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DIAL 2661
CHILI - “Nous, les enfants de ceux que vous avez tués...”
lundi 1er septembre 2003, mis en ligne par
Face au projet de loi promu par le président Lagos, des enfants de ceux qui furent victimes des militaires ont inauguré une grève de la faim en signe de protestation. Cette grève porte le nom de Luciano Carrasco, fils d’un journaliste assassiné José Carrasco. Luciano fut incapable de se remettre de l’expérience terrible qu’il vécu à l’âge de 14 ans lorsqu’un groupe armé de la dictature militaire arrêta et assassina son père en 1986. Il se donna la mort dans la nuit du 11 au 12 novembre 2002. Les assassins de son père restent impunis. Ci-dessous, nous publions le texte rendu public par les grévistes de la faim le 20 août 2003.
Aux forces armées chiliennes,
Aux assassins et complices,
membres des forces armées.
Nous sommes des enfants de Chiliennes et Chiliens qui ont été torturés, assassinés et qui ont disparu.
Nous savons qui sont grand nombre des responsables ; nous savons où ils vivent ; nous savons comment ils ont déchaîné leur haine des pauvres et des travailleurs sur les corps de nos parents.
Nous savons comment ils les ont cherchés pour les tuer, nous savons comment ils les ont traités dans leurs centres de torture et leurs prisons ; nous savons comment ils ont sapé leur dignité.
Nous savons tout cela, aussi n’y a-t-il pas de sens à ce qu’ils continuent à le cacher.
Nous entendons tous les jours aux infos quelques-uns de leurs représentants civils qui tentent d’expliquer ce qui ne peut pas l’être. Superbes, impunis, en liberté, ils prêchent en faveur de l’amnistie, en faveur de la prescription, finalement en faveur de tout ce qu’implique l’IMPUNITÉ.
Les militaires qui sont responsables de ces faits ne doivent plus rester dans les rangs des forces armées et encore moins recevoir leur appui. On doit les limoger immédiatement, limoger les assassins, tortionnaires et complices.
Limoger ceux qui, au nom des forces armées du Chili, ont fait couler le sang de leurs propres compatriotes. Sinon, les forces armées continueront – comme elles l’ont fait jusqu’à présent – à être complices de ces criminels.
Parce que le massacre de milliers de Chiliens n’a AUCUNE justification et que, tenter d’en trouver, c’est continuer à être complices de ces crimes. Continuer de dire qu’il y a eu des militaires « qui ont commis des excès », que c’était « une erreur », ou qu’ils ont agi pour une soi-disant nécessité de « sauver » notre patrie et que par conséquent tous ces délits ont été « nécessaires » est un mensonge et une lâcheté.
Il n’y a aucune raison qui puisse justifier les faits qui ont eu lieu après le 11 septembre 1973.
Ces individus sont simplement des CRIMINELS et ils ne doivent pas jouir d’un traitement privilégié.
Il nous semble que le fait qu’ils n’assument pas leur responsabilité dans ces actes est une lâcheté, et tant que les forces armées chiliennes ne les écartent pas, ne retirent pas leur appui aux assassins et ne demandent pas pardon, nous ne croirons pas à leurs déclarations de « bonne volonté ». Tous doivent assumer leur responsabilité, aussi bien ceux qui ont participé aux délits que ceux qui les ont couverts, en leur offrant leur appui et leur protection, faisant ainsi obstacle à l’action de la justice.
Nous ne vous faisons pas confiance et nous ne croyons pas en vos « gestes ». Chaque fois que vous apparaissez en appelant à la réconciliation, à la paix, nous nous demandons :
Pensent-ils, ne serait-ce qu’un instant, que nous, enfants des personnes qui ont été torturées, assassinées et/ou portées disparues, nous allons oublier ? Pensent-ils qu’ils pourront avec quelques sous acheter notre sang et notre mémoire ? Croient-ils qu’il existe une possibilité que nous puissions nous réconcilier avec ceux qui ont fait couler le sang de notre sang ? Croient-ils que nous allons serrer leurs mains maculées de notre sang et nous asseoir à une table de dialogue pour discuter ? Comment pourrions-nous croire en vous si, quand vous parlez de réconciliation et de paix, vous faites seulement la promotion de l’impunité et de l’oubli ? Il n’y a aucune possibilité d’accord, même le plus minime tant que les assassins continueront à se cacher dans leurs casernes. Nous n’avons pas oublié un seul jour nos parents exemplaires et la douleur que nous avons vécue ne sera pas calmée par des gestes menteurs. Leurs camarades de lutte, leurs amis et des milliers de jeunes ne les ont pas, non plus, oubliés et ne resteront pas tranquilles.
Croyez-vous un instant, qu’avec tant de crimes commis, vous allez réussir à faire taire la voix, l’idée, le sentiment et la lutte pour l’égalité et la justice ? Même si cela vous gêne, nous, les enfants de ceux que vous avez tués, nous sommes vivants, nous avons survécu, votre pouvoir et votre haine implacables n’ont pas réussi à nous faire taire. Nous ne nous sommes pas laissés écraser, nous portons la tête haute et sommes disposés à sacrifier notre vie, si c’est nécessaire, pour la justice et le droit.
Il n’y a pas de sens à continuer à mentir, à nier, à vous cacher comme des rats, loin de l’action de la Justice, puisque si vous ne permettez pas que les tribunaux agissent, nous ne permettrons pas qu’au Chili l’impunité soit consacrée.
Aux assassins en uniformes, nous voulons dire en face ceci : il n’y a pas de chemin que vous puissiez prendre sans avoir à affronter, à un moment ou un autre, la grande responsabilité que vous avez pour les crimes que vous avez commis contre votre propre pays.
Ni oubli, ni pardon, ni repos, justice maintenant !!!
Santiago, 20 août 2003
Fahra Nehgme (gréviste), Alberto Rodríguez (gréviste), Pablo Villagra (gréviste), Iván Carrasco, Daniela Taberna, Fernando Krauss, Michelle Retamal, Tamara Troncoso, Natalia Chanfreau, Bárbara Vergara, Carolina Valdés, Alexandra Benad, Yuri Gahona, Dago Pérez Videla, Eduardo Ziede, Juan José Parada, Paula Codocedo.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2661.
– Traduction Dial.
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