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BRÉSIL - Une tragédie humanitaire annoncée chez les Yanomami

Luis Miguel Modino

vendredi 3 février 2023, mis en ligne par Pedro Picho

23 janvier 2023.

Dom Roque Paloschi, président du Conseil indianiste missionnaire (Cimi) depuis 2015 et ancien évêque du diocèse de Roraima (de 2005 à 2015), connait de première main la réalité du peuple yanomami et des peuples autochtones en Amazonie brésilienne. Il affirme que « l’Église de Roraima s’est toujours tenue aux côtés des peuples indiens contre tout et contre tous et l’a payé au prix fort ».

Lorsqu’il parle de ce qu’endure le peuple yanomami, Dom Roque aime rappeler les paroles d’une chanson reprise dans les communautés : « Que personne ne s’y trompe, non personne, cette histoire a déjà commencé bien inhumaine » ! C’est de manière très visible, très concrète, que cette histoire est devenue inhumaine, car elle a ému le monde entier, lorsque le régime militaire a commencé d’ouvrir la route transamazonienne, occasionnant l’invasion des orpailleurs (garimpeiros). Cela a exigé un engagement fort des organisations humanitaires et de l’Église pour dénoncer à l’étranger le génocide que vivaient les peuples yanomami.

Celui qui est aujourd’hui archevêque de Porto Velho rappelle également la campagne SOS Yanomami, lancée à la fin des années 80, « impliquant fortement de nombreux secteurs démocratiques au Brésil, des entités liées à la défense des droits humains et de l’Église elle-même ». Une période qu’il définit comme « une très grande tragédie humanitaire ». Il rappelle comment avec beaucoup de sacrifices le gouvernement a réussi l’expulsion des garimpeiros, qui en fait ne sont jamais complètement partis. Certains sont même entrés en terre yanomami, occupant de vastes étendues de terres pour tenter de s’en attribuer les droits de propriété.

Dom roque fait référence à une période assez courte de tranquillité pour les communautés yanomami par rapport à l’exploitation minière. Cette situation a changé à partir de 2005, avec la présence visible des orpailleurs, une situation continuellement dénoncée par diverses entités liées aux Yanomami, ainsi que par l’Église de Roraima et le Conseil missionnaire indigéniste lui-même. Des orpailleurs « couverts par les grands propriétaires terriens et le pouvoir politique local », reconnait Dom Roque.

Le président du Cimi souligne l’importance de la reconnaissance et de la démarcation des terres yanomami dans les années 90, sous le gouvernement Collor, ce qui fut décisif, selon lui. Il tient à rappeler que, même avec la Constitution de 1988, articles 231 et 232, « les questions de santé et d’éducation ont toujours été un combat glorieux pour le peuple yanomami ». L’Église, dans sa mission au côté du peuple yanomami, « a toujours cherché à être dans cette présence de proximité et de solidarité, en les considérant comme sujets et protagonistes de l’histoire », souligne l’archevêque de Porto Velho.

Par rapport au scénario actuel, Dom Roque insiste sur le fait qu’« il n’est pas nouveau que des dénonciations soient faites au niveau du pays par le parquet, par la police fédérale et tous les organes gouvernementaux. Ces dénonciations ont été faites, mais malheureusement nous en sommes arrivés à la situation actuelle parce que les envahisseurs, et ceux qui soutiennent leur présence, se sont toujours sentis autorisés par les discours du président qui vient de quitter ses fonctions, et par son équipe de ministres et tous leurs alliés. »

Dom Roque Paloschi insiste sur le fait que « il nous est peut-être difficile de regarder les photos, mais ce n’est pas d’aujourd’hui, c’était une tragédie annoncée ». Il n’hésite pas à déclarer que « nous vivons dans un pays raciste, discriminatoire, où nous voulons nier les droits originaires des premiers habitants de ces terres. Les peuples yanomami vivent dans cette région depuis plus de 12 000 ans selon les études, mais nous, parce que nous avons fabriqué un cadre légal, nous pensons que nous avons le droit de leur retirer les seuls droits qu’ils ont, leurs territoires, leurs cultures, leurs spiritualités et leur mode de vie ».

« Le peuple yanomami, et cela a été dit par Davi Kopenawa, n’est pas contre le développement, les peuples autochtones ne sont pas contre le développement, mais au fait, de quel développement s’agit-il, quand nous voulons détruire la Création, empoisonner la terre, l’eau et l’air pour concentrer les richesses entre les mains de quelques-uns ? » souligne Dom Roque. Il poursuit qu’« il est urgent que le gouvernement fédéral, avec ses différents ministères, assume cette responsabilité publique et n’accorde pas de trêve jusqu’à ce que le dernier envahisseur de toutes les terres indiennes soit expulsé, car c’est une honte pour le Brésil de voir nié les droits des premiers habitants de ces terres ».

Le peuple yanomami a toujours réservé un bon accueil à l’Église catholique, n’hésite pas à affirmer celui qui a été l’évêque du diocèse de Roraima pendant 10 ans. Il souligne qu’à l’époque où le diocèse coordonnait la santé des peuples indiens, ceux-ci demandaient avec insistance que le diocèse ne cesse pas de faire ce travail, car ils se sentaient abandonnés par la Fondation nationale de la santé (FUNASA).

En ce sens, il rappelle que les communautés ont toujours perçu la présence des missionnaires comme « une présence de personnes qui marchent à leur côté, respectant leur culture, leur spiritualité, leur mode de vie et leur histoire ». Dom Roque a rappelé les paroles du pape François aux évêques à l’occasion de la Journée mondiale de la jeunesse en 2013 à Rio : « L’Église est en Amazonie, pas comme ceux qui ont des valises à la main pour partir après avoir exploré tout ce qu’ils peuvent. Depuis le début, l’Église est présente en Amazonie avec des missionnaires, des congrégations religieuses, des prêtres, des laïcs et des évêques, et elle continue d’y être présente de manière décisive pour l’avenir de cette région ».

« Tout cela démontre la grande reconnaissance, depuis plus de 20 ans, pour la présence des missionnaires, que ce soit dans la mission Catrimani ou dans la mission Xitei, mais malheureusement nous n’avons pas eu assez de missionnaires pour accepter de vivre dans cette région, il y a eu un manque », se souvient Don Paloschi. Il poursuit : « Je peux témoigner de l’accueil chaleureux des Yanomami, mais aussi de la manière respectueuse de l’Église et des missionnaires par rapport à leur vie et réciproquement ».

Certaines personnes, y compris parmi ses membres, veulent discréditer la position de l’Église manifestée dans la déclaration des évêques de la région Nord du 21 janvier 2023. Dom Roque Paloschi n’hésite pas à dire que « l’ignorance est la pire des choses, c’est la pire charge que portons ». Selon le président du Cimi, « la population de cette région de Roraima reconnaît la présence de l’Église et l’option qu’elle a faite de se tenir aux côtés des peuples autochtones contre tout et contre tous et qu’elle en a vraiment payé le prix fort, mais elle n’a pas détourné le pied de son option de proximité, de dialogue avec les autochtones et surtout elle a œuvré pour qu’ils soient les sujets de leur propre histoire ».

Dom Roque rappelle que Dom Aldo Mongiano, Dom Servílio Conti qui a inauguré la mission Catrimani et Dom Aparecido José Dias « ont toujours maintenu cette posture de ne pas détourner le pied de cette proximité ». Ils ont été attaqués, calomniés, persécutés au point d’avoir eu besoin de protection, comme Dom Aldo qui a passé beaucoup de temps sous la protection de la police fédérale, Dom Aparecido également, mais ils n’ont pas dévié le pied de leur proximité avec les peuples indiens ». Selon l’archevêque de Porto Velho, « il suffit de lire l’histoire pour comprendre le choix que l’Église a fait », insistant sur le fait que « tant de missionnaires ont été persécutés, calomniés et diffamés, mais qu’ils sont restés fidèles à la Croix de Jésus et à la Croix de populations indiennes ».

« Dire cela, serait-ce ignorer l’histoire ; certains veulent créer une polémique là où les droits des peuples indiens n’ont jamais été reconnus », souligne Dom Roque. C’est pourquoi, il n’hésite pas à qualifier ainsi ces attitudes : « l’envie de dénigrer et de propager des fausses nouvelles, dans le but de détourner de l’essentiel qui est l’extrême urgence de soutenir et de prendre soin de la vie des peuples et de toute la Création », à plus forte raison face à un « scénario impie concernant la question indienne ».


Luis Miguel Modino est conseiller en communication de la région Nord 1 de la Conférence des évêques du Brésil (CNBB).

Traduction de Pierre Picho.

Source (portugais) : https://cnbbnorte1.blogspot.com/2023/01/dom-roque-paloschi-igreja-de-roraima.html?m=1.

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