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DIAL 2761

AMÉRIQUE LATINE - La présence militaire des États-Unis

Maria Luisa Mendonça

mardi 16 novembre 2004, mis en ligne par Dial

Le rôle joué par les Etats-Unis en Amérique latine au nom de la défense de leurs intérêts sur le continent latino-américain n’est pas nouveau. La fin de la « guerre froide » et de la « menace communiste » n’a pas entraîné une mise à distance. Les justifications évoquées depuis lors ont été celles de la lutte contre la drogue et, plus récemment, de la lutte antiterroriste. Ainsi, les Etats-Unis disposent aujourd’hui d’un nombre estimable de bases militaires réparties en différents lieux de l’Amérique latine. Des visées économiques liées à la présence d’importantes réserves d’eau, de pétrole, de gaz et une biodiversité d’une valeur instimable sont inséparables des visées militaires.
Article de Maria Luisa Mendonça, paru dans
ALAI, 20 juillet 2004.


Renforcer la domination économique et militaire sur l’Amérique latine a été l’une des priorités du gouvernement des Etats-Unis. Le processus croissant de militarisation du continent a pour objectif d’assurer le contrôle des ressources naturelles et de maintenir la dépendance économique des pays latino-américains.

Après les attentats de New York et de Washington, le 11 septembre 2001, le gouvernement de Georges Bush a accéléré son escalade militaire dans le monde entier. En Amérique latine, la stratégie des Etats-Unis implique l’installation de nouvelles bases militaires et le renforcement des bases déjà existantes, la formation des militaires latino-américains, les ventes d’armes, l’installation de systèmes de surveillance et d’espionnage et l’appui à de mégaprojets énergétiques et d’infrastructure pour l’exploitation des ressources naturelles. Cette politique vise à défendre les intérêts des grandes entreprises et à s’assurer principalement du contrôle du pétrole, de l’eau et de la biodiversité.

En Amérique latine, les Etats-Unis intensifient l’installation des bases militaires comme c’est le cas de Manta (Equateur), Tres Esquinas y Leticia (Colombie), Iquitos (Pérou), Reina Beatrix (Aruba), Hato (Curaçao) et Comalapa (El Salvador). Ces bases complètent l’encerclement du continent par les Etats-Unis, qui inclut également des bases militaires à Porto Rico (Vieques), Cuba (Guantanamo) et Honduras (Soto de Cano). Les Etats-Unis veulent construire 9 bases militaires en Argentine (Terre de Feu) et contrôler également la base d’Alcántara au Brésil.

Le gouvernement de Georges Bush utilise comme prétexte la nécessité de « combattre le terrorisme » pour justifier ses interventions sur le continent. En avril de cette année, le général James Hill, responsable du Commandement Sud (secteur de l’armée des Etats-Unis qui agit en Amérique latine), a demandé au Congrès d’augmenter le poste budgétaire de 800 millions de dollars pour ses activités dans 19 pays d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale et dans 12 pays des Caraïbes. Le général Hill classe comme « terroristes traditionnels » des groupes guérilleros et des trafiquants de drogue en Colombie, et comme
« groupes émergents » ceux qu’il considère comme des « populistes radicaux qui profitent de la frustration profonde due à l’échec de réformes démocratiques ». Dans cette catégorie seraient inclus le président du Venezuela, Hugo Chávez et le député bolivien Evo Morales.
En 2003, le budget militaire des Etats-Unis a atteint 417 milliards de dollars, ce qui représente 47 % des dépenses militaires mondiales. Ce chiffre manifeste une augmentation de 11 % par rapport à 2002.
Le comportement de l’administration de G. Bush dans les institutions multilatérales reflète sa politique d’escalade militaire. Le gouvernement de G. Bush a refusé la Convention sur les armes biologiques et, en même temps, a fait des essais illégaux avec ces armes, sans compter le refus de laisser des inspecteurs accéder aux laboratoires. Les Etats-Unis ont refusé également le Traité sur les missiles antibalistiques, la Convention de l’ONU sur la torture (pour éviter des enquêtes sur les tortures pratiquées sur les prisonniers dans la base de Guantánamo), et il entend violer le Traité contre les essais nucléaires. Le processus de militarisation dans le continent a engendré l’augmentation des violations des droits humains et de la répression des mouvements sociaux, le déplacement et la migration forcée de millions de personnes, la destruction de l’environnement, la perte de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples.

La base d’Alcántara

En 2003, le gouvernement brésilien a décidé de suspendre le vote de la Chambre des députés sur l’accord qui permettait l’utilisation de la base d’Alcántara par les Etats-Unis. Pendant l’administration de Fernando Henrique Cardoso, le projet avait été approuvé par la Commission des sciences et de la technologie, et refusé par la Commission des relations extérieures. Après l’élection de Luiz Inácio Lula da Silva, le projet est resté gelé à la Commission de la constitution et de la justice, ce qui signifie la suspension de son passage au Congrès national.
Cette décision a été le résultat d’une grande mobilisation au niveau national et continental, impulsée par la campagne contre l’ALCA (Accord de libre commerce des Amériques), et de la résistance des communautés quilombos [1] à Alcántara. Le plébiscite populaire sur le traité comprenait une question sur le contrôle de la base d’Alcántara par les Etats-Unis, ce qui a été refusé par plus de 10 millions de votants.

L’accord sur la base d’Alcántara comprenait diverses obligations pour le Brésil et aucune pour les Etats-Unis, sans compter l’atteinte à la souveraineté nationale sous différents aspects. Par exemple, les Etats-Unis pourraient délimiter des surfaces restreintes, auxquelles seuls auraient librement accès les officiers nord-américains ; le gouvernement brésilien se verrait interdire la vérification du contenu des matériels reçus ou envoyés des Etats-Unis, et en cas d’accident, le gouvernement brésilien ne pourrait pas inspecter le matériel recueilli.

L’accord aurait permis l’usage commercial des installations du Centre de lancement d’Alcántara et son exploitation prioritaire par le secteur privé. Ceci contredit l’argument utilisé au départ pour l’expropriation de ce terrain - et l’expulsion de dizaines de communautés quilombos -, qui faisait appel au développement de la technologie spatiale brésilienne, et donc à l’intérêt public.

La région d’Alcántara est considérée comme une des portes d’entrée vers l’Amazonie brésilienne, habitée par des quilombos, communautés noires traditionnelles ayant leurs cultures, leurs modes de production et leurs règles internes particulières. L’importance historique de ces communautés est telle que la constitution brésilienne a reconnu leur droit à leur territoire. Cependant, l’installation du Centre de lancement d’Alcántara dans les années 70 par le régime militaire a provoqué l’expulsion de leurs terres de dizaines de communautés quilombos. Dans le cas où la base d’Alcántara reviendrait à être utilisée, le déplacement de la majorité de ses communautés est prévu.

Formation militaire

La stratégie du gouvernement des Etats-Unis inclut la formation des militaires latino-américains, comme dans le cas de l’Opération Cabañas, réalisée en Argentine en 2001, avec la participation de 1 500 officiers des Etats-Unis, Chili, Brésil, Bolivie, Equateur, Paraguay, Pérou et Uruguay.

Selon des documents du gouvernement argentin, l’objectif de cette formation serait de créer un « commandement militaire unifié » pour combattre « le terrorisme en Colombie, en plus du champ de bataille composé par des civils, des organisations non gouvernementales et des agresseurs potentiels ». La presse des Etats-Unis collabore à ce processus. Par exemple, un article du 23 octobre 2002, publié dans le journal Miami Herald, défend la nécessité de créer une force militaire sud-américaine pour lutter contre la guérilla en Colombie et pour « combattre des menaces internes analogues dans le futur ».

L’autorisation pour l’entrée des troupes états-uniennes en Amérique latine implique des garanties d’immunité diplomatique, ce qui signifie que des soldats nord-américains suspectés de crimes et de violations de droits humains ne pourraient pas être jugés dans les pays latino-américains.

En 2003, une grande mobilisation en Argentine a empêché la réalisation de manœuvres d’entraînement militaire appelés « Aguilas III ». Cependant, ces manœuvres seront réalisées au Pérou, sous commandement des Etats-Unis et avec la participation de militaires latino-américains.

Une des régions prioritaires pour la réalisation de ce commandement est la Triple Frontière entre le Brésil, le Paraguay et l’Argentine. Selon le périodique Misiones On Line, en décembre 2002, le coordinateur de la campagne antiterroriste du département d’Etat, J. Cofer Black, a organisé une réunion à Puerto Iguazú avec des représentants des gouvernements du Brésil, Paraguay et Argentine, et il a fait savoir que « les Etats-Unis destineraient 1 million de dollars à la Triple Frontière, pour enquêter sur les liens avec terrorisme ».

Dans une entrevue avec la revue Carta Capital, l’ancien chef du FBI au Brésil, Carlos Alberto Costa, a reconnu que l’existence d’activités terroristes à la Triple Frontière n’a jamais été prouvée. « Nous avons fait des recherches exhaustives, nous, la CIA, les services secrets des pays, et nous ne sommes pas parvenus à prouver l’existence de cellules terroristes ici. » Cependant, des organisations locales dénoncent la présence d’agents nord-américains qui patrouillent dans des lieux stratégiques comme les fleuves de la région.

Ceci doit être la raison principale de la présence des Etats-Unis, car à la Triple Frontière est localisé l’Acuífero Guaraní [2], considéré comme la plus grande réserve d’eau douce du monde, avec 1,2 million de kilomètres carrés. Récemment, la Banque mondiale et l’Organisation des Etats américains (OEA) ont créé le « Projet de protection environnementale et de gestion soutenable de l’Acuífero Guaraní » avec un budget de 27 millions de dollars. Le principal objectif du projet, qui interdit la participation des universités et qui devrait être exécuté par des entreprises étrangères, est d’étudier les modalités d’utilisation de l’eau et du potentiel énergétique de la région.
La présence militaire en ce lieu a été dénoncée par des organisations sociales et de droits humains. Les interventions militaires récentes des Etats-Unis en Irak et Afganistan, de même que leurs tentatives d’exercer une influence politique en Bolivie et au Venezuela, ont aussi pour objectif le contrôle des ressources naturelles comme le pétrole et le gaz naturel.

Une autre forme de contrôle de la part des Etats-Unis est l’installation de mécanismes comme le Système de surveillance de l’Amazonie (SIVAM), un projet de 1,4 milliard de dollars, réalisé par l’entreprise nord-américaine Raytheon, avec la capacité de gérer 5,5 millions de kilomètres carrés.

Cette escalade militaire renforce les industries d’armement nord-américaines. Par exemple, la structure de la base de Manta, avec sa capacité de contrôler l’espace aérien sur un rayon de 400 km2, est sous la responsabilité de l’entreprise DynCorp, accusée d’être en lien avec la CIA. La base de Manta sera équipée de grands Jatos E-3 Awacs, avec F-16 et F-15 Eagle, pour contrôler la région amazonienne, le Canal de Panama et l’Amérique centrale. D’autres industries d’armement et de technologie militaire, comme Raytheon et Northop, ont augmenté leurs profits de 50 % l’an passé.

D’autre part, les Etats-Unis continuent d’entraîner des militaires latino-américains dans l’Ecole des Amériques et veulent créer « l’Académie internationale pour l’accomplissement de la loi » au Costa Rica, en vue d’influencer les législations et les forces policières des pays de la région.
En 2003, l’ancien chef du FBI au Brésil, Carlos Alberto Costa, a révélé l’influence des services secrets des Etats-Unis dans le pays. « Nos agences donnent des millions de dollars par an à la police fédérale, depuis des années, pour des opérations vitales. L’année passée, la DEA (Drug Enforcement Administration) a donné quelque 5 millions de dollars à la NAS (division des narcotiques du Département d’Etat), et a donné quelque 3 millions à d’autres agences. Les Etats-Unis ont acheté la police fédérale. La vérité est celle-ci : leur police fédérale [3] est nôtre, elle travaille pour nous. »

Le Plan Colombie et le Plan Puebla-Panama

Les Etats-Unis renforcent également le Plan Colombie, un projet guerrier de 1,3 milliard de dollars, une fois que le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Colin Powel, s’est engagé pour un montant de 731 millions de dollars pour financer la participation de l’Equateur, Bolivie et Pérou dans les opérations militaires. Les principaux foyers de violence en Colombie, qui provoquent l’expulsion de la population indigène et paysanne de ses terres, coïncident avec les régions les plus riches en pétrole et en biodiversité.

Le Plan Colombie facilite la réalisation de mégaprojets hydroélectriques, pétrolifères et miniers, patronnés par la Banque mondiale et par des entreprises multinationales. Plus d’un million d’hectares de bois en Colombie ont déjà été contaminés par les fumigations à base d’agents chimiques, et le nombre de déplacés atteint les 3 millions de personnes. Au cours des vingt dernières années, le nombre de morts a atteint le chiffre de 200 000, dont 5 000 dirigeants de syndicats et de mouvements sociaux.

La stratégie des Etats-Unis en Amérique latine comporte des projets d’infrastructures, comme le Plan Puebla-Panama, qui prévoit la construction d’un canal terrestre, qui unirait le sud du Mexique à l’Amérique centrale, en passant par le Guatemala, le Belize, El Salvador, le Honduras, le Nicaragua, Costa Rica et Panama. Cette région est riche en biodiversité et ressources naturelles, ce qui va bien au-delà du projet qui consiste à utiliser une main-d’œuvre bon marché et non syndiquée.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2761.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI, 20 juillet 2004.

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[1Communautés noires, formées de descendants d’esclaves.

[2Nappe aquifère Guaraní.

[3Celle du Brésil.

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