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DIAL 2806

COLOMBIE - L’ONU fixe des délais au gouvernement colombien

Gustavo Capdevila

lundi 16 mai 2005, mis en ligne par Dial

Le gouvernement colombien a fait l’objet de fermes critiques dans la déclaration que la Commission des droits de l’homme de l’ONU vient d’adopter. Questions des déplacés dont le nombre s’accroît, utilisation de mineurs dans le conflit, méconnaissance de la distinction entre civils et combattants, autant de points, parmi d’autres, qui justifient une « supervision » de la situation de la part de l’organisme international. Article de Gustavo Capdevila, IPS, 22 avril 2005.


La Commission des droits de l’homme des Nations unies a mis en demeure le gouvernement de la Colombie de présenter au milieu de cette année un calendrier relatif à la mise en œuvre des recommandations de la Commission pour mettre fin aux abus contre la population civile liés au long conflit armé dans ce pays.
Gustavo Gallón, avocat, militant et directeur de la Commission colombienne des juristes (CCJ) a estimé que, dans la déclaration du président de la Commission, l’Indonésien Makarim Wibisono, on perçoit l’intérêt et les exigences de la Commission pour que la Colombie progresse en matière de droits humains.

Makarim Wibisono a présenté la déclaration de la présidence aux 53 Etats qui composent la Commission qui, depuis neuf ans, traite de la crise colombienne. La discussion du texte s’est achevée le vendredi 22 avril entre les représentants du gouvernement colombien et de l’Union européenne.

« Conflit armé » et « supervision »

Beatrice Quadranti, de la Fédération internationale des droits de l’homme, a dit à IPS : « Nous avons réussi à faire inclure dans la déclaration la qualification de ‘conflit armé’ pour l’affrontement qui se déroule depuis plus d’un demi-siècle ». Elle a dit que le gouvernement n’acceptait pas ce concept.

Patricia Scannella, de l’organisation des droits humains Amnesty International, a remarqué le paragraphe de la déclaration qui consacre la continuité du mandat de la mission permanente que le Bureau de la Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, Louise Arbour, a établi en Colombie.

Le document précise que le Bureau remplit des tâches de supervision, expression que, selon les organisations non gouvernementales, les délégués du gouvernement colombien ont vainement essayé d’éliminer.
B. Quadranti a déclaré que cet acquis a été atteint grâce à l’Union européenne, objet d’une forte pression de la part des autorités colombiennes jusqu’à ce qu’on trouve un accord dans la matinée de ce vendredi.

La militante a accordé une valeur spéciale à la référence faite dans le document au cadre juridique du processus de démobilisation des paramilitaires (de droite), qui garantit le droit à la vérité, à la réparation et à la justice pour les victimes des crimes de ces groupes.
Un projet gouvernemental pour l’établissement de ce cadre juridique actuellement débattu au Parlement colombien est dénoncé par ceux que s’y opposent comme une « loi d’amnistie » pour les délits perpétrés par ces groupes.

P. Scannella s’est réjouie de la reconnaissance faite dans la déclaration concernant la responsabilité de « la guérilla, des paramilitaires soutenus par l’armée et des forces de sécurité » dans les violations des droits humains et du droit humanitaire international. Dans le conflit intérieur colombien, sont en lutte des guérillas de gauche déjà anciennes contre des groupes paramilitaires de droite apparus avec force depuis les années 80 (qui disent défendre l’Etat et ont des liens étroits avec le narcotrafic) et contre les forces publiques.

La représentante d’Amnesty a également salué le fait qu’ait été reconnue l’existence actuelle d’une complicité entre les fonctionnaires de l’Etat colombien et les paramilitaires.

Gustavo Gallón a souligné l’insistance avec laquelle, dans sa déclaration, la Commission demande à la Colombie l’accomplissement des recommandations du Bureau de la Haut commissaire. « On parle de progrès rapides et importants, de résultats visibles », a-t-il dit. « Il est logique qu’il en soit ainsi parce que la Commission a fait un travail pendant les neuf années de fonctionnement du Bureau, alors que la situation reste très grave dans le pays. Par conséquent, exiger des résultats est naturel. »

Gustavo Gallón a jugé que la demande de la Commission est cohérente avec les conclusions de diverses rencontres réalisées l’an passé entre la communauté internationale, Bogotá et des organisations colombiennes de la société civile.

« La crise des droits humains, a t-il déclaré, doit être réglée et la formule pour le faire se trouve dans les recommandations du Bureau de la Haut commissaire. »

Distinguer entre civils et combattants

Un des paragraphes de la déclaration exhorte les factions à respecter le droit international humanitaire, comprenant les principes de distinction, limitation, proportionnalité et immunité de la population civile.
Le directeur de la Commission colombienne des juristes a estimé importante la référence au principe de distinction parce que « la politique de sécurité du gouvernement repose sur la volonté de méconnaître le principe de distinction entre civils et combattants ».
Selon G. Gallón, le président de Colombie, Alvaro Uribe, de droite, « a dit plusieurs fois qu’il ne croyait pas au principe de distinction, que nous sommes tous des combattants et que nous devons tous soutenir militairement la force publique. » Mais la déclaration contredit ces affirmations gouvernementales.

La non-reconnaissance du principe de distinction permet au gouvernement d’organiser des programmes tels que celui du réseau d’informateurs civils [1] car, selon ce que dit le Plan national de développement, il est souhaité que la population s’articule sur ce réseau sous les ordres du commandement militaire ou de la police. L’homme de loi colombien résume ainsi : « Finalement, c’est une militarisation de la société. »

Le recrutement de mineurs

La déclaration du président Wibisono s’inquiète du recrutement des enfants, un phénomène de grande ampleur. Un rapport de l’organisation non gouvernementale Human Right Watch, dont le siège est aux Etats-Unis, estime qu’il y a actuellement de 10 000 à 11 000 mineurs recrutés par les paramilitaires ou les groupes de guérilleros.

Les deux organisations peuvent compter ensemble quelque 40 000 personnes armées. « C’est pourquoi, en proportion, dit G. Gallón, le problème des mineurs soldats est très important. De plus, ajoute-t-il, l’utilisation d’enfants dans la guerre concerne non seulement la guérilla et les paramilitaires, mais aussi le gouvernement. » Selon lui, « Le gouvernement ne recrute pas d’enfants parce que la législation l’interdit, mais il les utilise comme porteurs de messages ou boucliers, et les forces militaires s’installent dans les écoles. »

Les déplacés

Le document approuvé à Genève manifeste une inquiétude pour la quantité de déplacés à l’intérieur du pays. Mais G. Gallón estime que l’organisme ne disposait pas de données correctes sur cette question qui n’a pas été traitée en profondeur dans le rapport présenté par le Bureau de la Haut commissaire.

Au cours de la période de deux ans et demi de l’actuel gouvernement, on a enregistré plus d’un demi-million de nouvelles personnes déplacées qui s’ajoutent aux presque trois millions déjà existants. (...)
La déclaration sur la Colombie a inclus cette année un nouveau paragraphe qui condamne la continuité des violences contre les femmes et les fillettes et l’impunité avec laquelle cela se passe.

P. Scannella a rappelé qu’Amnesty avait alerté l’an passé sur les conséquences du conflit armé pour les femmes et les fillettes. « Aujourd’hui, a-t-elle dit à IPS, nous saluons que le texte comprenne une référence forte et explicite aux violations basées sur le genre et nous demandons également que soient abordées les questions liées à la violence sexuelle. »

*********

Massacre dans une Communauté de paix

Extraits de la lettre ouverte adressée au président de la Colombie, M. Alvaro Uribe, par Adolfo Pérez Esquivel et d’autres personnalités latino-américaines, le 1 avril 2005 .

(...) Le 21 février dernier, un massacre épouvantable a été commis à San José de Apartado, en Urabá, à l’encontre de paysans, enfants et femmes. Ces personnes humbles et sans possibilité de se défendre, ont été assassinées avec une grande cruauté, leurs corps ayant été dépecés. C’est l’un des plusieurs centaines de crimes de lèse-humanité que les militaires et les paramilitaires ont commis impunément pendant plusieurs années.

Luis Eduardo Guerra, cofondateur de la Communauté de paix - bien connue - de ce lieu, y a été assassiné. De même, le samedi 5 mars, a disparu Irma Areiza de la communauté de Dabeiba ; elle a été torturée et assassinée. Le dirigeant Pedro Murillo, de la Communauté de Jiguamaindó, a été, lui aussi, assassiné le 29 janvier.

Ces trois personnes, en plus d’être des animateurs de la résistance civile de ces Communautés méritantes, étaient des témoins directs des crimes commis dans le cadre de la stratégie paramilitaire dans cette région.

De plus, des personnes comme Javier Giraldo, prêtre jésuite que nous connaissons depuis des décennies, comme d’autres membres de la Commission interecclésiale Justice et paix et des défenseurs de ces communautés avec qui nous échangions grâce à leur travail en faveur des droits humains, on été menacées ou accusées par des organismes gouvernementaux répressifs, d’être des soutiens ou des membres de l’opposition armée.

Votre gouvernement, au lieu de rétablir la vérité et de demander pardon publiquement, a menacé de façon répétée ces communautés et a donné l’ordre d’en finir avec elles ; il a annoncé que les troupes - qui ont été systématiquement agressives et homicides -, allaient occuper militairement les terres de ces populations. Et ce, non seulement pour en finir avec leur principe de neutralité et de distinction par rapport aux acteurs du conflit, mais aussi pour laisser faire le pillage de ces territoires et de leurs titres [2] collectifs. Ces terres sont déjà en train d’être usurpées violemment par des projets économiques sauvages.

Avec les faits que nous connaissons qui ont eu lieu avant et après le massacre, nous savons déjà, monsieur le président Uribe, que ce qui est en marche est la décision d’éliminer cette expérience digne et courageuse de construction sociale de valeurs d’humanité. Des valeurs que votre gouvernement n’est pas disposé à partager, comme vous l’aviez exprimé très clairement dans vos discours en vous attaquant à cette communauté, l’un d’eux le 27 mai 2004 et, il y a quelque jours encore, le dimanche 20 mars 2005, lors d’un conseil de sécurité qui a eu lieu dans la région même où ce exécrable massacre a été commis.
A cette dernière occasion, vous avez signalé que « des dirigeants, des partenaires et des défenseurs » des communautés sont au service de la subversion et du terrorisme.

En même temps, des terrifiantes menaces circulent en Cacarica et en Jiguamiandó cette dernière semaine, comme c’était le cas le mardi 29 mars à Bogotá, par le biais de messages annonçant de façon anonyme l’assassinat de membres de Justice et paix.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2806.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, 22 avril 2005.

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[1Cf. Dial D 2591.

[2De propriété.

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