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DIAL 2852

MEXIQUE - Pourquoi une telle attaque de Marcos contre le candidat de la gauche ?

dimanche 1er janvier 2006, mis en ligne par Dial

Les élections présidentielles auront lieu au Mexique en juillet 2006. André Manuel López Obrador est le candidat du Parti révolutionnaire démocratique (PRD), situé à gauche. Les sondages le placent en tête avec 36% des intentions de vote, suivi à huit points de distance par Roberto Madrazo, du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, parti qui fut au pouvoir pendant 70 ans jusqu’à l’élection de l’actuel président Vicente Fox en 2000), et de Felipe Calderón, du Parti de l’action nationale (PAN), situé à droite. López Obrador doit sa popularité à son action à la tête de la capitale du pays dont il fut maire jusqu’en juillet 2005.

Le sous-commandant Marcos a violemment pris à parti López Obrador, le traitant de « personnage ambitieux et sinistre » tandis qu’il ne voyait dans son parti le PRD que « la main gauche de la droite ». La virulence de l’attaque a surpris la gauche mexicaine. Elle a été jugée injuste et beaucoup s’interrogent sur les raisons du sous-commandant Marcos. Alors que la bataille électorale va battre son plein tout au long de cette année et que l’EZLN envoie ses émissaires dans tout le pays (voir article précédent) , de tels propos ont suscité beaucoup de questions sur la stratégie politique du sous-commandant Marcos. Nous publions ci-dessous l’analyse et la réaction de Jorge Alonso chercheur et correspondant d’Envío pour le Mexique, paru dans Envío (Nicaragua), novembre 2005.


On peut faire de la critique pertinente adressée au Parti de la révolution démocratique des interprétations contradictoires.

Elle pourrait se comprendre comme un désir de destruction des vieux schémas, qui serait en même temps une aspiration à donner naissance à quelque chose de nouveau qui se place au dessus de la « particratie » caduque et préjudiciable aux intérêts de la masse. La critique des processus électoraux vides de sens, noyés dans un marketing dilapidateur et cynique prétend délivrer la population de ces cycles électoraux répétitifs et qui se confondent avec ce qu’il y a d’éphémère, de balourd et de grotesque dans leurs messages publicitaires produits à coup de millions.

On peut aussi considérer que le fait de prendre ses distances par rapport au perredismo [1] est la marque d’une gauche fin XXè, début XXIè. Etant entendu que ce ne sont pas les rêves de cette gauche, conçue comme un groupe d’illuminés qui prend le pouvoir par les armes pour réaliser les transformations souhaitées par les masses exploitées, qui font débat – cela a débouché sur le gigantesque échec de ce que l’on a appelé le socialisme réel-. Ce qui est en débat aujourd’hui c’est la voie électorale, adoptée par plusieurs gauches latino-américaines, aujourd’hui confrontées aux réalités de terrain dans un contexte propice à la corruption à grande échelle, comme cela s’est produit en Amérique centrale et au Brésil. Face à cela le zapatisme proposerait autre chose. Son emportement contre le fait électoral pourrait donner lieu à des lectures à partir de ces pistes.

Il serait évidemment souhaitable qu’une gauche qui ne se contente pas de s’aligner mais qui joue son rôle transformateur, puisse se consolider. On peut aussi faire coïncider cette distanciation zapatiste avec un désir de confrontation afin d’éviter des confusions au sein des secteurs importants touchés par la pauvreté et l’exclusion. L’appel à une « campagne innovante » n’a rien à voir avec les tentatives historiques de la gauche, destinées à provoquer des fusions qui donnent naissance à un nouveau parti. La nouvelle coordination unifiée est aux antipodes des tentatives des partis dits de gauche et avec pignon sur rue, qui recherchent un front constitué par l’élite des partis et qui, sur le fond, conservent de l’intérêt pour les élections à travers la distribution post-électorale des responsabilités et des privilèges. Les appels zapatistes en direction des bases du PRD afin qu’elles s’affranchissent de leurs élites et abandonnent ce parti auraient pour but l’impérieuse nécessité de démontrer qu’il faut construire autre chose et non donner aux partis un coup de jeunesse.

Des critiques au projet de l’ « autre campagne » s’orientent vers l’idée qu’on ne peut pas se contenter d’aller écouter passivement ce que de nombreux groupes auraient à dire au niveau local. Il y a une demande pour que soient constitués des réseaux relationnels autour d’objectifs déterminés. En rejetant ceux qui sont partie prenante dans les partis officiels et en favorisant un sentiment de malaise chez ceux qui ont l’intention de voter en 2006, il existe un danger d’exclusion d’importants secteurs populaires militants nécessaires dans un affrontement avec les ennemis des attentes populaires. Plus grande encore est la crainte que les accents ombrageux des critiques de Marcos ne favorisent la domination des groupes les plus sectaires, ce qui conduirait à ce que se perpétue le rassemblement de ceux qui privilégieraient le constat et ne plaideraient pas en faveur d’un changement dans l’actuel rapport des forces.

Quelque chose de nouveau, de positif pour l’avenir

Tout ceci ne doit pas dissimuler les aspects positifs que l’on peut mettre en évidence dans l’ « autre campagne ». A travers elle, une initiative politique, à caractère national et international, pour trouver un programme politique alternatif au néolibéralisme fait son apparition. Il s’agit d’un mouvement social qui veut déboucher sur une tendance pédagogico-politique d’organisation et d’actions. Il y a quelque chose de positif dans le fait que le zapatisme se redéfinisse non plus en tant que rebelle et antilibéral mais comme partie intégrante de la gauche anticapitaliste qui, face à un monde où prédomine l’ « avoir », tente de faire poindre le monde de l’ « être ».

On observe une recherche en profondeur pour essayer de s’éloigner du schéma traditionnel des partis en même temps que des vieilles modalités basées sur les fronts et les coordinations populaires. En mettant en avant la crise des partis, et tout particulièrement la crise des partis dits de gauche, soumis à la logique de leurs élites, l’« autre campagne » refuse toute particratie manipulée par l’intervention des pouvoirs de l’argent, des grands média et du crime organisé, et s’efforce de créer « quelque chose d’autre ».

Face au discrédit de la démocratie électorale, l’« autre campagne » remet en avant la possibilité d’une démocratie plus radicale, proposée comme pratique quotidienne et finalité. Il ne faudrait toutefois pas perdre de vue qu’une démocratie radicale implique la démocratie civile, politique, électorale et sociale. Il n’est pas possible d’effacer la perspective électorale même s’il faut la transformer. C’est un point qui manque de clarté dans « l’autre campagne ».


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2852.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Envío (Nicaragua), novembre 2005.

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[1Doctrine du Parti de la révolution démocratique.

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