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MEXIQUE - Au-delà du vol de pétrole
Luis Manuel Arce
lundi 28 janvier 2019, mis en ligne par
Jeudi 17 janvier 2019.
L’énergie que déploie le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, pour combattre le vol de pétrole attire vivement l’attention ; un phénomène d’une amplitude incomparable qui prive la nation de 10% ou plus de la production pétrolière nationale.
Cette activité illicite a eu amplement le temps de s’enkyster dans le tissu social, économique, industriel et même politique du Mexique, telle une artère supplémentaire du corps national, à un point tel que, selon López Obrador, elle figurait comme pertes dans les comptes du gouvernement car les présidents, de Vicente Fox à Enrique Peña Nieto, connaissaient le problème.
Les chiffres fournis par le gouvernement sont effarants : les six oléoducs de plus de 1600 kilomètres de long, avec leurs 37 points opérationnels, y compris des stations de redistribution et des réservoirs de stockage, étaient perforés par des captations clandestines qui alimentaient journellement les dépôts de particuliers de centaines de milliers de litres.
Cela signifie que plus de 6 milliards de pesos (trois milliards de dollars) annuels, échappaient au contrôle de l’État, selon les chiffres communiqués par le président López Obrador.
Compte tenu de la manière dont était structuré le vol, qui impliquait les départements du siège central de Pemex, chargés de surveiller la pression pour détecter des fuites et fermer les vannes pour les juguler, il était virtuellement impossible de l’éradiquer sans interrompre préventivement l’alimentation par les oléoducs.
Probablement quand cette décision a été adoptée de remplacer l’approvisionnement par oléoducs par des camions citernes, la forte perturbation de la fourniture des stations services publiques n’a pas été suffisamment bien évaluée et, très vite, on a constaté un étranglement dans presque tous les États car l’approvisionnement de ce type est très lent et insuffisant pour satisfaire la demande.
Beaucoup d’institutions se plaignent de pertes économiques dues à la pénurie d’essence et aux problèmes de transport, tandis que les coûts de distribution sont montés considérablement car le coût de l’approvisionnement par camion citerne est 14 fois plus élevé que par station-service, sans compter les conséquences des retards.
Mais là n’est pas le coût le plus élevé. Il réside dans la gigantesque mobilisation des forces armées qui livrent bataille contre le vol, à commencer par le déplacement de quelque 12 mille soldats vers les zones des oléoducs, plus d’autres contingents qui ont occupé les raffineries, les réservoirs de stockage, les sous-stations et autres centres de distribution, enfin la surveillance aérienne de tout le système.
Dans l’optique du gouvernement la bataille contre le vol, avec ses coûts, ses complexités et ses inconvénients pour la population sont une conséquence d’un problème plus grave, très aigu, ce sont réellement les racines de la corruption qui mine jusqu’aux fondements du pays et dans laquelle sont impliquées diverses administrations depuis le siècle dernier.
Le Mexique a perdu en un laps de temps relativement court sa position de pays exportateur net de pétrole sans que, durant de nombreuses années, on remédie à la baisse de l’extraction et au ralentissement de ses raffineries.
Cela est réellement surprenant si on considère que le Mexique a été un pays privilégié pour le rapport coût-bénéfice de son industrie pétrolière ; il est parmi les pays producteurs pour qui l’extraction d’un baril offshore et en terre ferme est le moins cher (7 dollars / baril), et qui a longtemps été vendu à une moyenne de 100 dollars.
Cependant, selon des données statistiques de l’entreprise même, celle-ci était déficitaire d’environ 200 millions de dollars quand elle vendait 1,25 milliard par an, ce qui met en évidence une grave inefficacité comparé à ses équivalents étrangers, aggravée par les taxes que le secrétariat du ministère des Finances imposait à l’entreprise.
Il faut noter aussi que les réserves totales de pétrole sont tombées de 53 milliards de barils (Mb) en 2001 à 37 Mb en 2015, en même temps que l’extraction de brut chutait à pic de 1,234 milliard de barils annuels en 2004 à 827,465 millions en 2015, mais depuis longtemps déjà le Mexique était devenu un importateur net d’essence et même de pétrole brut.
La production quotidienne de brut en 2005 a été de 3,42 millions de barils et ses exportations de 831 000 barils vers ses clients d’Amérique, d’Europe et d’Extrême orient.
Mais, à partir de cette date, elle a commencé à baisser significativement : en 2012 elle avait chuté à 75% avec 929 988 barils, en 2013 à 74%, en 2014 à 72% et en 2015 à 67% avec à peine 827 455 barils.
À cette date la réforme énergétique lancée par le président Peña Nieto était déjà mise en œuvre ; non seulement elle ne donna aucun résultat mais elle ouvrit la porte du secteur au capital privé. Quand il lança sa réforme l’idée était de récupérer les niveaux d’extraction antérieurs à 2004 et la capacité de raffinement. Les deux chutèrent et le capital privé, en particulier celui des transnationales étatsuniennes, ne signifia pas la relance du secteur qui était attendue. Au contraire, le Mexique commença à acheter du pétrole léger aux États-Unis pour pouvoir le traiter grâce aux technologies installées dans les raffineries qui ne raffinaient pas le pétrole lourd.
Face à la production insuffisante de combustible, en particulier des différents types d’essence qui sont distribués dans le pays, les achats ont augmenté et actuellement le Mexique importe 600 mille litres sur les 800 mille qu’il consomme et ne transforme dans ses raffineries que 200 mille litres de pétrole, non pas national mais tout simplement étatsunien.
De sérieux problème se posent pour le nouveau plan énergétique, appliqué depuis le 9 décembre 2018 par le président López Obrador, qui comprend la construction de la raffinerie de Dos Bocas, dans le Tabasco, et la réactivation des six existantes avec l’objectif d’atteindre l’autosuffisance en essence à partir de sa quatrième année de gouvernement.
En accord avec ce qu’explique López Obrador, le plan comprend un certain nombre de mesures dont la mise en œuvre est obligatoire pour atteindre les objectifs de l’autosuffisance perdue. Au nombre de celles-ci la construction de la raffinerie de Dos Boca est fondamentale car à son entrée en production le pays augmentera l’élaboration de divers types d’essences à un équivalent de un million 540 000 barils de pétrole /jour.
López Obrador est optimiste quant aux contrats internationaux qu’il est prévu de signer avec des entreprises des États-Unis et d’autres pays, mais des spécialistes locaux émettent des réserves car ils doutent que Pemex inverse son déclin de production de brut et parvienne réellement à atteindre pour l’année 2024 les 2,4 millions de barils par jour auxquels aspire le mandataire.
Les raisons en sont plus techniques que d’autre type car quelques spécialistes estiment que les gisements où il est prévu d’augmenter la production sont difficiles d’accès, comme c’est le cas de Ixachi, dont les réserves pour les deux tiers sont de gaz et, pour les atteindre, la compagnie devra forer à des profondeurs de sept mille mètres.
Ils voient aussi d’un mauvais œil la construction de la raffinerie de Dos Bocas car l’aide additionnelle du gouvernement fédéral sera nécessaire, en plus de l’injection de 1,25 milliard prévu dans le budget fédéral de 2019, et alors même que la raffinerie recevra quelque trois milliards de dollars supplémentaires pour la récupération de l’essence volée.
Néanmoins, le président a une grande confiance dans son plan dont il compare l’importance avec la nationalisation du pétrole opérée par Lázaro Cárdenas, en 1938, qui fit de lui le président le plus populaire et le plus aimé de l’époque moderne. López Obrador aspire à être le meilleur dans toute l’histoire de la république du Mexique.
Luis Manuel Arce est correspondant de Prensa latina au Mexique.
Traduction française de Françoise Couëdel.
Texte original (espagnol) : https://www.prensa-latina.cu/index.php?o=rn&id=244838