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URUGUAY - Élections générales : quelques questions à la gauche

Carlos Flanagan

lundi 21 octobre 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

2 octobre 2024.

Nous sommes à quelques jours des élections nationales dans mon pays, l’Uruguay. Avec elles tous les cinq ans sont élus la personne qui assumera la présidence et les membres du Pouvoir législatif composé de 99 députés et 30 sénateurs. Le vice-président ou la vice-présidente est le 31e membre du Sénat et le préside lors des sessions. Après trois périodes consécutives de gouvernement de gauche du Frente Amplio (le Front large) 2005, 2010 et 2015, les premières de l’histoire du pays), en 2019, le Parti national a gagné et formé une coalition de gouvernement avec tous les autres partis de centre droit et de droite, pour la période de 2020-2025, qui a drastiquement appliqué à nouveau une politique de nette tendance néolibérale comme celle appliquée déjà dans la décennie des années 90.

Elle a eu pour conséquence une détérioration de la situation générale du pays, et en particulier de la majeure partie de sa population, alors que celle-ci s’était améliorée au cours des quinze années précédentes.

À titre d’exemple seulement, disons que le montant de la dette extérieure brute équivaut à 72% du PIB ; que les revenus de 95% des Uruguayens a perdu en pouvoir d’achat au détriment de seulement 5% des plus riches et que nous avons le triste privilège d’être le premier en Amérique latine en matière de nombre de prisonniers – 485 pour 100 000 habitants – (dans des conditions de promiscuité indescriptibles), de pauvreté infantile et de suicides.

La campagne électorale et les résultats possibles

À la différence de ce qui se passe habituellement la campagne électorale n’a pas suscité d’enthousiasme. Quant aux propositions, la coalition au pouvoir, faute de pouvoir présenter des indicateurs positifs, s’est limitée à répéter des banalités comme celle de promettre de continuer à veiller sur la sécurité.

Il y a quelques jours, le Frente amplio a organisé une réunion au cours de laquelle le candidat à la présidence Yamandú Orsi a lu 48 propositions de gouvernement considérées comme prioritaires dans différents domaines. Nous citons textuellement les trois axes thématiques :

 Développement de l’Uruguay : Encourager l’ouverture économique, l’innovation, le développement technologique et l’efficacité de la gestion publique.

 Sécurité de l’Uruguay : Mise en place de politiques efficaces qui renforceraient la coexistence pacifique et lutteraient contre le crime organisé, dans la perspective d’une réinsertion sociale.

 Protection en Uruguay : Réforme du système de protection sociale, en particulier de l’enfance, pour garantir qu’aucun enfant, garçonnet, fillette, adolescent ou jeune adulte qui habite ce pays ne soit abandonné.

Pour ce qui est du résultat possible de l’élection, même si 53% de la population estime que c’est le Frente Amplio qui l’emportera, des deux dernières enquêtes sur les intentions de vote ne ressort pas clairement qu’il le fera avec une majorité parlementaire propre (il obtient 41% dans celle réalisée le 11 septembre et 44% dans celle du 9 septembre)

J’estime que ce sujet est crucial et sur lequel on devrait beaucoup plus insister qu’on ne le fait aujourd’hui à si peu de jours des élections.

Il faut expliquer aux citoyens que ne pas obtenir une majorité parlementaire propre serait un demi triomphe.

La coalition actuelle des partis qui gouverne se retrancherait derrière une seule position d’opposition outrancière, dans l’une ou l’autre chambre pour bloquer les principaux projets de loi que présenterait le gouvernement, nombre d’entre eux en rapport avec les 48 sujets prioritaires déjà présentés, pour faire campagne ensuite en accusant le gouvernement de ne pas tenir ses promesses.

Quelques questions embarrassantes mais nécessaires

Il est très important que le Frente Amplio ait présenté lors d’un acte public son document programmatique en détaillant les 48 points prioritaires pour la conduite du gouvernement. Il n’y a pas de divergences d’opinion à ce sujet.

Maintenant, au-delà de « qu’est ce qui se fera » des questions se posent sur le « comment cela se fera-t-il ».

Si nous tenons compte de certaines erreurs politiques, et non des moindres, commises dans les 15 années de gouvernement et analysées dans le document « Bilan et autocritique du VIIe Congrès ordinaire, 50 années d’unité », d’octobre 2021, on doit se demander : avons-nous relu avec attention cet excellent document ?

Avons-nous commenté certains de ses contenus dans nos organisations de base pour susciter une discussion politique nécessaire qui concerne des thèmes comme l’économie selon le capitalisme, la relation force politique-gouvernement, la désignation de l’équipe de gouvernement, par le seul futur président ou en accord avec la force politique, comment parvenir à l’hégémonie ? La liste est longue.

Et je qualifie ces questions de « embarrassantes » car je redoute que la réponse aux deux soit NON.

Pour terminer et comme modeste contribution à la réflexion nécessaire sur ces sujets, dans le but de ne pas commettre les mêmes erreurs ou des erreurs du même type, je cite quelques paragraphes du document mentionné précédemment.

Le Frente Amplio doit dire clairement qu’il est impossible d’atteindre pleinement l’éradication de la pauvreté, l’égalité des chances, l’accès à l’éducation, à la culture et à tous les droits en général dans le système capitaliste. Sa propre logique de privilégier le capital et son accumulation génère des inégalités de plus en plus grandes. Dans cette étape, dans les limites que le système impose, les gouvernements progressistes et de gauche feront sans aucun doute l’effort maximum pour réduire ces inégalités. Si nous ne commençons pas à nous exprimer clairement en ce sens nous ne contribuerons pas à informer la population. (p.15)

Des facteurs de circonstance et de contexte ont certainement contribué à générer des situations plus négatives mais il semble évident que la question centrale a été le changement progressif des rôles entre les acteurs, dont nous sommes directement responsables, en tant que force politique. Le plus important est celui qui concerne le déplacement du centre de gravité dans la prise de décisions et l’exercice de la coordination politique qui s’en est suivi.

Avec la mise en place du gouvernement, les principaux responsables politiques de la coalition et le Président du Frente amplio lui-même ont été appelés à occuper des postes au sein du Pouvoir exécutif ce qui a contribué à ce qu’en quelques semaines le gouvernement remplace le rôle coordinateur de cette force politique tout en se désintéressant progressivement de la contribution à la synthèse politique de la population à partir des succès qu’elle obtenait. (p.16).

Nous pouvons affirmer qu’en aucune circonstance, que nous soyons ou non au gouvernement, la relation politique du Frente amplio avec les acteurs sociaux ne peut être déléguée. C’est une erreur que nous avons commise maintes fois. (p.17)

Si une formation sociale et politique aspire à dominer de façon durable elle doit s’efforcer d’appliquer des politiques cohérentes sur tous les fronts, soutenues au fil du temps, qui conquièrent l’aval du consentement citoyen prédominant sur tout le territoire et qui soit durable lors des différentes phases du cycle économique et dans divers contextes internationaux. Nos gouvernements n’ont pas toujours respecté à ces règles.

Une ligne continue adéquate n’a pas toujours été respectée : en matière de politique publique nous avons souvent usé de stratégies d’agrégation. Avec des avancées et des reculades, certaines exagérations et pressions sectorielles et, à l’occasion, avec des temporalités qui ne prenaient pas en compte le consensus social et le cycle économique. En conséquence, nous n’avons pas été en capacité de maintenir dans le temps et de consolider une hégémonie, de créer un pouvoir dans les mains de la société civile et du mouvement populaire. D’une certaine manière on peut dire que nous avons gouverné plus en faveur du peuple qu’avec le peuple. (p.18)

Nous avons pâti de l’abus de bureaucratie qui a mené dans bien des cas à prioriser la pratique formelle de la gestion gouvernementale, à se désintéresser du travail politique, en affaiblissant ainsi la structure du Frente amplio dans le cadre des discussions et des débats. Un éloignement s’est produit entre cette force politique et le gouvernement, nous avons été influencés à certains moments par une fausse et dangereuse contradiction entre force politique et gouvernement, brandie par la droite. (p.18)

Une des caractéristiques de cette bureaucratisation a été de placer à des postes de confiance des personnes sans relation avec la force politique, en privilégiant à tout prix la compétence technique plutôt que la compétence politique. Cela ne suppose pas de nier la nécessité de connaissances techniques des cadres de la fonction publique mais elle doit nécessairement s’accompagner de l’engagement politique et idéologique envers le Frente amplio. (p.19)


Carlos Flanagan a été membre de la Commission des affaires et relations internationales du Frente amplio. Il a aussi été ambassadeur de l’Uruguay auprès de l’État plurinational de Bolivie. C’est un collaborateur du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/10/02/elecciones-generales-en-uruguay-algunas-interrogantes-para-la-izquierda/.

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