumer la coordination de l’école, avec nous au début, puis elle toute seule.
Celia Rodrigues : L’école doit remplir sa fonction sociale d’échange de connaissances pour nos organisations, y compris pour les militants de la Brigade des Sans-Terre au Venezuela, nous espérons que tous ceux qui passent par ici gardent une impression aussi positive que les étudiant-e-s de notre École nationale Florestán Fernandes [4]. Que tous sachent qu’ici ils peuvent apprendre quelque chose, et que nous, Brésiliens, voulons apprendre aussi.
Au Brésil, les Travailleurs ruraux sans terre sont le mouvement social le plus mobilisé contre un coup d’État qui est aussi médiatique…
Edson Marcos : Dans la dernière période du gouvernement progressiste, de Lula à Dilma, le Mouvement des sans terre s’en est tenu plus ou moins à sa position d’autonomie et nous avons parfois exprimé de dures critiques sur sa politique. Mais la priorité du moment est de le défendre. Dès le coup d’État, nous sommes descendus dans la rue pour défendre ce gouvernement, non pour ses erreurs mais pour ses réussites. Les gains pour les travailleurs et pour les plus pauvres ont été très importants. Le retour au néo-libéralisme, pour nous, constitue une très forte régression. Aujourd’hui de nombreux citoyens et mouvements ont rejoint le « Front populaire » pour mener la lutte. 100% des médias brésiliens appartiennent aux grandes corporations. Qui paie l’orchestre choisit la musique : les contenus, les éditoriaux, sont en faveur du coup d’État et cherchent à désorganiser le monde du travail. La situation est très dure car nous n’avons pas réellement de médias alternatifs pour toucher l’ensemble des citoyens. Reste le travail de base comme outil principal pour diffuser la contre-information.
III.
– format SD
– format HD :
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3387.
– Traductions de Thierry Deronne, revues par DIAL.
– Source du premier texte (français) : Venezuela Infos, 6 septembre 2016.
– Source du premier texte (portugais) : site du MST, 4 septembre 2016.
– Source du deuxième texte (français) : Venezuela Infos, 17 juillet 2016.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source originale (Venezuela Infos - venezuelainfos.wordpress.com) et l’une des adresses internet de l’article.
[1] Voir DIAL 3266 - « HAÏTI - La Brigade Dessalines, initiative de La Via Campesina et du Mouvement des sans terre du Brésil : « l’exploitation étrangère est la cause des difficultés du pays » ».
[2] La production de ce court-métrage a bénéficié du soutien de la Brigade Apolonio de Carvalho du MST, de l’équipe coordinatrice d’Alba TV, de l’association France-Amérique latine Bordeaux-Gironde (FAL 33) et de l’équipe enseignante de l’EPLACITE, Thierry Deronne, Juan José Moreno et Jesús Reyes.
[3] L’entretien retranscrit dans le deuxième texte a été conduit par Thierry Deronne ; La traduction des deux textes est aussi de Thierry Deronne, comme les sous-titres français du court-métrage.