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DIAL 2772

BOLIVIE - Pour le gaz : « capitalisation », mais non « privatisation » ; L’échec de l’orthodoxie néolibérale : « Cela fait 18 ans que nous demandons des sacrifices aux Boliviens… » - Entrevue avec le président Carlos Mesa

Paolo Moiola

samedi 1er janvier 2005, mis en ligne par Dial

L’actuel président de la Bolivie, Carlos Mesa, a accédé au pouvoir le 17 octobre 2003, après la démission de Gonzalo Sánchez de Lozada (1993-97 et 2002-03) au milieu d’une crise grave alimentée par la « guerre du gaz », contre la vente de cette ressource énergétique aux USA et au Mexique. Carlos Mesa, journaliste et historien de 51 ans, a assumé la responsabilité de constituer un « gouvernement de salut » et de s’occuper d’une liste considérable de revendications sociales dans le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud. Il a été interviewé à La Paz sur sa position concernant le néolibéralisme et les perspectives de son gouvernement jusqu’en 2007 par Paolo Moiola, collaborateur de Noticias Aliadas. Texte paru dans cette revue le 9 décembre 2004.


On a parlé beaucoup de la Bolivie dans les mois passés en raison du problème du gaz. Pourriez-vous nous expliquer, en peu de mots, les termes de la question ?

La Bolivie est un producteur très important de gaz. La capitalisation, entamée en 1994, a permis d’augmenter considérablement la quantité produite. Il y a donc eu une vaste perspective économique d’exportation et de transformation du gaz. Quels sont les problèmes ? D’abord, une difficulté historique initiale, étant donné la revendication de la Bolivie pour avoir son accès propre à la mer. Les exportations sont effectuées actuellement à travers un port chilien, sans souveraineté.

Deuxièmement, la majorité du peuple bolivien ne veut pas vendre le gaz au Chili, parce que ce pays ne donnera pas une réponse favorable à la question de notre débouché sur la mer. Ce fait crée des problèmes pour l’exportation du gaz vers le Mexique et les USA. Il est plus facile d’exporter du gaz en Argentine et au Brésil, auxquels nous en vendons déjà.

Nous ne devons pas seulement parler des exportations, nous devons commencer à profiter nous-mêmes directement de notre gaz, en l’utilisant comme source énergétique interne et en remplaçant les machines à pétrole par des machines à gaz. Tout cela signifie stimuler la transformation et l’industrialisation du gaz in situ.

Depuis des années on assiste partout dans le monde à un processus de privatisation mené selon les orientations rigides du néolibéralisme. Comment cela s’est-il passé en Bolivie ?

D’abord, il faut préciser que la Bolivie n’a pas œuvré pour la privatisation dans la même ligne que le Pérou ou l’Argentine. Nous avons eu plutôt un processus de capitalisation.

Deuxièmement, le travail a lieu dans de grandes entreprises nationales : pétrole, énergie électrique, télécommunications, chemins de fer et transport aérien, avec des succès très divers. Dans le secteur aérien, cela a été une catastrophe et nous sommes arrivés au bord de l’échec. Dans les chemins de fer, le résultat a été bon au plan économique, surtout pour le chemin de fer de l’est, mais il a été négatif sous l’aspect de l’offre, car quelques lignes ont été fermées et, par conséquent, les gens ont été privés du service de transport, comme cela s’est produit pour le chemin de fer de Potosí. Il est nécessaire, par conséquent, de recaler un peu la priorité, parce que, dans ces secteurs, on ne peut pas seulement considérer l’économique, mais aussi l’aspect social. Dans le secteur des télécommunications, la capitalisation a été absolument spectaculaire. Une donnée suffit : nous avions environ 300 000 lignes téléphoniques, nous en avons aujourd’hui 1,7 million.

Vous voulez dire que la voie de la « capitalisation », choisie par la Bolivie, est un instrument néolibéral qui, contrairement aux privatisations, a fonctionné ?

En général, je dirais qu’il a fonctionné. De plus, pour être précis, nous ne pouvons pas définir la capitalisation comme un instrument néolibéral au sens strict. Un autre aspect positif est le capital que l’Etat a réuni. Avec lui nous avons pu constituer un fonds d’assistance pour toutes les personnes âgées de plus de 65 ans, qui, sur cette base, ont droit à un revenu annuel.

Indépendamment de la capitalisation, que pensez-vous de la philosophie néolibérale ?

Le néolibéralisme, pris dans sa conception orthodoxe, a échoué. Ceci peut se voir dans toute l’Amérique latine, et la Bolivie en est un exemple de plus. Nous sommes en 2004 et cela fait 18 ans que nous demandons des sacrifices aux Boliviens : les gens ne croient plus dans ce modèle économique. Il s’agit maintenant de redonner à l’Etat son rôle de gestionnaire de l’économie. Non seulement pour favoriser une plus grande productivité, mais aussi pour combattre la pauvreté et développer l’éducation.

Pourriez-vous dire quelque chose sur les relations internationales de la Bolivie, en particulier avec les USA ?

Les relations avec les USA sont très importantes pour la Bolivie, comme pour tous les pays latino-américains, dès lors que nous sommes dans leur aire d’influence. Pour les USA, il s’agit fondamentalement de la question de l’éradication des plantations de coca. C’est un sujet certainement important, mais pour nous c’est une perspective qui a des coûts économiques et sociaux très importants, parce que beaucoup de familles boliviennes ont leur survie quotidienne liée à la production de coca. Les USA nous soutiennent dans le secteur économique, en créant un fort lien de dépendance, mais la problématique de la coca est beaucoup plus complexe.

En retournant à la politique intérieure, quelles sont vos relations avec Evo Morales et Felipe Quispe ?

Ce sont deux relations absolument différentes du point de vue politique. Felipe Quispe (dirigeant paysan connu comme le mallku, ou condor en aymara) est quelqu’un qui représente un groupe de personnes très précis et identifiable qui provient de la zone de l’altiplano, qui a des positions très radicales et peu flexibles. Je crois que le maximalisme est sa logique et, par conséquent, je ne vois pas comment on peut négocier avec lui dans un contexte démocratique.

Evo Morales (délégué et dirigeant cocalero) est une personne différente. Il a une perspective électorale très large, il veut arriver au gouvernement et à cause de cela il s’est inséré dans le débat démocratique. Ces derniers mois, il a contribué à la gestion du gouvernement, avec une attitude rationnelle et raisonnable. Il est vrai que dernièrement il me semble avoir pris des positions très critiques en ce qui concerne la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Il a des positions très proches de la nationalisation, et cela a créé une série de problèmes dans les relations internationales, avec la coopération, avec l’industrie pétrolière avec laquelle des contrats ont été signés. Toutefois, sur cette question, Evo Morales a maintenu une position légitime à l’intérieur d’un débat démocratique.

Vous semblez être optimiste. Pensez-vous arriver à la fin de votre mandat, le 6 août 2007 ?

C’est ce que je me propose. Il faudra voir si le peuple bolivien continuera à soutenir un gouvernement qui a cherché à rendre sa gestion transparente. Nous affronterons sûrement des moments difficiles et la tension sociale pourrait un peu augmenter. Je crois, toutefois, que le peuple comprend qu’on ne peut pas tout demander à un gouvernement qui est né d’une crise aussi grave.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2772.
 Traduction Dial.

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