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DIAL 3487
GUATEMALA - Tourner la page du néolibéralisme et de la République créole ?
Ollantay Itzamná
vendredi 29 mars 2019, mis en ligne par
Le 16 juin 2019 se tiendront des élections générales au Guatemala pour élire notamment un ou une présidente de la République et 160 députés nationaux. La candidature de l’Indienne mam Thelma Cabrera, présentée par le Mouvement pour la libération des peuples (MLP), vient secouer la routine électorale. Texte d’Ollantay Itzamná publié sur son blog le 8 mars 2019.
Au Guatemala, la politique, comme les autres facteurs dominants du pays, est pensée et construite pour que les exclu-e-s et les dépossédé-e-s ne puissent la pratiquer, et encore moins la revendiquer comme un droit. Le Guatemala est un pays où seuls les riches et/ou les urbains peuvent créer des partis politiques, et gagner des élections. Mais, cette fois, semble-t-il, ce mythe politique vacille.
Le 16 juin prochain, 27 partis politiques (de style traditionnel) et un instrument politique (le Mouvement pour la libération des peuples, MLP) seront en compétition pour élire un binôme présidentiel, 160 députés nationaux, 20 députés au Parlement centraméricain (Parlacen), et 340 maires avec leurs conseils municipaux.
D’où et pourquoi naît le Mouvement pour la libération des peuples
Il y a trois ans (2016), des centaines de communautés indiennes et paysannes en résistance, engagées pour la plupart dans le mouvement social plurinational dénommé Comité de développement paysan (CODECA), devant l’incapacité de la gauche traditionnelle à intégrer les nécessaires mesures sociales dans leurs discours idéologiques et face à l’avancée violente du système néolibéral, ont décidé en assemblées de créer leur propre organisation politique.
À la fin de l’année dernière, après un long travail de fourmis, ces communautés sont parvenues à inscrire auprès du Tribunal suprême électoral (TSE) le Mouvement pour la libération des peuples (MLP), qu’elles dénomment instrument politique. Il n’y a pas eu de financement externe. Encore moins de conseil ou d’assistance technique de la « vieillissante avant-garde révolutionnaire » nationale. Ce fut un évènement inédit en presque deux siècles de République. Mais le temps a manqué pour célébrer un tel acte historique.
Ainsi donc, ces résistants sont sortis la tête haute de la première lutte, ayant vaincu rien moins que l’architecture légale/électorale minutieusement pensée par les riches, pour les riches. On a encore en tête les mauvais augures de nombreux acteurs néolibéraux concernant cette audace. « Ils ne dépasseront pas le niveau des assemblées communautaires ». « Ils ne pourront pas inscrire pas leur binôme présidentiel », « ils n’ont pas de gens compétents »…
Candidates indiennes dans un pays raciste
Au cours de l’assemblée nationale extraordinaire du MLP, le 7 mars dernier, des femmes indiennes et des paysans ont à nouveau surpris les leurs et les personnes extérieures en proclamant (par acclamation) l’Indienne mam, Thelma Cabrera, comme leur candidate à la présidence de la République pour les élections générales du 16 juin prochain.
Cabrera est une défenseure reconnue des droits, presque autodidacte, elle fait partie du noyau central du mouvement plurinational CODECA. Connue pour ses affirmations « hérétiques » comme : « Au Guatemala, nous, les peuples indiens, n’avons pas d’État ». « Notre maison appelée Guatemala est complètement rongée, il faut d’urgence un processus d’Assemblée constituante plurinationale pour construire une maison neuve avec tous et toutes et pour tous et toutes »…
En outre, durant ladite assemblée, le MLP a annoncé que Vicenta Jerónimo, autre défenseure des droits mam, sera à la tête de la liste nationale de députés.
Si créer une organisation politique propre était déjà une audace indiano-paysanne dans un pays raciste, proclamer des femmes indiennes comme candidates à la présidence de la République créole est une apostasie du régime patriarcal. Bien plus encore dans des sociétés friandes de titres ou de diplômes universitaires.
Une proposition pour tourner la page du néolibéralisme et de la République créole
Si la méthode d’organisation du MLP et le profil de ses représentantes sont déjà des témoignages effectifs d’une autre manière de faire un autre type de politique dans un pays habitué aux grossièretés électorales, ce qui défie le plus la gauche et la droite néolibérales sont les propositions de cette organisation politique.
« Nous ne sommes pas là pour gagner des élections. Nous allons créer un État plurinational, et nationaliser toutes les entreprises et les services qu’ils ont privatisés », déclarait avec force et conviction Thelma Cabrera durant l’Assemblée nationale constitutive du MLP, en décembre dernier.
Et de fait, parmi les objectifs fixés publiquement par le MLP il y a entre autres : la récupération des entreprises et services privatisés (sur la base d’un audit des contrats), la création de l’État plurinational à partir des autonomies territoriales et un processus d’Assemblée constituante populaire et plurinationale. Le MLP a comme horizon déclaré le Vivre bien. Voilà ce qui constitue le cadre théorique et le discours idéologique de cette organisation politique.
C’est là toute une audace intellectuelle et politique dans un pays où l’unique horizon idéologique possible est le système néolibéral et son État-nation créole. Presque aucun universitaire ou intellectuel de gauche ou du centre n’ose défier le totémique système néolibéral, ni l’État créole défaillant ! Mais les Indiens et les paysans le font, eux, et avec des propositions, n’en déplaise aux « think tank nationaux ».
Le sentier libertaire est désormais ouvert pour les peuples du Guatemala. Le but, ce n’est pas les prochaines élections, mais celles-ci seront une épreuve du feu pour cette autre politique qui émerge dans la pénombre politico-électorale nationale.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3487.
– Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
– Source (espagnol) : blog d’Ollantay Itzamná, 8 mars 2019.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.