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COLOMBIE-VENEZUELA - Le front commun des présidents de gauche Petro et Maduro

Thierry Deronne

jeudi 30 novembre 2023, mis en ligne par Dial

Gustavo Petro, en fonction depuis le 7 août 2022, a opéré un virage à 180 degrés vis-à-vis de la politique étrangère de son prédécesseur de droite radicale, Iván Duque (2018-2022). Il a notamment renoué le contact avec le gouvernement du Venezuela voisin. Article de Thierry Deronne [1] publié sur le site Venezuela Infos le 26 novembre 2023


« Importants consensus sur la protection de l’environnement, l’électricité, les investissements dans la sécurité énergétique, le gaz, le développement conjoint du pétrole, la lutte contre l’extractivisme illégal et prédateur.. Avec le Président Gustavo Petro nous réalisons un excellent travail sur le vaste programme de coopération bilatérale qui progresse sur la base de l’union et de la fraternité » : c’est en ces termes que le président vénézuélien Nicolas Maduro a résumé sa réunion avec son homologue colombien, à Caracas, le samedi 18 novembre 2023.

Depuis son élection il y a un an, Gustavo Petro s’est efforcé de reconstruire les liens économiques et politiques avec le Venezuela voisin, des liens que l’État narco-paramilitaire sur orbite états-unienne avait démantelés. La rencontre avec Maduro est la cinquième entre les deux chefs d’État. Dès 2022, le président Petro a reçu l’ambassadeur vénézuélien à Bogotá et qualifié Juan Guaido (le putschiste d’extrême droite lié aux narco-paramilitaires colombiens, nommé par Trump « président du Venezuela » sans élection) d’« aussi réel qu’une ombre dans la Caverne de Platon » [2]. À Caracas, Petro a renouvelé ses critiques de cette longue politique anti-bolivarienne des gouvernements d’extrême droite colombiens : « Ce qu’ils ont fait est un véritable suicide économique et culturel. Nous ne devons plus jamais les laisser nous séparer. La Colombie et le Venezuela ont la même Histoire, le même sang. » Le 27 novembre, Petro a tweeté l’image de véhicules neufs à la frontière des deux pays : « Pour la première fois depuis des années, des véhicules assemblés en Colombie ont franchi la frontière vénézuélienne. »

Pour le mandataire colombien, le Venezuela devrait jouer un rôle important dans la reprise économique de son pays en 2024, notamment grâce à un partenariat potentiel entre Ecopetrol et PDVSA, leurs entreprises publiques respectives dans le secteur de l’énergie. Il a précisé qu’il était « très probable » qu’Ecopetrol s’associe officiellement à PDVSA pour explorer les gisements de pétrole et de gaz naturel à l’intérieur du Venezuela. Les deux chefs d’État ont également discuté de la réactivation d’un gazoduc qui s’étend du Venezuela à la Colombie.

La compagnie pétrolière publique vénézuélienne PDVSA remonte la pente du blocus décrété par les États-Unis et l’Union européenne, par le biais des accords passés avec le monde multipolaire pour augmenter sa production de brut, et après la décision de Washington d’alléger temporairement une partie de ses sanctions. Comme l’explique l’économiste et ex-président Rafael Correa, le blocus pétrolier mis en place par les Occidentaux contre la révolution bolivarienne a privé le Venezuela de 95% de ses ressources d’État à partir de 2014 – ce qui a entraîné une détérioration de l’économie, des services publics, des salaires et un exode massif de population. La compagnie publique vénézuélienne PDVSA ne dispose pas encore des capitaux nécessaires pour réaliser des investissements à grande échelle, d’où ces accords avec d’autres entreprises. Le dirigeant colombien a ajouté que les efforts d’intégration énergétique pourraient aller au-delà des deux pays voisins. « Nous avons proposé un principe de véritable intégration énergétique ; il peut être étendu au Panamá, à l’Équateur et au Brésil. Nous voulons franchir sans hésiter les étapes d’une véritable intégration énergétique dans les deux sens ». La société brésilienne Petrobras aurait également manifesté son intérêt d’élaborer des projets énergétiques communs avec PDVSA. Outre Repsol et Eni, qui travaillent depuis un certain temps avec le Venezuela sur des projets gaziers, la société française Maurel et Prom a annoncé qu’elle reprenait ses activités au Venezuela, comme China Petroleum, Reliance et Indian Oil. Des discussions sont en cours avec Trinidad sur l’exploitation conjointe par Shell du gisement Dragon. Mitsubishi souhaite reprendre le projet pétrochimique Metor de Metanol de Oriente.

Pour le Venezuela, il ne fait aucun doute que la meilleure stratégie consiste à essayer par tous les moyens d’augmenter sa production et ses exportations pétrolières afin de profiter de prix encore favorables. C’est pour cela que l’allègement des sanctions est indispensable : à partir de la mi-2024 la production pourrait augmenter de manière significative. Dans ces conditions et sans les sanctions occidentales contre la Banque centrale du Venezuela, le flux de devises pétrolières pourrait s’améliorer sensiblement, par l’augmentation des recettes fiscales, et pourrait faire bouger une économie qui, au cours de l’année 2023, s’est ralentie par rapport à sa bonne performance de 2022. Ce serait une nouvelle opportunité pour le Venezuela d’augmenter ses revenus pétroliers et de réactiver son économie.

Les deux dirigeants ont abordé beaucoup d’autres sujets dont la coopération touristique, les efforts diplomatiques du Venezuela pour soutenir le processus de paix en cours entre le gouvernement colombien et la guérilla de l’ELN, et la migration. La Colombie a accueilli la majeure partie des migrants qui ont quitté le Venezuela à la suite du blocus occidental. Or les prévisions de la CEPAL-ONU, confirmées par le FMI, indiquent que malgré ces sanctions, le Venezuela maintiendra en 2024 la croissance la plus forte des Amériques (4,5%) grâce à l’appui donné par le président Maduro à la production nationale (pas seulement pétrolière) et aux alliances multipolaires [3].

Tout cela permet au gouvernement bolivarien de chercher à étendre le rapatriement de ses ressortissants. Le Venezuela est ainsi le seul pays d’Amérique latine à mettre à leur disposition des vols gratuits sur la compagnie publique Conviasa, une politique qui a permis de ramener au pays plusieurs milliers de familles [4]. Dans le même sens, Petro a demandé à l’administration Biden (sans obtenir de réponse à ce jour) d’envisager le versement d’une prime de « stabilisation économique » aux migrants en Colombie, dans le cadre d’un effort visant à les aider à rentrer chez eux et à stimuler l’économie de leur pays d’origine. Le président colombien a plusieurs fois demandé aux États-Unis de lever leurs sanctions contre le Venezuela, et cette proposition récente fait suite à la réunion à Palenque, au Mexique, le 22 octobre, où, en compagnie d’autres chefs d’État régionaux – dont Nicolas Maduro – il a été invité par le président mexicain López Obrador pour discuter des causes profondes des migrations que subissent de nombreux pays de la région. L’ensemble des dirigeants ont rejeté la responsabilité de la crise migratoire sur les politiques coercitives des États-Unis ou les politiques ultra-libérales et ont appelé à des efforts conjoints pour s’attaquer aux causes profondes du problème [5].

Dans un premier temps, les pays ont convenu de « développer un plan d’action », qui se concentrera sur l’autosuffisance alimentaire, la protection de l’environnement, la sécurité énergétique, le commerce, l’investissement et la lutte contre la criminalité organisée. Le gouvernement mexicain a proposé de coopérer par le biais de ses programmes sociaux « Sembrando Vida » [Semer la vie], pour les agriculteurs, et « Jóvenes construyendo el futuro » [Les jeunes construisent l’avenir], pour le travail des jeunes, ainsi que dans le domaine du gaz et des énergies renouvelables. Les gouvernements se sont également engagés à promouvoir le commerce et à encourager la levée des sanctions et des « mesures commerciales ». La levée des sanctions et des « mesures coercitives » occidentales dans la région fait référence à Cuba et au Venezuela.

Le président colombien a prolongé son séjour à Caracas par une visite à la Foire internationale du livre du Venezuela 2023, où il a présenté au public son livre Une vie, beaucoup de vies, somme historique, écrite avant sa victoire, sur les défis de la gauche. À cette occasion il a dénoncé la destruction du droit international par l’Occident en tant que complice du génocide des Palestiniens. Dès le mois d’octobre, tant Nicolas Maduro que Gustavo Petro ont dénoncé ce génocide comme nouvelle étape d’une occupation coloniale menée depuis 75 ans par l’État d’Israël. À Caracas, le 18 novembre, Petro a dénoncé « un fou appelé Netanyahou […] qui est en train de réaliser un génocide approuvé par ceux qui parlent de démocratie. Ils ne se rendent pas compte qu’il va jusqu’à massacrer des bébés ». Il a également critiqué le soutien des États-Unis à la guerre d’Israël contre le peuple palestinien, rappelant que « le capital israélien possède les banques états-uniennes ». Quelques jours plus tôt, aux côtés de l’ambassadeur de Palestine au Venezuela Fadi Alzaben, le président Maduro avait dénoncé « 75 ans de racisme, de déshumanisation par les suprémacistes d’Israël qui rêvent de détruire non seulement le peuple palestinien mais aussi le reste du monde arabe. Le monde doit se lever pour mettre fin à temps au génocide. »


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3679.
 Source (français) : Venezuela Infos, 26 novembre 2023.

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[1Avec des apports de l’article suivant : José Luis Granados Ceja, « Colombia’s Petro Touts Deeper Cooperation and Energy Integration with Venezuela During Visit », Venezuelanalysis, 21 novembre 2023.

[2Le phénomène Guaido est au cœur du nouveau roman de Maurice Lemoine : Juanito la vermine, roi du Venezuela », Montreuil, Le Temps des Cerises, 2023. Voir sur ce sujet l’entretien avec Maurice Lemoine conduit par Thierry Deronne.

[3Lire à ce sujet « Pourquoi la croissance revient au Venezuela ».

[4Sur ce programme de rapatriement gratuit, voir : « Le Venezuela, seul en Amérique du Sud à créer un programme de rapatriement en pleine pandémie, Venezuela Infos, 5 octobre 2020.

[5Voir, en espagnol, la Déclaration finale du Sommet de Palenque.

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