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DIAL 2776
BRÉSIL - Des groupes armés sont toujours une option pour les enfants et adolescents
dimanche 16 janvier 2005, mis en ligne par
Entretien de Rogéria Araujo avec Luke Thomas Dowdney, chercheur et coordinateur exécutif du projet lié à Viva Rio « Enfants et jeunes en violence armée organisée » (Coav selon son sigle anglais), paru dans ADITAL(Brésil).
Le chercheur et coordinateur exécutif du projet lié à Viva Rio « Enfants et jeunes en violence armée organisée » (Coav selon son sigle anglais), Luke Thomas Dowdney, parle des graves conséquences du trafic mafieux à Rio de Janeiro et de la participation des moins de 18 ans dans les diverses bandes qui peuplent les milliers de favelas de la cité carioca.
Dans son travail de recherche lancé l’an passé, L. Th. Dowdney compare la situation de Rio de Janeiro à celle de la guerre proprement dite. Cette vaste étude parle de l’utilisation croissante d’enfants et d’adolescents dans les organisations durant les années 90. En 2004, la situation n’est pas très différente. Finalement, chômage, marginalisation, mauvaise préparation de la police, entre autres choses, sont des problèmes de base qui poussent les enfants et les adolescents à rentrer en contact toujours plus tôt avec ces groupes.
On estime que 50% des personnes qui composent les bandes ont moins de 18 ans . L’enrôlement peut en outre commencer très tôt, vers 10 ou 11 ans.
Votre recherche publiée l’an passé met en relief l’utilisation croissante d’enfants et d’adolescents combattants dans le trafic mafieux de Rio de Janeiro. Quelle est la situation ?
LTD – Je crois qu’elle a changé à chaque décennie. Dans les année 70, le faible niveau d’organisation n’a pas été très porteur. Les bandes n’étaient pas encore autant organisées. L’arrivée d’armes et de cocaïne dans les années 80 a beaucoup changé le trafic mafieux, le rendant plus violent. Les années 90 furent vraiment l’époque où les enfants entrèrent dans ces bandes. Commencé à la fin des années 80, le fait s’est renforcé dans les années 90, l’âge des enfants diminuant toujours davantage. Je voudrais préciser la question des jeunes. Pour la Convention des droits des enfants, toute personne jusqu’à 18 ans est considérée comme enfant, mais nous savons bien qu’une personne de 16 ans ne se considère pas comme un enfant. Comme on le définit ainsi légalement, je pense qu’on a peur du mot jeune et on finit par utiliser le mot enfant pour signifier une victime qui doit être aidée.
Mais revenons à la question. Dans les année 90, jeunes et enfants entrèrent nombreux dans les bandes de violence armée. Il y eut aussi davantage de guerres de territoires dans les favelas de la cité à l’arrivée des nouvelles bandes. Dans les dernières années, j’ai vu divers changements que je juge problématiques.
Premièrement, il y a moins d’organisation au niveau de la favela ; c’est plus anarchique entre les membres du groupe. Des règles existent, mais c’est dans un espace non structuré, spécialement pour les mineurs. Vous avez un jeune qui, un jour, est vapor [1], le lendemain guetteur et un autre jour soldat. On nous dit aussi que les salaires ont diminué. Nous avons ainsi, à l’intérieur du trafic, des personnes qui gagnaient plus et qui aujourd’hui gagnent moins. Cette question et la désorganisation engendrent davantage de problèmes à l’intérieur des bandes elles-mêmes.
Et comment les enfant et adolescents s’insèrent-ils dans ce contexte ?
LTD – Le problème est justement là. Ils entrent dans un espace qui était déjà violent, mais qui devient maintenant encore plus violent et cruel. En plus de s’opposer à la police et aux bandes rivales, ils s’opposent entre eux, ils ont à tuer éventuellement celui qui est de leur côté. C’est une folie, c’est écrasant. L’âge d’entrée des jeunes continue à baisser.
Quel est la tranche d’âge des enfants ou adolescents qui s’enrôlent dans ces bandes ?
LTD – Je ne peux pas dire qu’elle est plus basse aujourd’hui que lorsqu’on a découvert cette situation dans les années 90. Je crois qu’il n’est pas rare qu’un jeune de 13 ans porte des armes. Vous le voyez en marchant dans la favela. Mais ce qui est beaucoup plus probable, c’est que le jeune entre dans ce climat à 10,11,12 ans, travaillant de diverses manières en appui des trafiquants, en transportant des munitions, des armes, en étant guetteur, en transportant de la drogue d’un point à un autre. Quant il est plus « formé », à 12, 13 et 14, il commence réellement à faire partie de la bande. A 15 ans, il est au point. Quand ils arrivent à 15 ans, ils sont tous armés. Personne à 15 ans ne travaille au trafic sans porter des armes. Je crois que le pourcentage des mineurs de 18 ans qui portent des armes est de 50%. Mais je n’ai pas fait d’enquête récente et je ne peux pas dire si ce chiffre est supérieur ou inférieur au précédent.
Dans ce contexte si problématique et chaotique, quelles sont les difficultés que les autorités et les organisations ont pour s’approcher de ces personnes ?
LTD – Ces jeunes ont principalement deux choses : la manière dont la police se comporte dans la communauté rend difficile son propre travail ; elle rend aussi difficile pour le gouvernement de l’État d’être vraiment considéré comme protecteur et non comme envahisseur. La situation actuelle de la police officielle à Rio de Janeiro explique beaucoup de choses. Envahir, occuper les favelas. Ce sont des termes de guerre, non les mots d’une police dans une cité qui n’est pas en guerre. Nous avons une manière hautement militarisée de faire la police dans les favelas de Rio.
Les enfants grandissent dans cette situation. En voyant comment la police se comporte quand elle entre dans la favela en faisant feu. J’ai lu ce matin dans O Globo qu’un enfant de 6 ans est mort d’une balle perdue parce que la police est entrée en tirant. Il faut comprendre les effets psychologiques de cela dans la communauté . Si vous êtes traité de cette manière, vous n’allez pas vous confier à la police, vous allez vous confier au trafic. Il faut que le gouvernement soit sérieux et qu’il obtienne la confiance pour qu’il puisse offrir des projets sociaux auxquels les jeunes puissent croire. Si j’arrive là et que je dise que je vais faire un projet d’école ou d’autre chose, je vais être vu comme un policier. Pourquoi ? parce que la police représente le gouvernement. La manière dont se comporte la police se répercute sur toute la communauté. Ceci rend très difficile la question du « comment travailler ? »
Quand je m’entretiens avec un jeune et que je parle de citoyenneté, je m’entretiens avec un jeune qui n’est pas traité comme un citoyen. Ils ne sont pas protégés. Alors est-ce qu’il vont s’intéresser à se comporter en citoyen ? Qui dans la communauté offre des règles qu’ils puissent entendre, qui puissent, d’une certaine manière, les protéger ? Ce sont les trafiquants. Alors je finis par faire confiance à la personne avec qui j’ai grandi ou qui est l’ami de mon frère.
Mais quelle est la principale motivation pour que ces personnes choisissent le trafic ?
LTD – Je mène actuellement une enquête sur les jeunes en groupes armés hors situation de guerre dans quelques pays du monde. La majorité des jeunes interrogés ont dit qu ‘ils étaient entrés dans les groupes armés pour une raison : la protection. « Je me sens protégé », voilà ce qu’ils répondent. L’enquête se fait au Salvador, en Colombie, aux États Unis (Chicago), au Nigéria, en Afrique du Sud, aux Philippines, en Equateur. Eh bien, le facteur protection a été décisif. Si on voit le trafic comme la pire option pour le jeune, on va perdre la bataille. Nous n’avons pas d’arguments. Et la répression ne marche pas.
Comment évaluer le travail fait par les organismes ou entités sociales dans cette zone ? Y a-t-il des résultats ?
LTD – Il y en a, mais la racine du problème est ailleurs. Ces problèmes sont bien plus grands que l’enfant lui-même qui va en subir les conséquences. Pour un jeune que vous réussissez à tirer de là ou à l’empêcher d’entrer, il y aura 100 autres pour entrer. Marginalisation, corruption et violence de la part de la police, chômage, le fait que des drogues et des armes arrivent dans les favelas – tous les savent : ni drogues ni armes ne sont fabriquées dans les favelas - tout cela constitue donc une série de facteurs à affronter .
Tout ce panorama est bien négatif. Quelle perspective voyez-vous à la violence armée à Rio de Janeiro ?
LTD – Je demeure optimiste. Je suis ici depuis près de 10 ans. Je vois un changement dans le pays au cours de cette décennie. La société montre plus d’intérêt, elle est plus mobilisée. Je crois évidemment que cela ne va pas se résoudre en 1 ou 2 ans. Ça va durer 20, 30, 50 ans, je ne sais pas…La bataille où on entre aujourd’hui est une longue bataille. Mais il y aura des résultats. Je travaille à un projet, la Lutte pour la Paix, qui a trois jeunes dans l’équipe de coordination et qui sont salariés. Il y a 4 ans, ces jeunes étaient ce que la société appelle des bandits… Aujourd’hui, ils ont franchi un pas, ils travaillent. Ils ne veulent rien savoir du crime. C’est ça qui m’empêche d’être pessimiste. Si ça a été possible, c’est possible de changer la situation. Il suffit qu’ils aient une autre possibilité.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2776.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : ADITAL
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Enfant chargé de distribuer la drogue aux acheteurs.