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DIAL 3385

COLOMBIE - « La société civile se mobilise pour sauver le processus de paix » : Entretien avec Fernando Hernández, directeur de la Corporation Nuevo Arco Iris

Sandra López

mercredi 19 octobre 2016, mis en ligne par Dial

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L’étroite victoire du Non au référendum organisé le 2 octobre pour ratifier les accords de paix entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) a plongé une partie du pays dans le désarroi. Dans cet entretien mené par Sandra López et publié le 6 octobre par Noticias Aliadas, Fernando Hernández tente de dégager des perspectives.


La Colombie ne s’est pas encore remise de la surprise causée par la victoire du Non au plébiscite du 2 octobre qui avait pour objectif de ratifier l’Accord final sur la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable, signé à Cartagena le 26 septembre entre le président Juan Manuel Santos et Rodrigo Londoño (alias Timochenko) au nom des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

Les négociateurs du gouvernement et la guérilla ont mis quatre ans à concrétiser l’accord qui mettrait fin à 52 années de conflit armé. Mais cet accord, qui devait être ratifié par les citoyens lors d’un plébiscite, a été rejeté par quelque 53 900 voix lors d’un processus au cours duquel n’a voté que 37% de l’électorat.

Dans un entretien accordé à Sandra Lopez, correspondante de Noticias Aliadas, Fernando Hernández, directeur de la Corporation Nuevo Arco Iris, un centre non gouvernemental de réflexion, de recherche et d’action sociale, donne les tenants et aboutissants de la situation avant, et après cette décision cruciale du peuple colombien.

Comment expliquer les résultats du plébiscite au cours duquel s’est imposée l’option du Non ?

Nous sommes passés d’un formidable espoir à une surprise, une incrédulité inouïe et une grande frustration. Nous ne nous attendions vraiment pas à cela. Tout indiquait que le nombre de Oui allait être deux fois plus important et même, selon certains sondages, trois fois plus impotant que celui de Non. De toute évidence, il y avait un courant sous-terrain que nous n’avions pas réussi à percevoir et qui s’est manifesté dans cet incroyable triomphe du Non, qui, même s’il a gagné avec une marge étroite, a gagné de toute manière. Le grand gagnant a été l’ex-président Álvaro Uribe (2002-2010) et le grand perdant, le pays. Nous sommes passés de l’euphorie de Cartagena à la déception ; quant au président Juan Manuel Santos qui, il y a huit jours était candidat au prix Nobel de la paix [1], son gouvernement a subi, le 2 octobre, un énorme revers. Le résultat est que l’Accord de paix de La Havane est pratiquement inutilisable.

Selon vous, quelles ont été les causes de ce rejet de l’accord ?

En premier lieu, le gouvernement s’est trompé dans sa façon d’affronter la stratégie propagandiste de l’uribisme – comme on appelle le courant politique de l’ex-président Uribe – qui a réduit le processus de négociation à quelques phrases très simples qui ont convaincu les gens. Les uribistes ont dit, par exemple, qu’avec ce processus d’accord, le gouvernement livrerait le pays au communisme et au castrochavisme (en référence aux gouvernants cubains Fidel et Raúl Castro et au président vénézuélien défunt Hugo Chávez), et plongerait bien sûr le pays dans une crise comme celle que vit le Venezuela : cela a frappé les esprits. Ils disaient que l’accord octroierait aux FARC l’impunité pour des crimes contre l’humanité, quand bien même ce n’est pas exact. Uribe a déclaré qu’on récompensait les délinquants en leur attribuant des responsabilités politiques. L’accord propose la remise de 3 millions d’hectares de terres, en jachère ou reprises aux narcos, qui sont aujourd’hui propriété de l’État, aux paysans qui n’en possèdent pas. L’uribisme a transformé cette proposition en menace d’expropriation de terres légalement détenues par leurs propriétaires. Ces messages ont été très efficaces au sein de la population. Dans la campagne de l’extrême droite tous les coups étaient permis.

Il semblerait que ce message ait reçu un écho favorable dans les villes.

Les villes ont voté Non, à l’exception de Bogotá. Le département d’Antioquia, d’où est originaire l’ex-président Uribe, a voté Non ; Cundinamarca, le département central, où se situe Bogotá, a voté Non ; l’Axe caféicole, Risaralda, Pereira, Santander a voté Non. En revanche, les régions où se trouvent les victimes, les Afro-Colombiens, les Indiens, ceux qui souffrent vraiment de la violence ont voté Oui. Le Chocó, où les communautés afro-colombiennes souffrent énormément, où se situe la commune de Bojayá, que les FARC ont bombardée, le 2 mai 2002, tuant 119 personnes, a voté Oui à 95%. Des régions, comme le département du Cauca, qui est un territoire indien, de populations majoritairement paysannes, ou le Putumayo, ou le Vaupes, où se trouvaient les fronts de la guérilla les plus importants, ont voté Oui. Paradoxalement les villes, qui ont moins souffert, sont celles qui ont rejeté l’accord.

Que dire de l’abstentionnisme qui, cette fois-ci, a été de 62,2% ?

Il est habituel en Colombie de ne pas aller voter (le vote en Colombie n’est pas obligatoire), mais cette fois-ci l’abstention a été plus importante que dans le passé. Certaines personnes expliquent que sur la Côte Atlantique, où l’on s’attendait à un vote massif pour le Oui, les électeurs ont été freinés par le passage de l’ouragan Matthew. D’autres, faisant confiance aux sondages qui disaient que le Oui allait massivement gagner, ont considéré qu’il n’était pas nécessaire d’aller voter.

Pensez-vous aussi que le poids de l’ex-président Uribe, aujourd’hui sénateur, a eu une influence sur le vote ?

Il faut reconnaître que l’ex-président Uribe est un homme politique tenace et très capable. Il faut bien reconnaître aussi que le gouvernement a fait campagne très tardivement du point de vue d’une pédagogie de la paix. Je crois que le gouvernement a confondu la propagande progouvernementale avec la pédagogie de la paix. Il a fait une campagne très centrée sur le personnel politique habituel, avec malheureusement la même politicaillerie de toujours.

Le sénateur Uribe a participé aux manifestations et a même nommé ses représentants pour discuter avec le gouvernement d’une renégociation de l’accord. Cela ne vous semble-t-il pas positif ?

Même si Uribe dit maintenant qu’il cherche à renégocier et que le gouvernement l’accepte, ce qu’il veut réellement, à mon avis, c’est démanteler l’accord. Les secteurs d’extrême droite, propriétaires de terres, ont intérêt à remettre en cause le volet agraire. Ce sont aussi des secteurs qui redoutent la justice de transition, car celle-ci demande de dire toute la vérité, entre autres, sur l’origine des terres acquises au cours de la période de la Violence [2]. Certains d’entre eux ne veulent pas que soit révélée leur relation avec les paramilitaires.

Mais la participation d’Uribe est une avancée en ce sens qu’il n’y a pas de rejet complet de ce qui a été conclu en quatre ans de négociation.

Bien sûr. C’est pour cela que nous cherchons en ce moment des chemins pour avancer. Le gouvernement a nommé une commission de ministres, y compris le responsable des négociations, Humberto de la Calle, pour trouver certains points de convergence avec l’uribisme. Les partis qui appuient le processus de paix se sont réunis avec le président pour chercher des issues. En ce moment se tient à La Havane une réunion entre les délégations des FARC et le gouvernement pour décider des compromis à adopter. Dans les rues manifestent des étudiants, des paysans qui exigent d’avancer vers la paix. Néanmoins, je ne pense pas que les membres de la guérilla disent : bien, nous acceptons d’aller en prison pour 10 ou 12 ans. Ils ne vont pas dire : nous déposons les armes et nous ne participons pas à la politique. Il faudra beaucoup d’imagination pour tenter de sauver le processus de paix.

Même s’ils ne vont pas céder sur tout, comme vous le dites, croyez-vous que les FARC aient la volonté de renégocier ?

Je n’ai aucun doute de ce que les responsables des FARC sont pleinement d’accord pour négocier. À la mi-septembre, lors du congrès qui s’est tenu dans la Selva du Yarí (au centre du pays), ils ont ratifié l’accord à l’unanimité. Le problème maintenant est que tout est suspendu. Je pense que les femmes et les hommes des FARC doivent être déconcertés. Les jours suivant le plébiscite ils étaient supposés se diriger vers les zones de rassemblement. Maintenant, ils ne savent plus ce qu’ils doivent faire.

Tout est paralysé. L’ONU, qui en était la garante de l’accord et dont la participation était essentielle dans sa mise en application, est paralysée. Les aides économiques internationales qui devraient arriver pour la période post-conflit sont paralysées. Nous sommes dans les limbes.

Diriez-vous alors qu’il faudrait prendre des mesures immédiates ?

Il faut au moins savoir quelles sont les voies vers lesquelles nous devons nous orienter. J’imagine que ce n’est pas facile car, je te le répète, pour moi le souhait de l’uribisme est de démonter le processus. J’espère que l’intelligence des FARC, sur la base de ce qu’ils ont déjà décidé – déposer les armes et s’orienter vers une transition – les aidera à chercher des solutions politiques. Il faut aussi prendre en compte le rôle que joue la société civile qui se mobilise pour sauver le processus. Cela est positif.

Il faut revenir non seulement sur ce qui a été négocié entre les trois parties, mais ouvrir la négociation à d’autres participants. L’ELN (Ejército de Liberación Nacional, Armée de libération nationale en français – le deuxième groupe guérillero du pays), a fait connaître sa volonté de participer à une nouvelle négociation et c’est un signal positif. Dans ces conditions, est peut-être envisageable une table de négociation élargie où se seraient présents le gouvernement, les FARC, l’ELN, l’opposition et la société civile. Il faut éviter que ce soit à nouveau une table restreinte.

S’ouvre aussi la possibilité de réaliser une Assemblée nationale constituante, pas à moyen terme, bien sûr, mais c’est une disposition que les FARC, et même l’uribisme, ont envisagée.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3385.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 6 octobre 2016.

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[1Il s’est vu octroyer le prix le 7 octobre – note DIAL.

[2Durant les années 1950 – note DIAL.

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