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DIAL 2855

GUATEMALA - Approche de la spiritualité maya

Albina Gaspar

dimanche 1er janvier 2006, mis en ligne par Dial

Les cultures indigènes latino-américaines occupent aujourd’hui une place qu’il est difficile de contester. En dépit de leurs grandes richesses, elles sont en crise. Mais aujourd’hui comme hier, toute affirmation d’identité maya passe par la spiritualité. Les Mayas réaffirment leurs identités religieuses traditionnelles et intègrent au cœur même de l’univers chrétien les symboles, rites et langages de leur culture ancestrale. Article de Albina Gaspar, paru dans Voces del Tiempo (Guatemala), n° 49 (2005).


C’est le vent

qui leur a donné la vie.

C’est le vent

qui sort de notre bouche

qui maintenant nous donne la vie.

Lorsqu’il cesse de s’écouler, nous mourons.

Sur la peau du bout de nos doigts

nous voyons la trace du vent ;

elle nous indique le vent qui soufflait

lorsque furent créés nos ancêtres [1].

Tout est disposé pour toi.

Ton chemin est devant toi.

Parfois il est invisible, mais il est là.

Peut-être ne sais-tu pas où il va,

mais tu dois suivre ce chemin.

C’est le chemin vers le Créateur.

Il n’y en a pas d’autre [2].

Le père Eléazar Lopez observe dans une de ses réflexions que nous, les peuples indigènes d’Amérique et du monde, pendant les 500 dernières années, avons été de parfaits inconnus pour les sociétés dominantes. Cependant l’identité indigène pendant ces dernières années nous est montée à la tête et nous avons fait irruption sur la scène publique, tels que nous sommes, avec notre propre visage, notre propre cœur et notre parole millénaire. Dans de nombreux forums au niveau mondial, nous avons manifesté notre existence et le cri des peuples indigènes s’est fait entendre.
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Aujourd’hui, les cultures indigènes se voient soumises à de grandes menaces, et ces menaces, nous les ressentons à l’intérieur de nous-mêmes. Il est facile et dangereux - parce que nous sommes portés à fausser la réalité – d’avoir deux niveaux de pensée : quand nous parlons des merveilles du peuple indigène, nous l’idéalisons, nous l’imaginons, nous construisons un imaginaire collectif qui est éloigné de la réalité. D’un autre côté se trouve la réalité elle-même, la quotidienneté. Ainsi nous parlons d’une culture maya idéale, et d’une autre, réelle. Le niveau idéal est une construction de notre esprit qui peut nous conduire à une impasse Dans la culture indigène, il y a une grande richesse, mais il faut savoir reconnaître aussi qu’il y a crise. Le cœur du peuple maya est blessé. Le Père Ricardo Falla observe, dans l’une de ses réflexions, que très souvent nous travaillons avec des concepts idéaux qui n’existent pas dans la réalité, bien qu’il faille reconnaître qu’il y a dans cette réalité les germes de son élaboration.

Apports de l’anthropologie

Les évêques, dans leur lettre pastorale 500 ans d’évangélisation, recueillent les apports des sciences anthropologiques et montrent que la culture est une réalité complexe, non seulement parce qu’elle embrasse tous les domaines où l’être humain établit des relations, mais parce que les cultures ont plusieurs strates ou niveaux de réalisation :

• A un niveau très extérieur, la culture s’exprime dans la diversité des productions, matérielles, artisanales et techniques. Sur ce plan, l’échange entre les cultures est facile ; cela ne pose pas encore de questions aux autres cultures.

• Sous un second aspect, les cultures s’expriment dans les structures de socialisation : la parenté, la propriété des biens, les institutions politiques et juridiques, les coutumes sociales et éducatives. A ce niveau, commencent à se manifester les incompatibilités culturelles.

• Mais le fondement des cultures se trouve dans un troisième domaine, symbolique et conceptuel. C’est le niveau du langage, des idées et des mythes, du sens de la vie et de la relation des personnes entre elles et avec Dieu. C’est le niveau où les cultures trouvent la racine de leur identité et la justification de leur manière d’être. (Lettre pastorale collective des évêques du Guatemala : 500 ans d’évangélisation, 1992, pages 29-30).

Il est important de souligner l’aspect subjectif, en plus des dimensions « objectives » de la culture, puisque celle-ci est produite, vécue et recréée continuellement par des sujets, individuels et sociaux. Ils expriment leur propre identité à travers les « objets culturels ».

Spiritualité maya

Dans le cadre anthropologique indiqué, nous devons situer la spiritualité maya, essence, cœur et racine mêmes du peuple maya. Elle a les fondements suivants :

a. Nature

b. Dieu

c. Personne

La personne est une partie de la création, elle n’est pas supérieure aux autres êtres parce que tous ont une fonction, une raison d’être et d’exister.

La relation étroite entre ces trois éléments engendre une profonde harmonie. La personne est une partie de la création, elle n’est pas supérieure aux autres êtres parce que tous ont une fonction, une raison d’être et d’exister. Par conséquent, tout ce qui existe est sacré car cela vient du Créateur. Si l’un de ces éléments se détériore, un déséquilibre se produit dans le cosmos et dans la vie des personnes. C’est pourquoi la personne a la tâche de veiller constamment à l’équilibre cosmique. Sinon, elle s’autodétruit.

L’expression de la spiritualité maya dans ses cérémonies cherche à retrouver l’équilibre, parce qu’on communique avec l’ajau [3], avec la nature et avec les personnes. La croix maya ou cosmique est la prière de communion, où est exprimé d’un côté le rêve de Dieu, l’équilibre, mais aussi la recherche de l’harmonie personnelle, familiale et sociale. De là la vision du monde, les six bougies, les couleurs, l’offrande, etc. La prière maya s’exprime à partir de la connaissance et de la situation des énergies cosmique. L’application des forces des points cosmiques dans notre vie sert à atteindre l’équilibre entre les énergies positives et négatives, selon l’interprétation des prêtres mayas à partir du langage qu’ils découvrent dans les cérémonies. C’est la tâche des prêtres mayas, hommes et femmes.

Quelques principes et valeurs en vigueur dans la culture maya.

1. Calendrier maya

Le calendrier sacré résulte des études - réalisées par les ancêtres - des mouvements de la lune et de la personne dans le sein maternel. Dès la conception et la naissance, la personne arrive avec ses nahuales [4] qui remplissent des fonctions spécifiques sur sa manière d’être, de penser et d’agir. En fait, cela s’applique à la connaissance de la personnalité humaine pour orienter et conduire la vie de la personne. Le calendrier rituel comporte 260 jours, répartis en 13 mois de 20 jours. Son interprétation et son enseignement sont réservés uniquement aux anciens, savants hommes et femmes.

La nécessité d’organiser les relations entre la personne et la divinité a fait que les Mayas ont créé un calendrier le plus exact possible afin d’adresser aux nahuales les prières et les offrandes correspondantes. Le calendrier maya est basé sur la figure que forment les bougies de l’autel maya, en d’autres termes, la position des six bougies de l’autel maya est la base du calendrier, parce qu’il symbolise le tout. La croix formée sur l’autel symbolise la pensée maya et tout ce qui est en relation avec la vie et les évènements mayas.

Le calendrier solaire et agricole.

Il est appelé aussi calendrier civil. Il comporte 365 jours divisés en 18 mois de 20 jours, plus 5 jours additionnels. Ce calendrier est configuré en se basant sur les observations astronomiques du passage de la terre autour du soleil dans son mouvement de déplacement, mouvement qui dure 365 jours. Les cinq jours ajoutés sont d’une grande importance individuelle et collective, parce que ce sont des jours d’évaluation, de réflexion et de prise de nouvelles décisions. Ils font référence au nouveau cycle.

2. L’agriculture

Tous les êtres de la nature ont des nahuales ou protecteurs. Les montagnes, les volcans, les sites, les grottes, les lacs, les chemins ont leurs protecteurs. Quand on effectue des activités agricoles, il faut d’abord demander la permission à la Terre Mère et lui faire une offrande. Pour obtenir une bonne récolte, en plus des soins, du nettoyage et des engrais, il faut faire des offrandes à la Terre Mère et aux nahuales des oiseaux, des souris, des taltuzas [5] pour qu’ils ne fassent pas de dommages. Pour la culture et la récolte du maïs, diverses cérémonies sont requises.

3. Les mathématiques : la numération maya

Pour la numération, le système utilisé est la base 20, c’est-à-dire de 1 à 20. Pour l’écriture des nombres et des quantités, on utilise des graines (points), des bouts de bois (barres) et la coquille (zéro). Avec les trois symboles, on peut écrire de grandes quantités.

Signification des nombres : la personne humaine dans la numération.
La numération maya exprime la personne humaine. C’est-à-dire que les 20 signes de zéro à 19 enferment tout l’être, puisque les points, les barres et la coquille représentent les doigts des mains et des pieds, les mains, les pieds et dans le zéro est contenue toute la personne. Le point (O un doigt) vaut 1 et la barre (une main) vaut 5. En combinant ces deux symboles, on écrit les nombres de 1 à 19. Les Mayas avaient deux types de raisonnement : scientifique et mythique. Dans la numération, nous ne parlerons que de la pensée mythique, laquelle est basée sur des symboles qui interprétaient la réalité des choses.

Le zéro maya

Le zéro signifie maturité, justesse, plénitude. Pour que fonctionne la structure des positions, le zéro est important : il indique l’absence d’unités de n’importe quelle position. La représentation du zéro peut se faire avec une coquille, un escargot ou une fleur, cela varie selon l’évènement. Le fait que les Mayas aient inventé le zéro, concept abstrait qui veut dire absence de nombres, facilite grandement aussi bien l’écriture que les calculs numériques.

4. La politique

Nos ancêtres ont conçu leur propre système de gouvernement, en accord avec la cosmovision, basé sur le principe du service. L’organisation du gouvernement ou de l’Etat maya s’appelle conseil et remplit les fonctions de direction de toutes les activités sociopolitiques, économiques et religieuses du peuple.

Les principes de base qui guident une structure d’organisation maya sont : le service, la complémentarité, l’harmonie, la consultation, le consensus, le conseil, l’honnêteté, l’équilibre.

5. L’économie

Les principes de l’économie maya sont la satisfaction essentielle des besoins de base et l’échange. Nous pouvons dire que l’essence, c’est-à-dire l’essentiel, est le cœur, la partie principale, ce qui est fondamental. Par exemple : quand on rassemble la récolte, on place les épis de maïs dans la cour de la maison, on sélectionne les meilleurs, en formant un volcan d’épis et au centre, on place les tiges ; ceci pour que la production soit bonne et suffisante pour l’année. Cette conception de l’essentiel s’applique aussi à l’argent : pour que produise le peu qu’on possède, on invoque toujours le Nahual Uk’ux Puaq (essence de l’argent). Avec cette manière de penser, on ne cherche pas à accaparer, à accumuler, mais on cherche ce qui est nécessaire pour satisfaire les besoins de nourriture, d’habillement, de santé, d’éducation, d’art, etc. A ne pas travailler pour l’essentiel, on réveille la soif d’avoir plus, de chercher plus, d’être plus. Ainsi naît tout un comportement opportuniste, individualiste, profiteur, envieux, sans la préoccupation des autres.

Les principes qui guident l’économie maya sont : le respect, la satisfaction des besoins de base, le partage, l’échange, la sincérité, l’unité, la solidarité, la valeur de la parole, etc.

6 La médecine

Selon les ancêtres, la maladie se manifeste en premier dans la vie spirituelle, ensuite dans la vie matérielle ou biologique.

Avoir une bonne santé, c’est avoir un équilibre entre le spirituel, le psychologique, le mental et le biologique. Chacun de ces aspects peut souffrir des augmentations ou diminutions d’énergie dans l’état de la personne.
Selon les ancêtres, la maladie se manifeste d’abord dans la vie spirituelle, ensuite dans la vie matérielle ou biologique.

Comment diagnostiquer les maladies ?

Il existe diverses manières de rechercher les causes des maladies. On le fait en accord avec les expériences et les connaissances :

 Consultations auprès des guides spirituels ou médecins mayas des communautés.
 En faisant la croix sacrée cosmique du patient.
 En analysant les énergies des nahuales du patient.
 En analysant un œuf cassé dans un verre d’eau.
 En analysant les messages reçus en rêve.
 Par les extrémités nerveuses de la plante des pieds, de la main, de l’oreille ou de l’œil.

Comment traiter les maladies ?

Selon le caractère et la gravité de la maladie, il existe plusieurs manières de soigner : cérémonies, neuvaines, saturations, bains thermaux, massages, piqûres d’abeilles, plantes médicinales, purges, etc.

7. La mort

Dans le monde maya, la personne fait un tout, elle fait partie de la nature et a une relation profonde avec les êtres vivants, les ancêtres ou aïeuls défunts et le Créateur. La relation avec les défunts est quelque chose de très proche de l’humain, comme une prolongation de la vie dans une dimension différente. Ainsi s’explique le sens du rituel pour le défunt. Quand on prépare son linceul, on y met les objets qui lui étaient les plus chers : chapeau, canne, chaussures, jouets, vêtement de femme, etc. On y met aussi des ustensiles, assiettes, tasses, verres, etc. Tous ces objets seront utilisés d’une autre manière là-bas dans l’autre vie ; la vie continue dans une paix immuable. Le Père Thomas Garcia, un prêtre K’iché catholique, affirme que les défunts occupent une place spéciale dans la culture et dans la religion. La famille considère que les noms des défunts doivent être invoqués à voix haute parce que « les défunts nous entendent, nous regardent et parlent avec nous ». D’une certaine manière, ils forment une communauté avec les vivants. S’il n’en était pas ainsi, les prières, les cérémonies, les rites, les offrandes comme les fleurs, les couronnes, les bougies, n’auraient pas de raison d’être.

Nous terminons avec une réflexion intéressante du Père Ricardo Falla sur l’importance de la diversité, non seulement comme richesse culturelle, mais aussi comme condition préalable d’une possibilité de construction de la société en réseau. Parce que si nous sommes tous pareils, le réseau n’est plus possible. Dans une société où la production s’est organisée en réseau et où les modèles verticaux se sont brisés, le concept de réseau est en même temps un instrument de lutte pour les peuples indigènes. Aujourd’hui les ennemis qui détruisent les cultures sont beaucoup plus puissants et invisibles, c’est pourquoi, pour continuer à résister, il est nécessaire de maintenir l’organisation en réseau.

 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2855.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Revue Voces del Tiempo (Guatemala), n° 49 (2005).

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[1Anonyme (navajo), 1897. Dans : Joseph Brucha : Grafos S.A., 1996.

[2Chef Léon Shenandoah (onondaga), 1990. Dans : Joseph Brucha : Grafos S.A., 1996.

[3Maître, seigneur, toute chose ou personne investie d’autorité.

[4Alter ego animal ou atmosphérique, par exemple, le jaguar, le colibri, le vent, le volcan ….

[5Petit rongeur ressemblant à une taupe, nuisible car vivant sous la terre, il s’attaque aux bulbes ou aux racines et autres animaux.

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