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DIAL 3346
HONDURAS - « Sans notre terre, nous cessons d’être un peuple » : la défense du territoire et des ressources autochtones
Miriam Miranda
vendredi 20 novembre 2015, mis en ligne par
DIAL avait consacré un article en 2009 [1] au peuple garífuna [2]. L’US Food Sovereignty Alliance a décerné en octobre 2015 son Prix de la souveraineté alimentaire à l’Organisation fraternelle noire hondurienne (OFRANEH en espagnol). Cet événement est une bonne occasion pour évoquer à nouveau dans nos colonnes les luttes des Garífunas. Le premier texte présente un aperçu général des luttes en cours pour la défense de leurs terres contre la triple menace de l’extractivisme, du narcotrafic et du développement de complexes touristiques. Le second, ci-dessous, présente le témoignage d’une des leaders de l’OFRANEH, Miriam Miranda. Ce témoignage est extrait d’un entretien conduit par Beverly Bell, coordinatrice de l’organisation Other Worlds et publié sur son site le 18 août 2013 par Tory Field et Beverly Bell.
6 octobre 2015.
le Prix de la souveraineté alimentaire honore cette année l’Organisation fraternelle noire hondurienne (plus connue sous son sigle espagnol OFRANEH), association d’agriculteurs et de pêcheurs afro-indiens garífunas qui défendent leurs terres, leurs eaux, leur agriculture et leur mode de vie. Le prix, qui a été remis à Des Moines le 14 octobre, est partagé avec la Federation of Southern Cooperatives, qui regroupe principalement des agriculteurs afro-américains de 13 États du Sud profond (Deep South) états-unien.
Ce prix est décerné par l’US Food Sovereignty Alliance, qui rassemble des groupes de défenseurs des droits, de militants, d’agriculteurs et d’autres producteurs de denrées alimentaires. L’idée de la souveraineté alimentaire est que, partout, les peuples doivent reprendre le contrôle de leurs systèmes alimentaires. L’US Food Sovereignty défend l’alimentation en tant que droit humain fondamental et cherche à assurer le lien entre des mouvements locaux, nationaux et internationaux qui œuvrent à un changement de système. [3]
Miriam Miranda fait partie des dirigeants de l’Organisation fraternelle noire hondurienne (OFRANEH), qui travaille au Honduras avec les 46 communautés afro-indiennes garífunas pour défendre leurs territoires, leurs ressources naturelles, leur identité et leurs droits. Miriam Miranda a fait le récit qui suit lors d’un entretien qu’elle a eu avec Beverly Bell à Washington, D.C. [4]
Nous vivons sur la côte atlantique du Honduras. Nous sommes un mélange de descendants d’Africains et de peuples indiens dont l’histoire commence il y a presque 400 ans sur l’île de San Vicente. Sans notre terre, nous cessons d’être un peuple. Nos terres et nos identités sont essentielles à nos vies, et à la préservation de nos eaux, nos forêts, notre culture, nos communs mondiaux, nos territoires. La lutte pour la défense de nos territoires, de nos communs et de nos ressources naturelles est pour nous de première importance pour continuer à exister en tant que peuple.
Le peuple garífuna, en reconnaissance de son mode de vie, a été inscrit au Patrimoine de l’humanité par l’UNESCO en 2004. Nous ne savons pas ce que cela signifie exactement, mais nous supposons que cela implique que l’État doit prendre des mesures pour protéger et préserver l’identité du peuple garífuna.
Ce à quoi doivent faire face les Garífunas est en grande partie la même chose que ce à quoi sont confrontés les peuples un peu partout en Amérique latine et, en fait, dans le monde entier. En outre, les problèmes du Sud ne nous concernent pas seulement nous, mais tout le monde et la planète tout entière.
Quand on examine les conflits qui menacent notre pays, on constate qu’ils correspondent exactement aux endroits où le capital transnational essaie de s’emparer de davantage de ressources des peuples autochtones. Vous croyez peut-être que le Président Mel Zelaya a été chassé du pouvoir par un coup d’État [en 2009] parce qu’il était de gauche. Non. C’est parce que [les riches] voulaient s’approprier de terres et de ressources, ce qu’ils sont en train de faire aujourd’hui. Considérez la recherche de supposés substituts du pétrole : activités extractives, barrages géants, biocarburants, production d’huile de palme africaine. Toutes ces ressources sont prélevées sur des terres autochtones. Jour après jour, la pression ne cesse de monter sur nos territoires, nos ressources et nos communs mondiaux.
Au Honduras, ils nous prennent des terres qui servaient à cultiver des haricots et du riz pour faire pousser des palmiers d’Afrique destinés à la fabrication de biocarburant. L’objectif est d’arrêter la production des aliments dont les êtres humains ont besoin pour qu’ils puissent produire le carburant dont les voitures ont besoin. Plus la nourriture se raréfiera, plus elle sera chère. La monoculture de certaines de ces variétés [pour le biocarburant] demande des millions d’hectares de terre. La souveraineté alimentaire est menacée de toute part.
Nous connaissons aussi un problème dont on parle rarement : le narcotrafic. La côte atlantique du Honduras constitue la principale voie de passage. Il ressort d’une étude que presque 90% de la drogue qui se rend dans le nord transite par le Honduras. Nous nous trouvons exactement sur le chemin des trafiquants et c’est pourquoi nous sommes si vulnérables. Parmi tous les pays qui ne sont pas en guerre, le Honduras affiche l’un des taux de criminalité et de violence [par habitant] les plus élevés. Nous devons nous battre non seulement pour préserver notre communauté mais aussi pour ne pas être enlevé par les trafiquants.
Un autre de nos principaux défis réside dans l’industrie touristique. Nous habitons quasiment sur la mer, directement sur la plage. C’est une chance mais, depuis peu, cela fait aussi notre malheur parce que, naturellement, tous ceux qui ont du pouvoir veulent avoir une place sur la plage. Le gouvernement du Honduras a lancé plusieurs mégaprojets touristiques. Avec le développement du tourisme, on assiste [de plus en plus] au déplacement de populations et à la perte de cultures.
Nous avons occupé et revendiqué [5] des terres ancestrales qui nous avaient été prises par d’autres, comme Vallecito Limón. Nous recourons également au droit international sur les droits humains pour conserver nos territoires. Nous avons engagé des poursuites contre l’État auprès de la Cour inter-américaine des droits humains à Washington au sujet de Triunfo de la Cruz [communauté garífuna située sur une plage dépossédée de ses terres en propriété collective] [6]. Nous espérons qu’un jugement sera rendu en novembre ou décembre 2013. Il créera un important précédent pour tous les peuples autochtones, et pas seulement pour les Garífunas. Il définira que c’est la responsabilité de l’État de protéger les territoires et les droits des peuples autochtones. C’est seulement la quatrième fois qu’une action est intentée pour aider à établir des politiques et des mécanismes qui protègent les ressources et les territoires des peuples autochtones, et de toute l’humanité, bien sûr. [Les trois autres fois], il s’agissait de Sarayaku en Équateur [7], de Saramaca au Surinam [8] et d’Awas Tingni au Nicaragua [9].
Nous créons des alliances avec des féministes en résistance, avec d’autres populations autochtones, avec des paysans, avec des groupes comme le Mouvement mésoaméricain contre le modèle extractiviste. Ces alliances sont très importantes et nous devons continuer à les renforcer. Rien ne peut venir d’en haut ; toutes ces alliances doivent être bâties en partant du niveau de la communauté. Nous sommes celles et ceux qui peuvent, sur le terrain, résister et créer des possibilités.
Nous avons créé notre propre média, une station de radio communautaire pour les Garífunas. En réponse aux médias de masse qui tentent de s’opposer à la protection de nos territoires autochtones, nous avons formé des alliances avec les quatre autres radios communautaires et avons lancé, de concert avec le COPINH [Conseil civique des organisations populaires et indiennes du Honduras], un réseau mésoaméricain de radio communautaire.
Je voudrais parler du rôle joué par les femmes dans la défense de la vie, de la culture et des territoires, s’opposant à un modèle de mort qui devient chaque jour plus fort. Nous nous trouvons en première ligne d’une avalanche d’attaques. Partout au Honduras, comme à travers toute l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie, des femmes sont aux avant-postes des combats pour nos droits, contre la discrimination raciale, pour la défense de nos communs et notre survie. Nous sommes en première ligne non seulement avec nos corps, mais aussi avec notre force, nos idées, nos propositions. Nous ne donnons pas seulement naissance à des enfants, mais aussi à des idées et des actes.
Les merveilleuses camarades de Triunfo de la Cruz, femmes garífunas, dont beaucoup sont âgées, possèdent une force incroyable. Elles participent à des réunions, des actions, elles abattent les murs qui sont construits sur la plage. Elles soutiennent la jeunesse garífuna pour qu’elle sache qui elle est et qu’elle n’en ait pas honte. Elles produisent le yucca, qui constitue notre aliment de base.
Si le problème est mondial, nous devons lui apporter une réponse mondiale. Le moment est venu pour chaque être humain vivant au Nord de la planète de prendre ses responsabilités au regard de l’utilisation des ressources, des déchets et de la consommation. Le mode de vie qui est le vôtre aux États-Unis n’est pas durable. Vous appuyez sur le détonateur. Nous [à l’autre extrémité] connaissons des crises en série. Nous essayons de résister et cherchons toutes les solutions possibles, mais nous nous demandons : Hum, est-ce que c’est nous qui consommons toute cette énergie ? Si les gens du Nord sont ceux qui consomment, pourquoi payons-nous la facture au Honduras ? Pourquoi sommes-nous expulsés pour produire de l’énergie pour d’autres ? Que faut-il que nous fassions ? Abandonner la planète à la destruction ou changer les choses pour les générations futures ? Il n’y aura plus de terre, d’eau ni d’air pour elles. Ce n’est pas du pessimisme, c’est la réalité. Le temps est venu.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3346.
– Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
– Source (anglais) : Other Worlds, 18 août 2013.
En cas de reproduction, mentionner au moins les autrices, le traducteur, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] DIAL 3056 - « HONDURAS - Les Garifunas sont confrontés à leur propre déclin ».
[2] Les Garífunas sont issus du métissage entre des Africains conduits de force aux Amériques dans le cadre du commerce triangulaire et des peuples indiens (Caraïbes et Arawaks).
[3] Sur le site Other Worlds, cette brève introduction rédigée par Beverly Bell est suivie d’extraits d’un entretien avec Miriam Miranda publié d’abord en 2013. C’est ce même entretien, traduit en français, que nous reprenons ici dans sa première version, plus longue.
[4] Merci à Lauren Elliott pour son travail de correction.
[5] http://upsidedownworld.org/main/honduras-archives-46/3869-vallecito-resists-satuye-lives-the-garifuna-resistance-to-honduras-charter-cities (anglais).
[7] https://www.asil.org/insights/volume/16/issue/35/duty-consult-inter-american-system-legal-standards-after-sarayaku (anglais).
[8] https://www.wcl.american.edu/hrbrief/v1i2/surina12.htm (anglais).
[9] https://www.escr-net.org/docs/i/405047 (anglais).