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ARGENTINE - Instabilités dans un pays négationniste
Aram Aharonian
lundi 30 septembre 2024, mis en ligne par
29 août 2024.
L’Argentine a atteint aujourd’hui le comble de toutes les instabilités qui semblent être là pour durer avec la crise économique et sociale grave, au bout de huit mois de gouvernement de Javier Milei de l’ultradroite qui « s’est vendu » comme le prophète d’une nouvelle ère économique, politique et culturelle. Il est aujourd’hui difficile de conserver l’image pathétique d’un homme surpuissant égotique, brandissant une scie électrique.
Démonstration pathétique du gouvernement, qui chasse le mercredi avec gaz lacrymogènes et coups de bâtons les retraités qui manifestent à nouveau parce qu’ils n’ont pas les moyens de vivre et qui rejettent l’opposition imminente de Javier Milei à la loi de mobilité des retraités. Des dizaines de retraités, les yeux irrités par les gaz moutarde. Il ne manquait plus qu’ils soient accusés d’être des terroristes !…
Il est plus facile parfois de décrire la politique actuelle argentine comme une telenovela que de tenter d’en faire une quelconque analyse. Les disputes interminables au sein de la majorité d’ultradroite de La Libertad avanza de Javier Milei, les affrontements de ce groupe avec l’ex-président néolibéral Mauricio Macri et les membres du parti que celui-ci dirige, Propuesta Republicana (PRO) s’ajoutent à la défaite aux législatives de la majorité.
Au début de la semaine Macri s’est présenté à nouveau à la résidence présidentielle pour renouveler la liste de ses réclamations auprès de La Libertad avanza. « Il veut des responsabilités et des moyens », dit-on, depuis la Présidence. Macri veut la tête du président de la Chambre des députés, Martin Menem, pour le remplacer par Cristian Ritondo. La réponse du mileinisme a été concise : « Nous n’allons pas lui céder ». Cherchant à regagner une position perdue, il présidera une rencontre avec des gouverneurs et des dirigeants pour relancer sa Fondation Pensar.
Le grand capital financier international et l’entreprenariat local partagent les objectifs principaux du gouvernement de Milei, mais la fragilité du régime politique et la décadence de ses partis, conjuguées à la crise sociale et l’impasse – sans issue ? – dans laquelle se trouve l’économie révèlent une situation grave.
L’interrogation porte sur le « poids politique » pour remédier à la crise. Milei traverse un moment de faiblesse qui fait que Macri tente des manœuvres d’approche (auprès de certains) ou de cooptation (pour d’autres) ce qui peut amener à ce qu’il soit imité par davantage d’acteurs de la droite traditionnelle. En attendant, l’opposition politique ne parvient pas à sortir de la dépression et semble être sans idées et sans combustible.
Dans l’entourage de Javier Milei on a rendu responsable la vice-présidente Victoria Villarruel du scandale occasionné par la visite de six députés aux génocidaires qui sont détenus à la prison fédérale de Ezeiza. On a considéré que la libération des criminels de la dernière dictature était « sa préoccupation principale » et non celle de Milei.
Mais Villarruel ne s’est pas laissé intimider par les critiques de ses initiatives personnelles et, lors d’une séance au Sénat, elle a annoncé qu’elle s’efforcerait de rouvrir tous les procès contre les militants des années 70, du moins le petit nombre de ceux qui ont survécu aux camps de concentration ou aux vols de la mort qu’exécutaient les bourreaux de la dictature civilo-militaire à qui elle rendait visite en prison. Le mouvement des Droits humains a dénoncé, une fois de plus, cette revendication et cette apologie du terrorisme d’État par Villarruel.
La présidente des Grand-Mères de la Place de Mai, Estela de Carlotto a déclaré à ce sujet : « Nous nous réveillons tous les jours avec de mauvaises nouvelles. Je ne sais vraiment pas ce qu’ils veulent encore, s’ils pouvaient nous tuer ils tueraient non seulement ceux qui ont survécu mais aussi leurs familles ».
Elle a déclaré que la situation « prend une tournure très étrange, très désagréable qui va diviser la société argentine, car elle sème la haine en inversant les choses, en disant que les victimes ont été celles qui sont responsables de 30 000 morts sans compter les disparitions et le vol de bébés et de biens ». Lara Fabstein déclare dans la revue Anfibia que le vieux peuple travailleur, acteur crucial de l’imaginaire politique de la seconde moitie du XXe siècle, n’existe plus et que celui qui représente les temps actuels est un individu gagné par la subjectivité néolibérale. Le péronisme ne semble plus en capacité d’identifier un nouveau sujet politique et d’imaginer un avenir possible. Ceux qui se sentaient attirés et animés par le péronisme ne sont plus là. Ni le parti ni le mouvement national et populaire ne semblent avoir rien à lui dire.
La droite se réveille
Durant des mois les classes dominantes, voyant leur propre intérêt dans l’application des mesures et des lois, ont simulé l’autisme, laissant faire un gouvernement d’une extrême faiblesse institutionnelle (minoritaire dans les deux chambres du Congrès national et sans aucun leader propre) pour mener « le plus grand ajustement de l’histoire », alors que la crise de la dette extérieure s’annonce à nouveau comme un évènement critique, et que les réserves de la Banque centrale sont négatives.
On sent de la nervosité dans les rangs des libertaires car le triomphe « assuré » de Donald Trump aux élections des États-Unis est beaucoup moins certain qu’il y a un mois de cela. La réalité a placé l’officialisme au cœur d’un agenda beaucoup plus inconfortable que celui des scandales de l’ex président Alberto Fernández et de la crise du péronisme.
Le gouvernement a essuyé trois défaites consécutives de fort impact sur le terrain législatif : il a perdu la nomination des autorités de la Commission bicamérale qui contrôle les organes d’intelligence ; il a encaissé le rejet du Décret de nécessité et d’urgence (DNU) qui tentait d’affecter quelque 100 millions de dollars à des dépenses réservées au Secrétariat d’intelligence d’État (SIDE) et enfin le Sénat a approuvé une augmentation – bien que limitée – aux caisses de retraite.
Milei, nerveux et offensé, a annoncé qu’il s’opposera à la modification, concernant les adultes retraités, laissant entrevoir la possibilité d’un débat pour voir si le Congrès national reviendra ou non sur sa décision qu’elle soit présidentielle ou non.
Il y a plusieurs siècles de cela, Machiavel avait déclaré « il n’y a pas de chose plus difficile à essayer qui soit, ni dont le succès est le plus hasardeux, que d’être responsable de l’introduction d’un nouvel ordre politique […] Il faut se demander si les novateurs ont une force qui leur est propre ou s’ils dépendent des autres ; c’est-à-dire si, pour mener à bien leur projet, ils doivent supplier ou peuvent l’imposer ».
Dans son court périple présidentiel, louvoyant dans sa propre faiblesse, Milei a été contraint d’accorder de multiples concessions à des députés et des sénateurs pour accoucher de la Loi Bases. Furieux des défaites parlementaires récentes il traverse une période d’incertitude difficile et ne semble pas en position d’imposer quoi que ce soit.
Une ascension fébrile et une chute qui s’amorce.
Aram Aharonian est un journaliste et communiquant uruguayen, titulaire d’une maîtrise en intégration. Créateur et fondateur de Telesur, il préside la Fondation pour l’intégration latino-américaine (FILA) et dirige le Centre latino-américain d’Analyse stratégique (CLAE).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/08/29/inestabilidades-en-una-argentina-negacionista/.