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BRÉSIL - La Conférence Rio+20 va relancer la polémique sur les agrocarburants

José Pedro Martins

jeudi 12 avril 2012, par Dial

Depuis 2007, Dial s’est fait l’écho des problèmes que soulèvent le développement de la production d’agrocarburants dans le monde, et en particulier au Brésil [1]. La Conférence des Nations unies sur le développement durable qui se tiendra à Rio de Janeiro début juin 2012 va être l’occasion de nouveaux débats sur cette question. Texte de José Pedro Martins publié par Noticias Aliadas le 5 mars 2012.


La polémique sur l’utilisation de terres agricoles pour la production d’agrocarburants, qui affecte la sécurité alimentaire mondiale, va être relancée avec force lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable, Rio+20, qui se tiendra à Rio de Janeiro début juin 2012.

Plusieurs organisations non gouvernementales participant à la préparation du Sommet des peuples, événement parallèle à la conférence officielle, se mobilisent déjà pour dénoncer la production croissante d’agrocarburants au détriment de l’utilisation familiale et communale des terres agricoles pour la production d’aliments, ainsi que son éventuel impact sur l’environnement.

En 1992, le Brésil avait déjà accueilli la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, Eco-92. Siège du Rio+20 cette année, le pays se retrouve au cœur du débat sur les effets de l’expansion des agrocarburants sur la production d’aliments et la sécurité alimentaire mondiale.

La controverse avait commencé avec vigueur en octobre 2007, lorsque le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation d’alors, le sociologue suisse Jean Ziegler, avait divulgué un rapport affirmant que l’utilisation croissante de l’éthanol – agrocarburant dérivé de la canne à sucre – contribuait à la hausse des prix des aliments et, de ce fait, à la dégradation de la sécurité alimentaire pour les populations les plus pauvres.

Dans ce rapport, Ziegler proposait un moratoire de cinq ans sur la production d’agrocarburants fabriqués à partir de produits alimentaires, tels que la canne à sucre au Brésil et le maïs aux États-Unis. Il affirmait en outre qu’une hausse des prix de 1% engendrait 16 millions de cas de malnutrition supplémentaires dans le monde.

Crime contre l’humanité

Le ton des critiques au sujet des agrocarburants est monté en avril 2008, lorsque Ziegler a indiqué que la production de masse de cette source d’énergie alternative aux carburants fossiles représentait un crime contre l’humanité, au vu de ses effets sur les prix alimentaires mondiaux.

Les déclarations formulées par Ziegler furent rapidement et vigoureusement contestées par le président brésilien de l’époque, Luis Inácio Lula da Silva (2003-2011), qui en vint à affirmer que Ziegler ne connaissait pas la réalité du Brésil. Le président Lula souligna que la hausse des prix alimentaires ne pouvait être attribuée aux agrocarburants.

Quoi qu’il en soit, les déclarations énergiques du rapporteur provoquèrent un grand débat international sur la relation entre agrocarburants et sécurité alimentaire. À l’époque, la naissance de cette polémique fut attribuée au fait qu’une grande partie de la production de maïs aux États-Unis était destinée à la fabrication d’agrocarburants, ce qui contribuait à la hausse des prix des denrées alimentaires.

Mais cette préoccupation reste cantonnée aux organismes des Nations unies, comme le montrent des publications récentes. Dans le document « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde en 2011 », l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) fait clairement état de sa préoccupation au sujet de l’impact des agrocarburants sur la sécurité alimentaire.

La FAO indique dans ce document qu’« il est probable que les prix alimentaires continuent à être élevés et volatiles. La demande des consommateurs dans les pays à forte croissance économique va augmenter, la population ne cesse de croître, et si le recours aux agrocarburants s’amplifie, le système alimentaire sera soumis à des demandes supplémentaires ».

Le document souligne également que « les politiques en matière d’agrocarburants ont établi de nouveaux liens entre le prix du pétrole et celui des produits alimentaires de base. Lorsque le prix du pétrole augmente, la demande en agrocarburants augmente, ce qui entraîne une hausse des prix alimentaires. Lorsque le prix du pétrole baisse, l’inverse se produit ».

Le nouveau directeur général de la FAO, le brésilien José Graziano da Silva, a affirmé que la production d’agrocarburants ne devait pas affecter la production d’aliments. Il a néanmoins ajouté que quatre pays d’Amérique latine – l’Argentine, le Brésil, la Colombie et le Paraguay –, selon des études réalisées par la FAO, pouvaient augmenter leur production d’agrocarburants « sans bouleverser la sécurité alimentaire », en fonction de la disponibilité de terres cultivables. Selon lui, l’agrocarburant qui préoccupe le plus la FAO est de fait celui dérivé du maïs.

L’agrobusiness est en marche

La question des agrocarburants est par conséquent au cœur du débat mondial sur la sécurité alimentaire et les alternatives aux combustibles fossiles, qui provoquent le réchauffement climatique. Au Brésil, les ONG sont extrêmement préoccupées par l’expansion de la production d’agrocarburants, notamment de l’éthanol, dans les zones géographiques sensibles telles que le Pantanal et l’Amazonie.

« Il s’agit d’un crime écologique qui nuit à la production d’aliments », affirme le président de l’Association brésilienne de réforme agraire (ABRA), Plínio de Arruda Sampaio. L’éthanol, ajoute-t-il, contribue uniquement à « faire vivre l’industrie automobile, pourtant condamnée à subir d’importants changements » compte tenu des problèmes auxquels il faut faire face, comme le réchauffement planétaire.

Le Brésil dispose de 335 millions d’hectares de terres cultivables. Aujourd’hui, 9,4 millions d’hectares sont destinés à la culture de la canne à sucre. Selon des études réalisées par le gouvernement brésilien, les zones occupées par la canne à sucre continueront néanmoins de s’étendre dans les années à venir.

Le document « Brésil, perspectives de l’agrobusiness de 2010/2011 à 2020/ 2021 », rédigé par le Bureau de gestion stratégique du ministère de l’agriculture, de l’élevage et de l’approvisionnement, montre qu’il est question d’étendre la culture de la canne à sucre et du soja, « deux activités qui se partagent l’espace au Brésil ». Selon le document, « 7,4 millions d’hectares supplémentaires seront alloués à ces deux cultures : 5,3 pour le soja et 2,1 pour la canne à sucre ».

« Compte tenu des prix, nombreux sont les agriculteurs qui vont continuer à opter pour la canne à sucre, ce qui est très préjudiciable car cela accentue notamment l’exode rural et le surpeuplement urbain », déclare Sampaio. L’avancée du soja et de la canne à sucre est par conséquent montrée du doigt par les organisations qui défendent les paysans sans terre et les petits agriculteurs, telles que la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) et la Commission pastorale de la terre (CPT), comme étant une source d’aggravation des conflits agraires au Brésil.

À l’heure actuelle, les ONG et la société civile brésilienne s’impliquent surtout dans des actions qui pourraient peser lors du Rio+20. La Conférence abordera deux thématiques étroitement liées à la controverse sur les agrocarburants et la sécurité alimentaire : la lutte contre la pauvreté et l’économie dite « verte » – définie par le Programme des Nations unies sur l’environnement comme « celle qui conduit à l’amélioration du bien-être de l’être humain et la justice sociale, tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la rareté écologique ».

Un document signé par plusieurs organisations brésiliennes – notamment AS-PTA, agriculture familiale et agroécologie – et mondiales – EcoNexus, ETC-Group, More and Better et Third World Network, entre autres – liste les 20 politiques que le Rio+20 peut adopter immédiatement afin d’améliorer la souveraineté alimentaire, réduire l’empreinte écologique et soutenir « le travail novateur des paysans, producteurs et fournisseurs de denrées alimentaires à petite échelle ».

Voici certaines des propositions formulées dans le document : restaurer l’aide publique pour permettre à l’agriculture de faire face à la crise alimentaire, produire des denrées alimentaires sur les terres aujourd’hui allouées à la culture d’agrocarburants, adopter des politiques qui réduisent l’érosion des sols et visent ainsi à protéger la sécurité alimentaire sur le long terme, et soutenir les stratégies paysannes de conservation.

Dans un autre document, des organisations comme Vía Campesina, Amigos de la Tierra - Amérique latine et Caraïbes et le Mouvement mondial pour les forêts, ont lancé un appel pour « affirmer nos droits et ceux de la nature face à la marchandisation de la vie et le “reverdissement” du capitalisme ». Les ONG environnementales considèrent en effet que l’économie verte n’est qu’une stratégie visant à conserver les structures injustes et destructives du capitalisme.

Il est évident que la polémique sur les agrocarburants et la sécurité alimentaire sera l’un des points forts parmi les thèmes du Rio+20 et du Sommet des peuples. Sampaio, président de l’ABRA, souligne qu’il est « parfaitement possible de développer la production d’autres formes d’énergie, telles que l’éolienne et la solaire, et fondamental aussi de changer le système de transports mondial ». Mais selon lui, « l’économie capitaliste ne permet pas de relever ces deux défis ».


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3190.
 Traduction de Lucile Cranskens pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 5 mars 2012.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Voir DIAL 2960 - « BRÉSIL - Les nécrocombustibles » et DIAL 3079 - « PAYS DU SUD - Le scandale des agrocarburants »

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