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ARGENTINE - Juge et partie : La commission qui accorde des autorisations aux semences transgéniques est entre les mains de chercheurs liés à ces entreprises

Darío Aranda

vendredi 23 juin 2023, mis en ligne par Françoise Couëdel

12 août 2017 - L’organisme clé dans le processus d’autorisation des semences transgéniques est sous la domination des entreprises qui les commercialisent et de scientifiques complaisants. Les noms de ceux qui composent la Commission nationale de biotechnologie ont été révélés après avoir été tenus secrets pendant 26 ans.

Au terme de 26 ans de fonctionnement secret, le ministère de l’agro-industrie a révélé les noms des membres qui font partie de la Commission nationale de biotechnologie (Conabia), institution fondamentale pour ce qui est de l’autorisation des transgéniques. Et toutes les accusations formulées par des organisations sociales et des enseignants critiques ont été confirmées : les entreprises qui produisent et vendent des transgéniques sont les mêmes que celles qui les certifient. Il s’agit de Bayer, Monsanto, Syngenta, Indear/Bioceres, Pioneer/DuPont et Don Mario, entre autres. Y participent aussi des entrepreneurs de l’agro-industrie (Aapresid, Aacrea) et des chercheurs en conflits d’intérêts. La certification s’appuie sur les études des multinationales elles-mêmes (l’État ne fait pas ses propres analyses) et les rapports sont tenus secrets.

La Conabia a été créée en 1991 par le gouvernement de Carlos Menem. En 1996 elle a certifié la première semence transgénique. En un temps record (81 jours) elle a donné le feu vert pour la culture du soja (avec emploi de glyphosate) qui devait modifier radicalement l’agriculture argentine.

Les gouvernements qui se sont succédés ont évité de révéler les noms des « scientifiques » qui avaient donné leur accord aux transgéniques. En juin dernier, la liste a fuité dans le journal de la coopérative MU. Sur les 34 membres confirmés 26 appartiennent à des entreprises ou avaient des conflits d’intérêt. L’information a été relayée par l’ONG GMWatch, traduite en anglais et diffusée auprès d’institutions universitaires aux États-Unis et en Europe. La nouvelle, sous le titre de « La corruption transgénique » a commencé à circuler dans la sphère scientifique.

Lors de la dernière réunion de la Conabia elle a donné lieu à des débats entre ses membres. Ils ont fait remarquer qu’aucun quotidien national ne s’était emparé du sujet et ils ont décidé de rendre publique la liste des personnes impliquées (à l’exclusion des plus polémiques) et ils ont entrepris de lancer deux campagnes : une chasse aux sorcières pour que davantage d’information ne fuite pas et, ensuite, un rapprochement avec des journalistes et des medias pour améliorer leur image par des « éditos ».

Les membres de la Conabia sont : Miguel Rapela et Fabiana Malacarne, de l’Association des Semilleros (semenciers) d’Argentine (ASA), où toutes les multinationales se fournissent en semences transgéniques. Gabriela Levitus de Argenbio (organisation de lobby scientifico-politique fondé par les entreprises Syngenta, Monsanto, Bayer, Basf, Bioceres, Dow, Nidera y Pioneer) ; Alejandro Petek et Luis Negruchi (de l’organisation des chefs d’entreprises Aapresid, lobby transgénique, présents au sein du Ministère de l’agro-industrie), Silvia Lede (anciennement de la multinationale Basf), Abelardo Portugal, ex-président et référent de Aianba (Association des ingénieurs agronomes du nord de Buenos Aires) et une partie de l’ organisation “Maizar” (à laquelle participent toutes les entreprises du secteur). Aianba parrainée par Bayer, Dow y Monsanto.

Le ministère de l’agro-industrie a pris bien soin de dissimuler des membres qui, il y a peu, participèrent et influèrent sur la certification de nombreux transgéniques : Miguel Alvarez Arancedo (Monsanto), Magdalena Sosa Beláustegui (Bayer), Mirta Antongiovanni (Don Mario), Gerónimo Watson (Bioceres/Indear), Atilio Castagnaro (Estación Experimental Obispo Colombres, des grands moulins sucriers de Tucumán), Alejandro Tozzini (ex Monsanto, actuel Syngenta), Gustavo Abratti (DuPont-Pioneer), Claudio Gabriel Robredo (ex Monsanto), Mauro Meier (de l’Association de Cooperativas Argentinas).

Martín Lema, directeur national de Biotechnologie depuis 2011 et autorité suprême de la Conabia, dispose de « publications scientifiques » cosignées par les entreprises mêmes qu’il aurait dû contrôler : Monsanto, Bayer, Syngenta, Basf et Dow Agroscience.

Carla Poth est chercheuse à l’Universidad Nacional de San Martín et sa thèse doctorale aborde la situation de la Conabia. Elle a rappelé que l’action de la Conabia impacte les terres, que l’utilisation massive d’agrotoxiques a des conséquences sur la santé, le déboisement, le déplacement de paysans, d’indiens et encourage la monoculture.

« Que cela soit révélé 26 ans plus tard est la preuve manifeste que tout cela a fonctionné dans l’ombre la plus totale. C’est ce qui a permis la rapidité et l’homogénéité des décisions pour approuver les semences génétiquement modifiées, pilier fondamental du modèle de l’agro-business », a affirmé Poth. La chercheuse n’a aucun doute : « la Conabia est antidémocratique, elle est un espace d’actionnaires, est indissociable des besoins des grandes entreprises qui produisent des semences transgéniques et des agrotoxiques ».

Sont membres également de la Conabia des scientifiques appartenant à des institutions publiques mais en conflits d’intérêts avec les grands semenciers et producteurs d’agrotoxiques : Dalia Marcela Lewi, Fernando Bravo Almonacid, Mónica Liliana Pequeño Araujo, Hugo Permingeat, Lucas Lieber, Mariano Devoto, Elba María Pagano.

Poth l’a résumé ainsi « La Conabia dont les membres sont juges et parties est un exemple de conflits d’intérêts. Depuis la chambre des entrepreneurs qui participe au business et « évaluent » l’innocuité de leurs semences jusqu’aux chercheurs des universités publiques ou aux organismes d’État qui ont des accords avec ces mêmes entreprises. Ce sont des exemples de la science au service du marché ».

Fernando Cabaleiro, avocat de l’ONG Naturaleza de Derechos qui a dénoncé la pratique de la Conabia, a donné des exemples des « énormes irrégularités » : de tous les documents émis concernant les décisions il est impossible de savoir qui y a souscrit et qui s’y est opposé, dans le cas du soja « Intacta » (de Monsanto) « les principes essentiels d’évaluation des risques, des organismes génétiquement modifiés ont été ignorés ». Ce soja a été évalué seulement pour la Pampa humide et non dans le reste des autres « bio-régions » où il est semé (nord-est et nord-ouest de l’Argentine). Il a indiqué que le jugement pour autoriser le soja « Intacta » est en attente à la Cour suprême de justice, et qu’il tarde à tomber.

Au sein de l’organisme responsable de l’autorisation des semences transgéniques de soja, de maïs, de coton, de pomme de terre et de canne à sucre ne figure aucun scientifique qui critique les transgéniques. Il ne permet pas non plus la participation d’entités de la société civile. Depuis 1996, la Conabia a autorisé 41 transgéniques (soja, maïs, coton et pomme de terre). Les entreprises qui en bénéficient sont Syngenta, Monsanto, Bayer, Indear, Dow, Tecnoplant y Pioneer y Nidera, entre autres. Ces mêmes entreprises qui dominent la Conabia et certifient que les transgéniques sont sûrs ».


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.pagina12.com.ar/56075-de-ambos-lados-del-mostrador.

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