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DIAL 3400 - Et elle a tremblé ! Rapport depuis l’épicentre…

MEXIQUE - Déclaration du Ve Congrès national indien

lundi 27 février 2017, mis en ligne par Dial

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Luis Hernández Navarro commençait un article publié dans La Jornada (18 octobre 2016) et dont la traduction française (« MEXIQUE - Les zapatistes, le Congrès national indien et les élections ») a été publiée par AlterInfos - DIAL (9 novembre 2016), en écrivant :

L’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et le Congrès national indien (CNI) ont décidé de consulter les peuples et les communautés, concernant la candidature d’une femme indienne à la Présidence de la République pour les élections de 2018. La décision a suscité une énorme polémique. Les uns voient dans cette décision un virage à 180 degrés dans leur ligne d’action. D’autres, leur entrée en politique. Un certain nombre encore, une manœuvre pour la formation d’une coalition anti-Andrés Manuel López Obrador.

Ces trois opinions, en plus d’être erronées, sont discriminatoires. Elles sont basées sur la désinformation et sur un schéma d’analyse qui a pour point de départ : qui n’est pas avec moi est contre moi. Ces points de vue révèlent une méconnaissance de l’histoire et de la trajectoire politique, aussi bien de l’EZLN que des organisations indiennes qui font partie du CNI.

Pour éclairer les prises de position actuelles de l’EZLN et du CNI, rien ne vaut la parole des intéressés. Nous publions donc ici la Déclaration du Ve Congrès national indien diffusée le 1er janvier 2017.


Aux peuples originaires du Mexique
À la société civile du Mexique et du monde
À la Sexta nationale et internationale
Aux médias de communication libres

Frères, sœurs

Voici venu le moment des peuples, celui de nous semer et de nous reconstruire. Voici venu le moment de passer à l’offensive et c’est l’accord qui se dessine dans nos yeux, dans les individus, les communautés, les peuples, dans le Congrès national indien (CNI) ; voici venu le temps que la dignité gouverne ce pays et ce monde et qu’à son passage fleurissent la démocratie, la liberté et la justice.

Nous annonçons que lors de la deuxième étape du Ve CNI, nous avons minutieusement évalué les résultats de la consultation des peuples que nous formons le Congrès national indien, et qui a eu lieu durant les mois d’octobre, novembre et décembre 2016, durant lesquels de toutes les manières, formes et langues qui nous représentent dans la géographie de ce pays, nous avons émis des accords d’assemblées communales, d’ejidos, de collectifs, d’assemblées municipales, intermunicipales et régionales, qui une fois de plus nous amènent à comprendre et assumer avec dignité et révolte la situation que traverse notre pays, notre monde.

Nous saluons les messages de soutien, d’espoir et de solidarité qu’ont fait parvenir intellectuels, collectifs et peuples qui se font l’écho de l’espoir face à notre proposition, que nous avons nommée « Que tremble la terre en ses centres » et que nous avons rendue publique lors de la première étape du Ve CNI. Nous saluons également les voix critiques, nombre d’entre elles avec des arguments fondamentalement racistes, qui reflètent une indignation rageuse et le mépris à la pensée qu’une femme indienne prétende non seulement concourir à l’élection présidentielle, mais proposer de changer réellement, depuis en bas, ce pays endolori.

À eux tous, nous disons qu’en effet la terre a tremblé et nous avec elle, et que nous prétendons secouer la conscience de la nation, qu’en effet nous prétendons que l’indignation, la résistance et la rébellion figurent sur les bulletins électoraux de 2018, mais qu’il n’est pas pour rien au monde dans notre intention d’entrer en compétition avec les partis et toute la classe politique qui nous doit encore beaucoup ; chaque mort, chaque disparu, chaque prisonnier, chaque expulsion, chaque répression et chaque mépris. Ne vous méprenez pas sur nous, nous ne prétendons pas rivaliser avec eux parce que nous ne sommes pas les mêmes, nous ne sommes pas leurs discours mensongers et pervers. Nous sommes la parole collective d’en bas et à gauche, celle qui secoue le monde lorsque la terre tremble avec des épicentres d’autonomie, et qui nous rend si orgueilleusement différents que :

1. Alors que le pays est submergé dans la peur et la terreur qui naissent des milliers de morts et de disparus, dans les municipalités de la montagne et de la côte du Guerrero, nos peuples ont créé les conditions d’une sécurité et d’une justice véritable ; à Santa María Ostula, dans le Michoacán, le peuple nahua s’est uni à d’autres communautés indiennes pour maintenir la sécurité entre les mains des peuples, où l’épicentre de la résistance est l’assemblée communale d’Ostula, garante de l’éthique d’un mouvement qui s’est étendu aux municipalités d’Aquila, Coahuayana, Chinicuila et Coalcomán. Sur le plateau purépecha la communauté de Cherán a démontré que par l’organisation, en sortant les politiciens de leurs structures du mauvais gouvernement et en exerçant ses propres formes de sécurité et de gouvernement, on peut non seulement construire la justice, mais aussi que, comme dans d’autres géographies du pays, seulement à partir d’en bas, et depuis la rébellion se reconstruisent de nouveaux pactes sociaux, autonomes et justes. Et nous ne cessons et ne cesserons pas de construire à partir d’en bas la vérité et la justice niée aux 43 étudiants de l’École normale d’Ayotzinapa, au Guerrero, disparus, aux 3 compagnons étudiants qui ont été assassinés et aux compagnons blessés, tous par le narco-gouvernement mexicain et ses forces répressives. Pendant ce temps, les mauvais gouvernements criminalisent la lutte sociale, la résistance et la rébellion, en persécutant, harcelant, faisant disparaître, emprisonnant et assassinant des hommes et des femmes accomplies qui luttent pour des causes justes.

2. Alors que la destruction gagne tous les coins du pays, sans connaître de limites, éloignant l’appartenance à la terre et au sacré, le peuple Wixárika, avec les comités de défense de la vie et de l’eau de l’altiplano de San Luis Potosi ont démontré qu’il est possible de défendre un territoire, son environnement et équilibres, en se basant sur la reconnaissance que nous ne formons qu’un avec la nature, avec une vision sacrée qui renouvelle chaque jour les liens ancestraux avec la vie, la terre, le soleil et les ancêtres, incluant 7 municipalités sur le territoire sacré cérémonial de Wirikuta dans l’État de San Luis Potosi.

3. Alors que les mauvais gouvernements déforment les politiques de l’État en matière d’éducation en la mettant au service des entreprises capitalistes afin qu’elle cesse d’être un droit, les peuples autochtones créent des écoles primaires, des collèges, des lycées et des universités avec leurs propres systèmes éducatifs, fondés sur la protection de notre terre mère, la défense du territoire, sur la production, les sciences, les arts, sur nos langues et bien que la majorité de ces processus se développe sans soutien d’aucun niveau du mauvais gouvernement, ils sont au service de toutes et tous.

4. Alors que les médias de communication à gages, porte-voix de ceux qui prostituent chacun des mots qu’ils diffusent et qui trompent les peuples des campagnes et des villes en les endormant, font passer pour des délinquants ceux qui pensent et défendent ce qui leur appartient, qu’ils présentent toujours présentés comme des méchants, des vandales, des inadaptés ; alors que ceux qui vivent de l’ignorance et la petitesse sont présentés comme socialement bons, et ceux qui oppriment, répriment, exploitent et spolient sont toujours les bons, ceux qui méritent d’être respectés et de gouverner pour se servir ; pendant ce temps, les peuples ont créé leurs propres médias de communication inventant des formes diverses pour que la conscience ne soit pas obscurcie par les mensonges que les capitalistes imposent, qu’ils utilisent en plus pour renforcer l’organisation d’en bas, d’où naît chaque parole vraie.

5. Alors que la « démocratie » représentative des partis politiques est devenue une façon de moquer la volonté populaire, où les votes s’achètent et se vendent comme une marchandise de plus et se manipulent par la pauvreté dans laquelle les capitalistes maintiennent les sociétés des campagnes et des villes, les peuples autochtones continuent à prendre soin et à renforcer des formes de consensus et des assemblées comme organes de gouvernement où la voix de toutes et tous deviennent des accords profondément démocratiques, incluant des régions entières par le biais d’assemblées discutant les accords d’autres assemblées qui elles-mêmes surgissent à leur tour de la volonté profonde de chaque famille.

6. Alors que les gouvernements imposent leurs décisions au bénéfice d’un petit nombre, supplantant la volonté collective des peuples, criminalisant et réprimant ceux qui s’opposent à leurs projets de mort qu’ils imposent sur le sang de nos peuples, comme pour le Nouvel Aéroport de la Ville de Mexico, feignant de consulter pendant qu’ils imposent la mort, nous, peuples autochtones pratiquons en permanence la consultation préalable, libre et informée à des échelles petites ou grandes.

7. Alors qu’avec leurs privatisations les mauvais gouvernements remettent la souveraineté énergétique du pays aux mains d’intérêts étrangers et que le coût élevé de l’essence révèle le mensonge capitaliste qui n’ouvre la voie qu’aux inégalités et à la réponse rebelle des peuples indiens et non-indiens du Mexique, que les puissants ne pourront ni occulter ni faire taire ; nous, les peuples, faisons front et luttons pour stopper la destruction de nos territoires par le fracking, les parcs éoliens, les mines, les puits de pétrole, les gazoducs et les oléoducs dans des États comme ceux de Veracruz, Sonora et Sinaloa, de Basse Californie, Morelos, Oaxaca, et du Yucatán, ainsi que tout le territoire national.

8. Alors que les mauvais gouvernements imposent une alimentation toxique et transgénique à tous les consommateurs des campagnes et des villes, les peuples mayas maintiennent une lutte infatigable afin d’arrêter la culture d’OGM dans la péninsule du Yucatán et dans tout le pays afin de conserver la richesse génétique ancestrale, qui représente en outre notre vie et organisation collective, et qui est la base de notre spiritualité.

9. Alors que la classe politique ne fait que détruire et promettre, nous, les peuples, construisons non pour gouverner mais pour exister dans l’autonomie et la libre détermination.

Nos résistances et rébellions constituent le pouvoir d’en bas, elles n’offrent ni promesses ni bonnes idées, mais des processus réels de transformation radicale où toutes et tous participent et qui sont tangibles dans les diverses et gigantesques géographies indiennes de cette nation. C’est pourquoi en tant que Congrès national indien, 43 peuples de ce pays réunis en ce Ve Congrès, nous nous sommes DÉCIDÉS ENSEMBLE de nommer un Conseil indien de gouvernement avec pour représentants des femmes et des hommes de chacun des peuples, tribus et nations qui le composent. Et que ce conseil se propose de gouverner ce pays. Et qu’il aura comme voix une femme indienne du CNI, c’est-à-dire qui ait du sang indien et qui connaisse sa culture. Ou encore qu’il aura comme porte-parole une femme indienne du CNI qui sera candidate indépendante à la présidence du Mexique lors des élections de l’année 2018.

C’est pour cela que le CNI, comme Maison de tous les peuples, nous sommes les principes qui configure l’étique de notre lutte et dans laquelle ont une place tous les peuples autochtones de ce pays, ces principes qu’habite le Conseil indien de gouvernement sont :

Obéir et non commander
Représenter et non supplanter
Servir et non se servir
Convaincre et non vaincre
Descendre et non monter
Proposer et non imposer
Construire et non détruire

C’est ce que nous avons inventé et réinventé non par goût, mais comme l’unique manière que nous avons de continuer à exister, c’est-à-dire que ces nouveaux chemins tirés de la mémoire collective de nos propres formes d’organisation sont le produit de la résistance et de la révolte, du faire front chaque jour à la guerre qui n’a jamais cessé et qui n’a jamais pu en finir avec nous. Ces formes nous ont permis, non seulement de tracer la voie pour la reconstitution intégrale des peuples, mais aussi de construire de nouvelles formes civilisatrices, des espoirs collectifs qui deviennent communautaires, municipaux, régionaux, étatiques et qui apportent des réponses précises aux problèmes réels du pays, loin de la classe politique et de sa corruption.

De ce Ve Congrès national indien nous appelons les peuples autochtones de ce pays, les collectifs de la Sexta, les travailleurs et travailleuses, fronts et comités de lutte des campagnes et des villes, la communauté étudiante, intellectuelle, artistique et scientifique, la société civile non organisée et toutes les personnes de cœur à serrer les rangs et à passer à l’offensive, à démonter le pouvoir d’en haut et à nous reconstituer non seulement comme peuples, mais aussi comme pays, d’en bas et à gauche, à nous unir en une seule organisation où la dignité sera notre dernier mot et notre première action. Nous vous appelons à nous organiser et à arrêter cette guerre, à ne pas avoir peur de nous construire et de nous semer sur les ruines laissées par le capitalisme.

C’est ce que nous demande l’humanité et notre mère qui est la terre, nous comprenons là que le temps de la dignité rebelle est venu et nous le concrétiserons en convoquant une assemblée constitutive du Conseil indien de gouvernement pour le Mexique durant le mois de mai 2017. À partir de ce moment-là, nous établirons des ponts en direction des camarades de la société civile, des médias de communication et des peuples autochtones pour faire trembler la terre en ses centres, vaincre la peur et récupérer ce qui revient à l’humanité, à la terre et aux peuples, par la récupération des territoires envahis ou détruits, la présentation des disparus du pays, la liberté de tous les prisonniers et les prisonnières politiques, par la vérité et la justice pour les assassinés, par la dignité des campagnes et des villes. C’est-à-dire, n’en doutez pas, nous mettrons toutes nos forces dans la lutte, car nous savons que nous avons peut-être ici la dernière occasion, en tant que peuples autochtones et en tant que société mexicaine, de changer pacifiquement et radicalement nos propres formes de gouvernement, en faisant de la dignité l’épicentre d’un monde nouveau.

Depuis Oventik, territoire zapatiste, Chiapas, Mexique
Plus jamais un Mexique sans nous
Congrès national indien
Armée zapatiste de libération nationale


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3400.
 Traduction française publiée sur le site Enlace zapatista le 10 janvier 2017. Traduction revue et modifiée par DIAL.
 Source (espagnol) : Enlace zapatista, 1er janvier 2017.

En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, l’origine de la traduction, l’une des sources françaises et l’une des adresses internet de l’article.

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