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DIAL 3645
ARGENTINE - Les Nations unies dénoncent l’action de Barrick Gold à San Juan et mettent en évidence la complicité des autorités
Darío Aranda
mardi 31 janvier 2023, mis en ligne par
Comme l’ont montré de façon répétée les textes publiés autour de la thématique de l’extractivisme [1], ce sont souvent les populations périphériques qui paient le prix des excès des modes de vie et des habitudes de consommation des urbains… Ces deux textes en offrent une triste illustration, en amont, avec les pollutions occasionnées par l’extraction minière, et en aval, avec les montagnes de déchets plastiques qui se retrouvent dans le lac de Cerrón Grande (El Salvador). Ce premier texte, de l’Argentin Darío Aranda, a été publié par l’agence d’informations Terra Viva le 3 janvier 2023. Le second est l’œuvre du Salvadorien Carlos Barrera (texte et photos). Il a paru sur le site El Faro le 27 septembre 2022.
Trois experts indépendants, nommés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ont rédigé un rapport sévère sur la pollution et les atteintes au droit commises par l’entreprise Barrick Gold dans sa mine Veladero de San Juan. Déversements, présence de cyanure et de mercure dans l’eau, silence des médias et inaction des autorités et des juges. Et une population qui dit non à la mégamine.
« Les déversements et l’inaction opportune du gouvernement et de l’entreprise mettent en péril les populations et l’environnement », affirment trois rapporteurs spéciaux des Nations unies dans un document en dix parties rempli de questionnements et d’avertissements concernant les activités de Barrick Gold dans sa mine de Veladero (province de San Juan [2]). Après au moins cinq déversements observés en huit ans, ils sonnent l’alarme par le biais des instances de l’ONU : « Nous exprimons notre extrême préoccupation devant les atteintes aux droits humains provoquées par les déversements de cyanure, d’arsenic, de mercure et d’autres substances dangereuses de la mine Veladero ».
Les rapporteurs spéciaux sont des experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour étudier des questions bien précises. C’est la première fois que trois rapporteurs spéciaux des Nations unies s’expriment, en des termes critiques, sur un mégaprojet minier en Argentine. « L’eau que les communautés rurales utilisent pour l’irrigation des cultures a été contaminée par le mercure et d’autres métaux lourds. Les communautés ne peuvent savoir avec certitude si l’eau qu’elles boivent est polluée parce que l’entreprise et le gouvernement ne communiquent pas sur les mesures de remédiation environnementale consécutives aux déversements », dénonce la lettre signée par Marcos Orellana (rapporteur spécial sur les incidences de la gestion des substances dangereuses sur les droits humains), Fernanda Hopenhaym (rapporteuse du Groupe de travail sur les droits humains et les entreprises transnationales) et David Boyd (rapporteur spécial sur les obligations d’un environnement sans risque pour les droits humains.
La dénonciation vise la mine Veladero, exploitée par l’entreprise canadienne Barrick Gold en association avec la société chinoise Shandong Gold Mining. Et les questionnements s’adressent également aux gouvernements de l’Argentine et de San Juan. « Nous déplorons particulièrement que ces déversements restreignent gravement le droit à la vie, le droit à la meilleure santé possible, le droit à l’alimentation, le droit d’accès à l’information, le droit à la justice environnementale, le droit à l’eau potable et à des conditions de travail sûres, et le droit à un environnement propre, durable et exempt de substances toxiques », alertent les spécialistes de Nations unies. Et de rappeler que les déversements de substances dangereuses requièrent des réponses « fondées sur les droits humains, notamment des mécanismes complets de responsabilisation et de réparation de la part de l’État et de l’entreprise, ainsi que des mesures de prévention et des garanties de non-récidive ».
Mégamine de San Juan : une histoire de pollution
Le 12 septembre 2015, des travailleurs de la mine Veladero informent par WhatsApp leurs familles d’un déversement polluant et les enjoignent de ne pas consommer d’eau. L’avis est diffusé, toujours par l’intermédiaire des voisins, à tout le village de Jáchal. L’entreprise et le gouvernement provincial gardent le silence. Mais, dès le lendemain, ils doivent reconnaître le déversement de cyanure et d’eau contaminée. Barrick Gold parle de 15 000 litres, nie la contamination et refuse d’admettre qu’elle a atteint la rivière. Une semaine plus tard, le 21 septembre, elle reconnaît un volume de 224 000 litres. Le 23 septembre, elle confesse qu’il s’est élevé à un million de litres et que la rivière est polluée. Il s’agit du plus grand déversement jamais enregistré dans les mines argentines.
En décembre de la même année, un rapport officiel sur la fuite, produit par la Division des opérations du Département de la criminalité environnementale au sein de la Police fédérale, établit la « pollution avérée » de cinq cours d’eau directement reliés à la zone d’exploitation de Barrick Gold (rivières Potrerillos, Jáchal, Blanco, Palca et Las Taguas).
En avril 2016, une enquête du ministère de l’environnement de la nation (qui figure dans le dossier judiciaire) a confirmé les craintes et dénonciations des habitants de la province de San Juan : l’entreprise a connu d’autres déversements, les 31 juillet et 29 novembre 2011, et le 22 mars 2012. Chaque fois, l’incident a été passé sous silence : ni Barrick Gold ni le gouvernement provincial n’ont informé la population.
En mai 2022, l’Assemblée Jáchal No Se Toca [« Ne touchez pas à Jáchal »] a dénoncé une nouvelle fuite. Des analyses réalisées par l’Université nationale de Cuyo ont révélé la présence de mercure, d’aluminium et de manganèse dans l’eau de la rivière Jáchal, dans des quantités bien supérieures à celles requises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Code alimentaire argentin pour la consommation humaine. L’Assemblée a affirmé que la concentration dépasse celle enregistrée lors de la fuite de 2015. Les niveaux d’arsenic sont 33 fois supérieurs à ceux établis par l’OMS, ceux de plomb 16 fois et ceux d’aluminium 485 fois.
Barrick Gold et la violation des lois
La dernière fuite, en 2022, a motivé l’intervention des rapporteurs de l’ONU. Le document, de dix pages, analyse dans le détail les antécédents de la mine Veladero : il y est rappelé qu’en 2021 la mine a produit 172 000 onces d’or, qui lui ont rapporté 382 millions de dollars, et qu’elle a déclaré posséder des réserves exploitables de trois millions d’onces d’or. La mine se situe à 370 kilomètres au nord-ouest de la ville de San Juan, dans le département d’Iglesia, en pleine Cordillère des Andes (entre 3 800 et 4 800 mètres d’altitude). Les villages les plus touchés sont Rodeo et Jáchal, respectivement de 2393 et 21 018 habitants, qui se trouvent en aval de la mine, le long de la rivière Jáchal.
La situation est assez originale puisque, comme le rappellent les experts de l’ONU, Veladero est situé dans la Réserve de biosphère San Guillermo, créée sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), et dans laquelle ne sont autorisées que les activités ayant une faible incidence environnementale. « Or l’incidence des activités industrielles d’une mine d’or à grande échelle est loin d’être faible, et les différents déversements de substances dangereuses de la mine Veladero altèrent l’équilibre des écosystèmes dans la réserve », notent les rapporteurs des Nations unies.
Le document soulève des questions tant sur l’entreprise (qui nie les fuites, comme elle l’a fait en 2015) que sur les gouvernements de la province et de l’État fédéral (à cause de leur inaction) mais aussi sur le pouvoir judiciaire : il y est rappelé que les habitants ont déposé deux plaintes au motif que du mercure avait été décelé dans le réseau de distribution d’eau aux particuliers et que le Conseil délibérant de Jáchal avait abusé de son pouvoir. « Les deux dossiers ont été classés », constatent, dubitatifs, les représentants de l’ONU.
Le rapport met en évidence la violation systématique des lois. « Selon le Code de l’industrie minière de l’Argentine, lorsqu’une entreprise commet trois infractions graves dans une mine, elle doit procéder à la cessation définitive de ses opérations (article 264, alinéa E) », rappelle le document des Nations unies, qui note que Veladero a déjà essuyé cinq déversements. Et il est précisé que Veladero a également enfreint la Loi sur les glaciers (26.639) et la Loi sur les résidus dangereux (24.501).
Le rapport prend appui tout spécialement sur la Convention de Minamata sur le mercure (ratifiée par l’Argentine en 2017 par le biais de la Loi 27.356). Il s’agit d’un traité international sur l’environnement dont le nom renvoie aux faits graves survenus dans la ville de Minamata (Japon). Au milieu du XXe siècle une entreprise pétrochimique a rejeté dans la mer des effluents liquides contenant du mercure sans traitement préalable. Durant cette période, toute la population de la ville s’est alimentée en poissons et fruits de mer contaminés, ce qui a provoqué une intoxication massive de plus de 50 000 personnes. En 1956 a été détecté le premier cas officiel de la maladie dite de « Minamata ».
Selon la Convention internationale (dans ses articles 12, 16 et 18), l’État argentin doit prendre des mesures concrètes d’évaluation des risques, d’information et de protection de la population. Or rien n’est fait à ce titre à San Juan concernant le mercure trouvé dans l’eau.
« Le gouvernement national n’a procédé à aucune évaluation ni à aucun dépistage dans le bassin de la rivière Jáchal polluée par le mercure, bien que ce cours d’eau serve à la pêche, à l’abreuvage du bétail et à l’irrigation des cultures. En outre, la nappe souterraine de la rivière Jáchal sert à la consommation humaine. Après les fuites, le gouvernement de San Juan n’a pas encouragé l’élaboration ni l’exécution de stratégies et de programmes qui permettent de recenser et protéger les populations en situation de risque », dénoncent les trois rapporteurs spéciaux.
Le document a été envoyé aux gouvernements de l’Argentine, du Canada et de la Chine, et aux entreprises Barrick Gold et Shandong Gold Mining.
« Nous ne voulons pas d’un autre Minamata »
Devant la gravité des faits, et le peu de répercussion médiatique, las organisations internationales Mining Watch Canadá et Earthworks – de concert avec l’Assemblée Jáchal No Se Toca – ont organisé une conférence de presse en décembre 2022. « Nous ne voulons pas d’un autre Minamata. Nous ne voulons pas que nos enfants souffrent des effets terribles du mercure », a déclaré Saúl Zeballos, de l’Assemblée de Jáchal. Il a rappelé que l’eau contaminée par le mercure touche, sans l’ombre d’un doute, le bétail et l’agriculture.
Jan Morrill, coordonnatrice de la campagne contre les résidus de l’organisation Earthworks, a affirmé que Barrick Gold a pour politique de nier les nuisances qu’elle produit et de ne pas fournir d’informations sur ses actes. « Il y a beaucoup de similitudes, par exemple, avec ses pratiques en République dominicaine, où elle a également pollué l’eau de la région et forcé la population à consommer de l’eau en bouteille », a-t-elle expliqué. Et elle a souligné une contradiction de l’entreprise, qui en même temps fait montre d’une politique corporatiste de manière répétée : « La société a demandé que l’on ne diffuse pas la lettre des rapporteurs avec la plainte. C’est très curieux parce que, précisément, une des choses demandées à l’entreprise est la transparence et l’accès de la population à l’information. Mais Barrick tente de faire taire les rapporteurs. »
Une particularité de l’entreprise en Argentine a également été soulignée : « Nous n’avions pas vu de mine s’ouvrir dans une réserve de biosphère et à l’intérieur d’une zone périglaciaire, endroits où il ne devrait y avoir aucune exploitation minière de grande taille. Nous déplorons que Barrick Gold impose ses activités jusque dans des zones protégées. »
Viviana Herrera, coordonnatrice du Programme Amérique latine de l’organisme MiningWatch, a indiqué que la lettre des rapporteurs a eu un impact aux États-Unis et au Canada, mais elle a attiré l’attention sur le « front médiatique » qui existe en Argentine à propos des retombées des activités minières. Elle a cité comme exemple, en plus de Barrick à San Juan, ce que réalise Pan American Silver à Chubut, avec son projet Navidad et les tentatives répétées de modifier les lois et de passer outre les plaintes des communautés locales. « Le cas argentin est assez spécial en ce qui concerne le silence des médias, et il nous préoccupe parce que cette information devrait parvenir à la population argentine pour que l’on sache ce que produisent ces entreprises », a-t-elle ajouté.
Elle a martelé que les incidences environnementales et sanitaires « sont de plus en plus importantes » et affirmé que les conséquences risquent de s’aggraver si le projet Josemaría de la société minière canadienne Lundin va de l’avant à San Juan. Elle rappelé que 60% des compagnies minières du monde se trouvent au Canada (sur un total estimé à 1 400 entreprises) parce que ce pays leur garantit l’impunité en cas de violation des droits humains et de pollution dans d’autres pays.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3645.
– Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
– Source (espagnol) : Tierra viva, 3 janvier 2023.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Voir aussi, au format papier, Le Piège de l’abondance : L’écologie populaire face au pillage de la nature en Amérique latine.
[2] La province de San Juan se situe à l’ouest de l’Argentine, à la frontière du Chili – note DIAL.