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DIAL 3706

MEXIQUE - « Sans justice, il n’y aura pas de paix »

Diocèse de San Cristóbal de Las Casas

vendredi 28 juin 2024, mis en ligne par Dial

Dans le numéro de janvier, DIAL avait publié un article d’Ángeles Mariscal, de Chiapas paralelo, sur les morts et déplacés causés par les luttes entre cartels pour le contrôle de zones dans l’État du Chiapas, notamment dans l’ejido de Nueva Morelia, sur la commune de Chicomuselo. Ce communiqué du diocèse de San Cristóbal de Las Casas, diffusé le 17 mai 2024, dénonce l’assassinat, le 12 mai 2024, de onze personnes de la communauté de Nueva Morelia par des membres des cartels et l’inaction des différents niveaux de gouvernement.


17 mai 2024.

Aux trois niveaux de gouvernement [1]
Aux organisations de droits humains nationales et internationales
Aux réseaux de communication nationaux et internationaux libres et alternatifs
Aux instances nationales de dialogue pour la paix
Au peuple croyant
Aux hommes et aux femmes de bonne volonté
À la société en général

Nos morts ont un visage et un nom. Leur cœur continue de battre dans le ventre de la terre-mère.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux.
(Mt 5, 1-8)

Nous rendons hommage à nos frères et sœurs assassinés et au peuple croyant qui chemine sur ces terres sacrées dévastées par la violence générée par les luttes pour le contrôle du territoire et l’intérêt latent pour la poursuite de l’exploitation minière par des groupes criminels qui ont opéré en toute impunité, malgré les dénonciations constantes, les communiqués et les demandes de paix, et qui continuent de provoquer des morts, des disparitions et des déplacements forcés, menacent et harcèlent la société civile, victime de ce système de gouvernement défaillant qui a laissé ces groupes criminels avancer et se positionner dans les villages.

Aujourd’hui, notre Église diocésaine et notre terre sont à nouveau tachées par le sang de nos martyrs, des femmes et des hommes qui résistent face à la violence, qui cherchent et construisent des chemins de paix et de justice par des voies pacifiques.

Le 12 mai, nos frères et sœurs de la communauté de Nueva Morelia, dans la commune de Chicomuselo, qui résistaient face à la violence des groupes criminels qui se disputent le secteur, ont été cruellement et impitoyablement assassinés à leurs domiciles. Des membres du crime organisé sont entrés dans la communauté de Nueva Morelia autour de 5 h 30 de l’après-midi et sont allés directement chez les habitants qui se trouvaient encore présentes dans la communauté. Ils ont assassiné 11 personnes, 6 hommes et 5 femmes, dont 4 se trouvaient dans des maisons différentes et 7 autres, membres d’une même famille, étaient réunis chez eux après la célébration dominicale. Après les avoir tués, ils ont mis le feu a la maison, si bien que le corps de deux de nos sœurs ont été totalement calcinés.

Nous demandons une minute de silence en mémoire d’Alfonso, 73 ans ; Teresita de Jesús, 28 ans ; Dolores, 56 ans ; Rosalinda, 57 ans ; Yojari Belén, 18 ans ; Ignacio, 52 ans ; Isidra, 54 ans ; Urbano, 42 ans ; Brandi, 15 ans ; Joel, 49 ans et Azael, 31 ans.

Ces femmes et ces hommes se refusaient à quitter leurs foyers malgré la violence, les menaces et le harcèlement des groupes criminels qui les pressaient à rejoindre leurs rangs. Leur détermination à rester libres, leur résistance au nom de la vie, la paix et la justice et contre tous ces signes de mort qui lacèrent la vie et la dignité humaine, la même résistance pacifique qui a conduit Jésus jusqu’à la mort sur la croix, a amené nos frères et sœurs à verser leur sang pour la vie de leur peuple.

Nos populations continuent de souffrir : nous sommes au beau milieu d’une guerre sans fin et on utilise notre peuple comme chair à canon et comme barrière humaine. De nombreuses communautés se sont vidées à cause des menaces, des assassinats et des disparitions. Ils nous ont instillé la peur et la terreur, en s’emparant de nos terres et notre territoire sans que l’État n’intervienne pour garantir la vie et la sécurité des villages.

Au milieu de la souffrance et du désespoir face à la situation qui vivent nos communautés et nos villages, Dieu entend nos sanglots et nous fait voir son visage dans celui de tant de frères et sœurs qui subissent la violence déclenchée par les groupes criminels, face à un État complice qui cherche à fermer les yeux et les oreilles de la société en niant les niveaux de violence présents au Chiapas. Dieu nous regarde, Dieu nous écoute, Dieu nous anime et nous encourage à espérer contre tout espoir afin de continuer à écrire notre propre histoire, en promouvant notre libération totale, une libération qui nous révèle le chemin de la paix et de la justice.

Face à tant d’injustices, l’Église ne peut pas et ne doit pas rester en silence. C’est pourquoi nous lançons un appel urgent aux autorités compétentes afin qu’elles tournent leur regard vers ces communautés et ces populations et prennent des mesures conforment au droit.

Nous dénonçons :
 Les assassinats qui bénéficient d’une impunité complète.
 Les centaines de disparus qui s’ajoutent à la longue liste de ceux qu’on a rendus invisibles.
 L’inaction de l’État face aux groupes criminels qui ont déstabilisé la vie des villages.
 Le vol de biens matériels et naturels dont sont victimes nos communautés et villages.
 La séquestration de communautés et de villages par les groupes criminels qui obligent les habitants à rejoindre leurs rangs s’ils veulent rester dans leurs maisons.
 Les menaces, les harcèlements, les intimidations et les persécutions à l’encontre de la société civile.
 Les pressions et le contrôle social exercés par les groupes criminels.
 L’imposition de droits d’accès et de passage.
 La présence de personnes armées dans nos communautés.
 Le contrôle du territoire.
 Le pillage et l’exploitation miniers qui ont conduit à l’assassinat de personnes innocentes qui défendent et prennent soin de la terre-mère.
 La manipulation du processus électoral par le crime organisé [2].
 Le harcèlement, les menaces et l’intimidation subies du fait de notre travail pastoral en faveur de la construction de la paix et de notre exigence de justice face à tant d’abomination.

Nous tenons les trois niveaux de gouvernement responsables des récents assassinats perpétrés contre les familles de l’ejido de Nueva Morelia, Chicomuselo, au vu de leur inaction face à cette réalité qui a été régulièrement dénoncée.

L’inaction des autorités est inconcevable compte tenu de la présence de l’armée, de la garde nationale et de la police de l’État dans la région.

Nous demandons :
 Justice pour les onze personnes assassinées à Nueva Morelia, Chicomuselo, le 12 mai 2024, les deux civils assassinés le 4 janvier 2024 dans la même communauté et pour les deux autres personnes assassinées le 16 janvier 2024 près du barrage.
 Le retour des communautés déplacées en toute sécurité, en toute liberté et sans conditions.
 Le désarmement immédiat de ces groupes criminels.
 La récupération du territoire afin que nos villages soient sujets de leur histoire.

 Une attention immédiate aux demandes de paix venant de nos villages.
 
Le rétablissement de l’ordre social sans mettre en danger la société civile qui résiste à ces groupes criminels.
 Le respect de nos droits humains individuels et collectifs.
 La publication d’une déclaration officielle contre l’exploitation minière et celle des autres biens naturels.
 Le rétablissement des services essentiels : éducation, santé, travail et libre-circulation.
 Que soit fait respecter l’État de droit dans nos villages.
 Le respect de notre travail pastoral en faveur de la construction d’une paix juste et digne pour tous et toutes.

Nous appelons la société civile à ne pas perdre espoir et à ne pas permettre que la guerre entre ces groupes criminels nous conduise à nous affronter en tant que peuple. La guerre n’est pas entre nous, nous sommes les victimes de cette violence. Regroupons-nous en tant que peuple, en tant que société, ne tombons pas dans la dynamique de l’individualisme, de l’égoïsme et de la haine envers l’autre. Soyons solidaires avec ceux qui doivent partir et prenons soin les uns des autres.

Ensemble, résistons en prenant les chemins de la paix, sans tomber dans la violence. Vivre libres et en paix est possible !

Réchauffons le cœur et animons l’espérance de nos villages qui souffrent. Que la sagesse divine nous révèle des chemins de paix et de justice pour tous et toutes.

Nous ne prendrons pas les armes contre nos propres frères, nos luttes pour la vie se feront toujours pas des chemins de paix et de justice !

Nous ne voulons pas que nos villages continuent à devenir des champs de bataille !

De chaque village et de chaque terre s’élève une seule voix : Non à la guerre ! Non à la violence ! Oui à la paix ! (le pape François)

Diocèse de San Cristóbal de Las Casas.

Le communiqué est signé par :
 Rodrigo Aguillar Martínez, évêque de San Cristóbal de Las Casas
 Luis Manuel López Alfaro, évêque auxiliaire
 Sœur María Reyes Arias Sarao, secrétaire conseillère
 Père Miguel Ángel Montoya Moreno, vicaire de la commission Justice et paix
 Sœur Carolina Lara Rodríguez, vicaire de pastorale
 Sœur Gloria Estela Murúa Valencia, coordinatrice de la pastorale sociale


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3706.
 Traduction d’Angela Berrocq pour Dial.
 Source (espagnol) : Centro de Estudios para el Cambio en el Campo Mexicano (CECCAM), 17 mai 2024.

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[1Fédéral, régional, local – NdlT.

[2Sur ce point, voir DIAL 3702 - « MEXIQUE - Le crime organisé décide des candidatures dans plusieurs régions de Guerrero » – note DIAL.

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