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DIAL 3501
BRÉSIL - C’est le bazar
Emir Sader
mardi 30 juillet 2019, mis en ligne par
DIAL continue à documenter les premiers mois de la présidence de Jair Bolsonaro. L’auteur de ce texte, Emir Sader, est un sociologue et politiste brésilien, coordinateur du Laboratoire des politiques publiques de l’Université d’État de Rio de Janeiro (UERJ). L’article a été publié en espagnol par ALAI le 27 juin 2019.
La réunion du Tribunal supérieur de justice concernant l’habeas corpus de Lula n’était pas encore terminée que l’information tombait : un militaire de la force aérienne brésilienne (FAB) avait été arrêté à Séville, sur un vol présidentiel qui l’emmenait à la réunion du G20 au Japon, en possession de 29 kilos de cocaïne.
La surprise passée – bien que cette année un cas semblable se soit produit, celui d’un militaire brésilien sur un vol vers Paris –, les questions se posent : avant tout, comment avait-il pu quitter le Brésil avec des sachets de cocaïne dans son sac de voyage ? Que signifie qu’un membre de la FAB soit impliqué dans un cas de trafic de drogue ?
Au-delà des manquements à la sécurité de la présidence du Brésil, des spéculations ont circulé sur le risque d’extension du trafic vers les forces armées brésiliennes (FFAA). On a immédiatement associé l’affaire à l’utilisation des FFAA dans la lutte contre le narcotrafic à Rio de Janeiro, avec les risques de contagion pour l’institution. La participation d’un militaire lié à la présidence, voyageant en toute impunité dans un avion de la suite présidentielle, est le signe que sont impliquées d’autres personnes au sein de la force aérienne ou même des forces armées.
Une autre préoccupation est que ce manque de sécurité sur un vol présidentiel reflète le désordre généralisé au sein de ce gouvernement qui change de ministres et de secrétaires toutes les semaines. En pleine crise des dénonciations de The Intercept [1], le président du Brésil a ouvert un autre front de crise dans deux secteurs fondamentaux du gouvernement. Il a relevé de leurs fonctions quatre assesseurs militaires importants, y compris celui du plus haut rang au sein du gouvernement, pour le remplacer par un membre de la police fédérale, d’un rang très inférieur. Le principal militaire remplacé a déclaré, dans un entretien, que le gouvernement est un vrai bazar qui ne se concentre que sur ce qui n’est pas prioritaire, engendrant ainsi crise après crise.
Par ailleurs, le président a demandé la démission du directeur général de la BNDES, une grande banque publique de financement, car aucune irrégularité dans le fonctionnement de la banque n’a été détectée contrairement à ce que le président a toujours prétendu. Les chefs d’entreprise ont très mal pris la manière abrupte et l’absence de motif pour le remplacement du directeur général de la banque.
Dans ce climat, le président du Brésil a modifié son itinéraire pour se rendre à la réunion du G20, troquant Séville contre Lisbonne, comme si cela résolvait le problème. Il a manifesté son mécontentement après les déclarations d’Ángela Merkel qui s’est dit très préoccupée par la situation grave que connait le Brésil et désireuse d’avoir une conversation sérieuse avec le président du Brésil, en particulier sur le thème de la dévastation des forêts. Le président brésilien, contrarié, a déclaré qu’il accepterait les critiques lors de la réunion du G20, dans laquelle il n’aura aucune représentation significative, y compris parce qu’il a publié un document donnant ses positions extravagantes sur la mondialisation et les thèmes prioritaires de la réunion du Japon.
Au même moment, le Tribunal suprême fédéral (STF) se prononçait sur deux requêtes présentées par la défense de Lula. La première est une demande d’annulation d’un procès, en raison d’un comportement tout sauf impartial de la part du juge qui le préside. La seconde est une demande de récusation du juge Moro, ce qui, dans le cas où elle serait retenue, et devant les preuves présentées par The Intercept, impliquerait que toutes les procès menés par ce juge seraient annulés, conduisant à la remise en liberté de Lula.
La présidente du Parti des travailleurs (PT), Gleisi Hoffman, a déclaré que Lula est soumis à une vraie torture judiciaire. Régulièrement un nouveau recours de la défense de Lula crée un climat de tension et d’expectative, comme s’il s’agissait de la finale d’un championnat. Prévisions, analyses, entretiens avec les juges, transmission au sein du système judiciaire, expectatives : tout cela inonde les médias, autant traditionnels qu’alternatifs.
Lula recommande toujours de garder les pieds sur terre, et reste serein, sans trop d’attentes. Mais les décisions actuelles du Tribunal suprême fédéral (STF) revêtent des caractéristiques particulières. Ce sont les premières depuis les révélations des conversations dévoilées par The Intercept, où des données réitérées confirment ce que la défense de Lula a toujours soutenu : Moro et tous ceux de Lava Jato, n’agissent pas de façon impartiale, ne sont pas juges mais parti, se mettent d’accord et agissent comme parti politique avec un objectif : poursuivre Lula, et l’empêcher d’être candidat aux élections de 2018, alors que toutes les enquêtes prédisaient la victoire de Lula au premier tour.
Parmi les déclarations absurdes du STF il y a la déclaration réitérée que le juge Moro est apte à juger Lula. La révélation des conversations entre le juge et les accusateurs de Lula, où il les instruit directement sur la façon d’agir – ce qui est absolument interdit –, a remis en cause cette décision.
La première requête de la défense de Lula a été rejetée, la seconde a été repoussée au mois d’août, après les vacances du pouvoir judiciaire. L’un des juges s’est montré inquiet des révélations, un autre a déjà dit que sa position n’a pas varié.
Ce qui est certain c’est que ces révélations ont modifié le climat politique. Après leur publication, la situation de Moro et de ses collègues est de plus en plus compromise. De manière suspecte, Moro et son plus proche collaborateur se sont envolés vers les États-Unis. Moro a l’intention de rendre visite à des organismes de sécurité du gouvernement états-unien. Le jour même où éclatait le scandale du trafic de drogue dans l’avion présidentiel brésilien, Moro était en visite à la DEA, l’organe états-unien chargé de la lutte contre le trafic de drogue, pour signer un accord avec le gouvernement brésilien.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3501.
– Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
– Source (espagnol) : ALAI, 27 juin 2019.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] The Intercept est une plate-forme internet qui vise à développer un média généraliste pratiquant un journalisme d’investigation « courageux, combatif » et abordant des problématiques larges : abus, corruption financière et politique, ou violation des libertés civiles – NdT.