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DIAL 2663

ARGENTINE - Poursuivre en justice les anciens bourreaux. Le principe de juridiction universelle aide les tribunaux locaux à juger les responsables de délits de lèse-humanité

Pablo Waisberg

lundi 1er septembre 2003, par Dial

Le président argentin Néstor Kirchner, après un vote favorable de la Chambre des députés et du Sénat, a promulgué fin août l’annulation des lois dites du Point final (1986) et de l’Obéissance due (1987) qui empêchaient que les militaires puisent être jugés pour les violations commises contre les droits humains durant la dictature (1976-1983). Comme, d’une part, le gouvernement espagnol vient de refuser de donner suite à la demande d’extradition de 39 militaires et un civil argentins, que le juge Garzon avait introduite, et comme, d’autre part, le président Kirchner vient de réaffirmer que les militaires pourraient être jugés en Argentine et qu’il faut « en finir avec l’impunité », il faut donc s’attendre à ce que ces procès aient effectivement lieu en Argentine. L’annulation des lois du Point final et de l’Obéissance due a causé un immense soulagement dans le pays. Dans l’immédiat, le mérite en revient au président Kirchner, mais il est nécessaire - et utile - de rappeler le rôle essentiel joué par la pression internationale depuis plusieurs années pour que de tels procès aient lieu. C’est ce que retrace l’article ci-dessous de Pablo Waisberg (Buenos Aires) paru dans Noticias Aliadas du 16 juillet 2003.


Les procès au pénal contre les anciens dictateurs ou les anciens bourreaux argentins, réalisés par les tribunaux étrangers, ont permis d’initier des jugements en Argentine contre ceux qui participèrent à la dernière dictature militaire (1976-1983). La pression exercée à partir de l’extérieur a obligé les fonctionnaires, les juges et les institutions en général à prendre parti et, dans de nombreux cas, a signifié un appui inestimable aux familles des victimes et aux autorités qui croient fermement dans la nécessité de juger et de condamner ceux qui commirent des crimes de lèse-humanité.

Le soutien international a aidé à faire une brèche dans le mur des lois du Point final et de l’Obéissance due, approuvées en 1986 et 1987, respectivement, par l’ancien président Raúl Alfonsín (1983-1989), qui empêchaient que soient jugés les anciens bourreaux. Tout ce processus a permis que quinze années après leur approbation par le Congrès, les dites lois d’impunité soient remises en cause par divers juges fédéraux et que la question se trouve posée devant la Cour suprême de justice qui doit se prononcer sur les demandes de nullité formulée par les magistrats.

« Les jugements à l’extérieur ont été la stratégie qui a libéré la justice locale. L’international a fonctionné comme un boomerang », affirme Marie José Guembe, directrice du programme Mémoire et lutte contre l’impunité, relevant du Centre d’études légales sociales.

Les effets de la pression internationale purent se faire sentir dans la seconde moitié de 1998, quand le juge espagnol Balthazar Garzón, qui applique le principe de « juridiction universelle », lequel permet de juger n’importe quel responsable de crimes de lèse-humanité, indépendamment de sa nationalité et du pays où il a effectué ses délits, a demandé à la Grande-Bretagne l’extradition de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, afin de le juger pour crimes de lèse-humanité.

Bien que Pinochet ne fût pas extradé, la situation eut des conséquences non seulement au Chili, mais aussi en Argentine, où progressèrent des procès qui étaient paralysés.

En ces mois de 1998, le procès initié deux années avant par les Grands-mères de la place de Mai, au cours duquel des recherches sont faites sur l’existence d’un plan systématique de répression pour l’appropriation d’enfants nés dans les prisons clandestines de la dernière dictature [1], a connu un nouvel élan avec la détention des principaux chefs du gouvernement de fait. De plus, lesdits « jugements pour la vérité » ont progressé, dans lesquels on cherche à déterminer ce qui s’est passé avec les disparus et où se trouvent leurs corps.

« Le problème n’est pas que les procès aient lieu à l’extérieur, mais comment les procès font pression en Argentine sur les juges et les autorités locales », a déclaré Marie José Guembe, soulignant que « le progrès de la juridiction universelle a un sens s’il rend impossible le développement de procès locaux, parce que, sur la base des jugements locaux, la société analyse la situation et les institutions condamnent les responsables ».

En ce sens, Marie-José Guembe a signalé que le début de l’affaire qui a démarré en Espagne en 1995 devant l’Audiencia Nacional contre tous ceux qui participèrent à la dictature - militaires, policiers ou civils accusés de tortures, génocide, disparitions et séquestrations - , fut « une grande préoccupation » pour le gouvernement de Carlos Menem (1989-1999), qui signa un décret présidentiel refusant définitivement quelque collaboration que se soit avec la justice espagnole.

Cette ligne fut suivie par le gouvernement de Fernando de la Rúa (1999-2001) qui refusa les demandes d’extradition présentées par Garzón, qui finirent par inclure 198 civils et anciens militaires, accusés de délits de génocide et de terrorisme.

L’avocat Carlos Slepoy, qui représente les familles des disparus devant les tribunaux espagnols, a dit que les demandes d’extradition et les mandats d’arrêt internationaux lancés par les différents tribunaux étrangers ont engendré chez les criminels l’idée qu’ils ne peuvent plus se rendre librement n’importe où et que le dernier refuge qui leur reste est le pays dans lequel ils ont commis leur crime.

« Ces procès », a ajouté Slepoy, « ont stimulé les victimes, les organismes défenseurs des droits humains et les juges argentins qui se sont sentis soutenus internationalement, et a provoqué une avancée significative dans l’idée d’une poursuite universelle des crimes de lèse - humanité . »

Tout ce processus fut accompagné de puissants rassemblements qui augmentèrent la capacité de mobilisation à chaque anniversaire du coup d’État qui se produisit le 14 mars 1976. Il a inclus également les procès au pénal dans différents pays européens pour la disparition, torture et mort de citoyens étrangers en Argentine. Ainsi prirent corps des procès en Allemagne, Suisse, France et Italie.

À la différence de ce qui est arrivé avec Alfonsín et Menem, le nouveau gouvernement du président Néstor Kirchner n’a pas empêché l’extradition en Espagne le 28 juin de l’ancien capitaine de corvette de l’armée argentine Ricardo Miguel Cavallo, détenu au Mexique à la demande du juge Garzón qui enquêtait à son sujet pour délits de génocide, torture et terrorisme. De même, le 8 juillet Garzón renouvela au gouvernement argentin la demande de détention faite en l’an 2000, en vue d’une extradition ultérieure de 46 autres personnes accusées des mêmes charges que Cavallo [2].

Pour Slepoy, l’extradition [3] aura un effet très positif dans la lutte contre l’impunité en Argentine. Il a cependant averti que, bien que ce soit une conquête pour le peuple, cela constitue une honte pour les institutions argentines et met en évidence une situation perverse.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2663.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas du 16 juillet 2003.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Cf. DIAL D 2279.

[2En fait, des 45 militaires et un civil réclamés par le juge Garzón, 40 ont été arrêtés en juillet en Argentine sur ordre du juge Canicoba, tandis que 3 sont décédés et 3 sont restés non localisés. Suite au refus de l’Espagne de réclamer leur extradition, le juge argentin vient d’ordonner ce 1er septembre la libération de ces prisonniers.

[3De Cavallo.

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