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AMÉRIQUE CENTRALE - Présence et menace croissante de l’industrie minière

Ismael Moreno, sj

mardi 26 janvier 2016, mis en ligne par Dial

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Ismael Moreno, jésuite, est directeur de la Radio Progreso, créée par l’Équipe de réflexion, investigation et communication (ERIC, Honduras). Dans ce texte, publié dans la revue Promotio Iustitiae n° 118 (2015/2), il revient, depuis un point de vue centro-américain, sur les menaces et les défis que représente la multiplication des projets extractivistes dans la région.


L’Amérique centrale, une région fournisseuse de matières premières

Toutes les données coïncident et confirment l’augmentation croissante de la demande de minéraux et d’énergie de la part des grandes économies mondiales. Pour l’Amérique latine, cette demande a été si forte que l’on peut parler d’un phénomène envahissant. Selon les experts, à la fin du XXe siècle, la région recevait 12% des investissements miniers mondiaux. À la fin des années 2010, ces investissements avaient été multipliés par trois.

L’Amérique centrale est une région avec des réserves considérables de minéraux précieux et industriels. Dans la logique des économies mondiales, l’Amérique centrale continue d’être – comme elle l’a été durant toute son histoire – une zone fournisseuse de matières premières, avec actuellement le facteur aggravant d’une hausse de la demande d’extraction de minéraux qui s’effectue dans un contexte beaucoup plus agressif d’un point de vue normatif, mais aussi dans les domaines sociaux, politiques et environnementaux.

Face à cette demande agressive d’extraction de minéraux de la part des sociétés multinationales se renforce aussi la pression pour que l’extraction respecte les réglementations et les conventions internationales et la conscience de la part de différents secteurs de la société de l’importance de la défense des biens naturels dans le cadre d’une protection harmonieuse des droits non seulement humains, mais également de la nature.

La corruption et l’impunité définissent la réalité de l’industrie extractive

Ces conditions ont rendu nécessaires des réformes des législations et ont obligé les multinationales minières à respecter des protocoles et des conventions qui au XXe siècle étaient inexistantes [1]. Dans ce cas, des processus de réforme ont été engagés par la Banque mondiale dans le but de pousser les compagnies d’extraction minière à respecter les différents traités commerciaux, bilatéraux et multilatéraux. Mais, si l’on en croit les organisations qui protègent l’environnement, en réalité cette vague réformiste s’efforce uniquement de garantir la sécurité juridique des investissements, d’établir un cadre de surveillance conforme aux normes internationales dans le but de légaliser les exploitations minières, sans pour autant diminuer les violations des droits humains qui dérivent des conflits socio-environnementaux.

Et même dans le meilleur des scénarios où la législation concernant les exploitations minières garantirait le respect de l’environnement et les droits humains, l’expérience de l’Amérique centrale en termes d’impunité et de corruption des fonctionnaires publics et des élus ne garantirait pas que soient respectées les conventions et les législations nationales et internationales en faveur de l’environnement, des communautés et des droits humains des personnes impliquées directement et indirectement dans l’industrie minière extractive.

Le cas du Honduras est emblématique. Le coup d’État de juin 2009 a représenté une énorme opportunité pour les groupes économiques et les élites conservatrices qui ont pu profiter des désordres, des distractions politiques et de la faiblesse des institutions pour faire en sorte que l’on approuve un ensemble de lois pour la concession et l’exploitation de rivières, de sources d’eau et d’hydrocarbures, ainsi qu’une nouvelle loi minière favorable à l’exploitation des compagnies minières, la loi de création des Zones d’emploi et de développement économique (ZEDES) connues comme Villes modèles et de nombreux autres dispositifs juridiques qui convergent vers un unique objectif : ouvrir les portes et faciliter les investissements du capital transnational, principalement dans l’industrie extractive.

Dans le cas de la loi minière au Honduras, et d’après les informations communiquées par l’Institut du Honduras de géologie et des mines, au début de 2013, il existait 97 projets approuvés d’exploitations minières d’or et d’argent et 233 demandes de nouveaux projets en cours d’approbation. Lorsque les communautés ont exprimé leur refus et qu’elles se sont organisées pour résister à cette avalanche extractive, le gouvernement associé aux compagnies minières a lancé des campagnes publicitaires agressives tant pour montrer les « bienfaits » des investissements que pour criminaliser les communautés et leurs dirigeants, en les qualifiant d’ennemis du progrès et du développement du pays.

À la violence et à l’insécurité dérivée du trafic de drogue et du crime organisé qui a transformé le triangle septentrional de l’Amérique centrale – constitué par le Guatemala, El Salvador et le Honduras – en une des zones les plus violentes et dangereuses de la planète, s’ajoute cette demande croissante d’investissements de la part des compagnies minières extractives qui crée de nouveaux scénarios de violations des droits humains et de dégradation de l’environnement.

Tous ces faits créent une situation dans laquelle les groupes de pouvoir politique et économique contrôlent les forces de sécurité, les unités d’enquête et le pouvoir judiciaire, ce qui garantirait l’impunité des agents de l’État et des acteurs privés (entreprises) en cas de délits et de violation des droits humains commis contre la population du Honduras et les organisations sociales.

Richesse de quelques-uns, et pauvreté de la majorité

Durant un séminaire centro-américain organisé par la Commission provinciale de l’Apostolat social (CPAS) qui a eu lieu en septembre 2013, les participants des six pays de la sous-région s’accordèrent sur le fait que « l’exploitation minière se fonde sur une logique de consommation infinie dans un monde aux ressources limitées. La richesse minérale produit misère et catastrophes environnementales dans les communautés qui vivent dans les régions d’extraction minière, ce qui contraste fortement avec le luxe croissant et le gaspillage des propriétaires des compagnies minières. » D’après les études et les expériences des différents pays d’Amérique centrale, les exploitations minières et les projets hydroélectriques appartiennent au même modèle extractif, destructeur, consumériste, pollueur et accumulateur de biens et de ressources en un petit nombre de mains. L’expérience dans chacun des pays centro-américains partage un schéma commun de destruction de l’environnement des communautés et de dommages humains presque toujours irréversibles, avec la rupture ou la fracture de tissus sociaux et organisationnels communautaires et des conditions économiques et productives précarisées. La majeure partie des communautés où se trouvent des exploitations minières coïncident avec les zones territoriales et géographiques de plus grande émigration vers d’autres régions du pays ou vers l’extérieur, surtout vers les États-Unis.

L’industrie minière a atteint des niveaux technologiques si élevés qu’elle a besoin de moins en moins de main-d’œuvre locale et de moins en moins de temps pour l’exploitation d’une mine, laissant derrière elle encore plus rapidement désastre environnemental et formes de vie communautaires traditionnelles détruites. Il n’est pas vrai, du moins du point de vue de la réalité centro-américaine que l’industrie minière résolve la demande d’emploi des communautés. L’offre d’emplois est de plus en plus réduite, elle a un caractère occasionnel, temporaire et limité à la main d’œuvre la moins chère, se réduisant aux services secondaires.

Une communauté touchée par l’exploitation minière ne sera plus jamais la même, son tissu culturel en est bouleversé et l’exploitation minière entraîne, promeut et stimule la division et la corruption à l’intérieur de l’organisation et parmi les responsables communautaires et sociaux.

La lutte de David contre Goliath

Face à l’industrie minière, il existe bien deux cosmovisions, c’est-à-dire deux manières de voir et d’être en relation avec le monde. La première est celle qui considère la terre et la nature comme une mère, comme source de vie et don sacré pour les peuples et les communautés. Les communautés indiennes témoignent « que la terre est notre mère, et que les mines l’ont ravagée, lui ont brisé le cœur, et que ceci est un attentat contre Dieu ». La seconde manière de voir la nature est celle des entreprises minières et extractivistes. Les montagnes et les mines, l’eau et les forêts sont des négoces, de l’argent, du développement, du bien-être économique. Il faut tout convertir en capital.

L’industrie minière extractive est intimement associée aux projets hydroélectriques polluants. L’exploitation, fréquemment sauvage, est en train de provoquer un phénomène croissant de résistance de la part des communautés associées aux organisations populaires et de défense de l’environnement. En contrepartie, les entreprises minières qui sont alliées aux entrepreneurs nationaux et aux autorités publiques, menacent, poursuivent, séquestrent et assassinent les dirigeants et les communautés tout en élaborant des campagnes publicitaires pour discréditer la valeur des luttes organisées contre l’industrie minière.

Les compagnies minières collaborent avec les députés pour faire adopter des mesures juridiques dans le but de criminaliser les luttes de résistance contre les exploitations minières et les concessions d’eau. Elles ont également noué des alliances avec le monde de la communication pour contrôler les informations, défigurer les luttes et présenter l’industrie extractive polluante comme « bénéfique » pour les communautés, l’État et la société. Les communautés et les organisations de défense de l’environnement s’appuient sur les médias alternatifs et sur les réseaux sociaux, sans atteindre cependant la capacité suffisante pour rompre le siège médiatique.

Les compagnies minières ont construit un scénario de conflits et de polarisations. Leur objectif est bien défini : convertir toutes les richesses naturelles en capital. Les communautés, les organisations écologistes et populaires et les églises qui s’efforcent d’être fidèles aux personnes et aux secteurs les plus touchés par l’industrie minière extractiviste ont commencé à structurer leurs efforts individuels en une lutte commune pour la paix et la vie sur la base de la défense et protection de leurs biens naturels.

Chronique d’une tragédie annoncée

Le sud du Honduras a été le témoin d’une tragédie à la mi-2014. Un groupe de mineurs ont été ensevelis après un effondrement survenu dans la zone d’extraction minière. Grâce à d’énormes efforts, plusieurs ouvriers réussirent à sortir sains et saufs des grottes, mais huit d’entre eux restèrent prisonniers alors que ni la compagnie minière ni le gouvernement ne disposaient de voies d’évacuation ou de systèmes d’urgence pour répondre à de telles éventualités. Les huit mineurs moururent et leurs corps furent retrouvés cinq mois après l’effondrement. Le gouvernement, tout comme les entreprises minières, s’efforcèrent de montrer qu’il s’agissait là d’un cas exceptionnel, et la justice réussit à dégager de toute responsabilité légale la compagnie minière extractiviste, réduisant les conséquences du drame à la fourniture d’aides limitées et ponctuelles aux familles des travailleurs décédés.

Cette tragédie qui a eu lieu dans la communauté d’El Corpus dans le département de Choluteca, au sud du Honduras, à la frontière du Salvador et du Nicaragua, révèle cependant la situation réelle des investissements de compagnies minières extractivistes en Amérique centrale. Malgré les conventions et les traités internationaux, les réformes législatives dans chacun des pays, les lois concernant l’industrie minière qui se basent sur le respect des droits environnementaux et des droits humains, de la culture, de l’histoire et de la situation patrimoniale des communautés, l’industrie minière extractiviste installée dans chacun des pays d’Amérique centrale a la capacité d’atteindre ses objectifs, car elle peut compter sur l’appui des gouvernements et des groupes industriels locaux qui ont l’habitude de circonvenir les lois. Comme nous l’avons noté plus haut, l’impunité et la corruption sont des réalités quotidiennes qui triomphent fréquemment des pressions exercées par les communautés et les organisations de défense de l’environnement qui exigent le respect de la loi. Les compagnies minières atteignent leurs objectifs extractivistes en subornant souvent les autorités, en pratiquant la collusion et en nouant des alliances avec les hommes politiques, les fonctionnaires ou les chefs d’entreprise.

Les chemins de résistance à un modèle qui tue la vie

Durant le Séminaire centro-américain que nous avons mentionné, les jésuites et les participants laïcs conclurent les analyses et les débats par une Déclaration qui, entre autres choses, mentionne le point suivant : « Nous déclarons que nos luttes de résistance doivent s’appuyer sur des alliances avec les divers secteurs nationaux et internationaux qui partagent notre engagement de défendre nos biens communs et nos territoires ; elles doivent s’appuyer sur des stratégies de communication alternative pour rompre le siège médiatique. Si les corporations minières sont les mêmes dans nos différents pays, comment organiser des luttes qui renforcent nos identités pour faire face au danger de nous faire éblouir par l’or et les redevances des compagnies minières ? Comment renforcer nos engagements éthiques pour savoir vaincre les tentations des pots-de-vins, les offres attirantes des industries minières qui promettent d’améliorer les services publics de nos communautés, ou les peurs face aux menaces et aux chantages ? Comment construire des plateformes/blocs qui articulent nos luttes nationales avec les luttes centro-américaines et latino-américaines ? »


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3355.
 Traduction d’Elizabeth Frolet pour Promotio Iustitiae. Traduction modifiée ponctuellement par Dial.
 Source (espagnol) : Promotio Iustitiae118, 2015/2, p. 53-56.
 Source (français) : Promotio Iustitiae n° 118, 2015/2, p. 53-56.

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[1Nous faisons l’accord de proximité : le sujet le plus proche donne son genre à l’adjectif pluriel – note DIAL.

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