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DIAL 2762

AMÉRIQUE LATINE - Les traités de libre-échange : main basse sur la terre et le ciel

mardi 16 novembre 2004, par Dial

Devant les difficultés de réaliser l’Accord de libre-échange qui couvrirait l’ensemble de l’Amérique, les Etats-Unis, sans renoncer à ce projet, mettent en œuvre une politique de traités de libre-échange multiples avec les pays d’Amérique latine. Les traités signés avec le Chili et les pays d’Amérique centrale sont significatifs de la politique mise en œuvre. Les avantages des multinationales y sont défendus systématiquement. L’article ci-dessous résume une étude faite à ce sujet par une ONG environnementale, GRAIN. Il a été publié par ALAI, le 28 octobre 2004.


Contrairement à une croyance répandue, les formules d’intégration que promeut la Maison Blanche ne concernent pas exclusivement ni primordialement les questions commerciales. L’Accord de libre-échange des Amériques (ALCA, selon le sigle castillan, ou ZLEA selon le sigle français), qui n’a pas été abandonné, et les traités de libre-échange doivent être compris comme des instruments géopolitiques pour renforcer un colonialisme de grande ampleur sur les pays latino-américains, dans la mesure où ils recouvrent un champ qui va des aspects strictement économiques jusqu’à la législation du travail, la gestion de l’Etat, la propriété intellectuelle, l’environnement et les ressources naturelles, les connaissances, les cultures vernaculaires et, bien que cela paraisse incroyable, même les relations des êtres humains avec la transcendance.

De même, et à l’encontre d’une autre opinion répandue, les traités de libre-échange que l’administration Bush vient de promouvoir au titre de contributions à la modernisation et au progrès, ne résultent pas spécialement de négociations, mais sont des textes imposés, préalablement présentés par Washington à l’Organisation mondiale du commerce, l’Accord de libre-échange des Amériques et l’Accord mondial d’investissement.

Une étude de grande ampleur intitulée Trataditis aguditis : mitos y consecuencias de los TLCs con Estados Unidos (La maladie aigue des traités. Mythes et conséquences des traités de libre-échange avec les Etats-Unis), élaboré par GRAIN (Genetics Ressources Action International), une ONG environnementale, à partir d’une étude des traités de libre-échange signés par la puissance mondiale avec le Chili et avec l’Amérique centrale, met à nu le caractère totalisant et totalitaire des accords impulsés par Washington et Wall Street. Le texte complet a été publié par America latina en movimiento (n° 385-386, juillet 2004). Le texte présent en est un résumé.

Les traités de libre-échange avec les Etats-Unis sont, en réalité, des instruments qui sont au-dessus des constitutions, qui accordent des garanties et des privilèges au grand capital états-unien et qui restreignent de manière drastique les libertés citoyennes, les droits humains et la souveraineté des peuples et des Etats.

Une série de privilèges

Voyons quelques-unes de ces normes :

 Obligation pour le gouvernement et le Parlement de chaque pays de consulter et de prendre en compte les observations des chefs d’entreprise et du gouvernement des Etats-Unis sur toute initiative légale ou politique future qui peut affecter leurs intérêts.

 Une définition de l’investissement extraordinairement large qui inclut la spéculation, les permis de propriété intellectuelle et des aspects aussi vagues que les profits espérés.

 Une définition également large de l’investissement, incluant ceux qui ont seulement déclaré leur intention d’investir.

 L’ouverture de tous les secteurs de l’économie à l’intervention des capitaux étrangers, incluant certains secteurs considérés essentiels pour le bien-être de la population (comme la santé et l’éducation) ou relatifs au fondement de la souveraineté et de la sécurité nationale, par exemple les communications, l’électricité, l’eau, les minéraux, les prisons et bien d’autres.

 Les traités de libre-échange sont prévus pour venir à bout des droits des peuples indigènes sur leur territoire [1].

 Le renoncement de l’Etat à sa capacité à contrôler la concentration économique et les monopoles.

 La possibilité d’obliger les pays à payer des millions aux entreprises états-uniennes quand celles-ci ne gagnent pas autant que ce qu’elles espéraient.

 L’assurance qu’une entreprise états-unienne ne pourra pas être expropriée et que, si l’on en vient à le faire, il faudra indemniser les investisseurs nord-américains et leur donner des compensations pour les profits non réalisés, disposition qui rendrait impossibles, entre autres choses, des processus comme la réforme agraire, la restauration de l’environnement, la récupération des rivières, la récupération des bassins, etc.

 L’obligation pour la police de protéger les investissements étrangers, y compris contre des grèves et des protestations.

 Des normes qui assurent que les entreprises états-uniennes pourront s’approprier des ressources qui sont des composantes de notre environnement et des activités qui jusqu’à présent ne sont pas considérées comme des marchandises.

Les clauses incluent :

a) la privatisation des mers [eaux territoriales], rivières et lacs, de l’éducation, de la santé, des parcs nationaux, des communications, des transports, et de tout ce que les avocats des entreprises états-uniennes s’ingénient à y inclure ;

b) permettre que les entreprises états-uniennes prennent le contrôle de la presse, la télévision et la radio ;

c) la privatisation et l’attribution aux entreprises transnationales de diverses fonctions gouvernementales, comme la réglementation en matière d’environnement et son contrôle, les prisons et même certaines fonctions militaires, comme cela s’est fait en Colombie et en Equateur dans le contexte du Plan Patriote ;

d) la possibilité de privatiser tout ce que l’on en est venu à appeler « service », étant donné qu’on ne définit pas ce qu’est un service ou qu’on le fait de manière extrêmement large. A travers l’expression « services environnementaux », par exemple, commence à être possible la privatisation de l’atmosphère, du climat, des fonctions écologiques qui assurent la régularité environnementale et l’ensemble de la biodiversité.

La propriété intellectuelle

Les traités de libre-échange comprennent un chapitre sur la propriété intellectuelle qui accorde des garanties légales rendant possible :

a) de s’approprier et monopoliser des êtres vivants ou parties d’entre eux sans exception (y compris des plantes, animaux, gènes et tissus humains). La libre reproduction des plantes et des animaux et l’échange libre des semences seront transformés en délit ;

b) de s’approprier et empêcher la circulation ou l’usage des connaissances et informations, y compris les connaissances traditionnelles et les connaissances scientifiques ;

c) de monopoliser la production et la vente de médicaments ; d’empêcher que d’autres fabriquent des médicaments bon marché y compris pour des maladies très importantes socialement comme la malaria, la tuberculose ou le sida ;

d) de s’approprier des créations artistiques et culturelles, y compris toutes espèces de musique, littérature, danses, dessins, et de ne permettre leur usage, expression ou circulation que moyennant un paiement ;

e) d’empêcher l’activité créatrice et l’activité informatique quand elles mettent en danger des monopoles déterminés ;

f) de s’approprier et empêcher le libre usage des prières, icônes, symboles et rituels [2] ;

g) d’empêcher les photocopies, y compris à des fins d’étude ;

h) de punir avec des amendes et de la prison ceux qui ne respectent pas ou qui seraient accusés de ne pas respecter les réglementations antérieurement décrites ;

i) de mettre en œuvre ce qui précède sans avoir besoin d’en fournir des preuves : l’accusé doit démontrer son innocence ;

j) de poursuivre toute personne dont on suppose qu’elle a seulement l’intention de ne pas respecter certaines des normes antérieures ;

k) les professeurs, étudiants, chercheurs, écoles, universités, bibliothèques publiques ou archives nationales ne sont pas dispensés des sanctions antérieures. (...)

Il y a aussi des clauses obligeant les pays à accepter que de telles exigences soient, en cas de conflits, réglées en dehors de la juridiction du pays, par des tribunaux supra-nationaux, privés et secrets [3].


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2762.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI, le 28 octobre 2004.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Par exemple, le cas de l’entreprise minière Glamis Gold contre l’Etat de Californie, où, face à la demande de restitution du site sacré d’une communauté indigène, l’entreprise a eu gain de cause en argumentant qu’il s’agirait d’une expropriation de son investissement.

[2C’est pour faire face à de telles menaces prévisibles que, par exemple, le Panama a adopté une loi en juin 2002 pour protéger les droits collectifs des peuples indigènes parmi lesquels on trouve aussi bien les vêtements traditionnels liés à l’appartenance à un village que des objets relevant du culte.

[3Par exemple : le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) – ISCID en anglais et CIADI en espagnol – qui fonctionne comme une sorte de juridiction composée par des tribunaux arbitraux ; ceux-ci formés par des « experts » décident sur les controverses entre les sociétés transnationales et les Etats. Cet organisme est membre de la Banque mondiale et présidé par le président de la Banque mondiale lui-même.

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